Admission des non-ayants droit : l’attente est de mise
Il faudra attendre avant que les répercussions de la décision de la Cour suprême du 8 décembre 2023 sur l’admission des non-ayants droit à l’éducation en français soient pleinement ressenties et leurs limites véritablement testées.
Denis Lord – Arctique
Il faut préciser que plusieurs juridictions laissaient déjà aux commissions scolaires francophones une latitude dépassant le cadre strict de l’article 23. C’est le cas du Yukon par exemple, où, depuis 2020, une entente signée avec le gouvernement permet à quatre catégories de non-ayants droit de fréquenter une école de la Commission scolaire francophone du Yukon.
« Je suis directeur général depuis une dizaine d’années, commente Marc Champagne, je ne pense pas qu’on ait jamais eu quelqu’un qui n’entrait pas dans ces quatre catégories. Ceci étant dit, on a une clause dans notre politique d’admission qui dit que si on a une demande d’admission d’un non-ayant droit qui ne rentre pas dans ces catégories, on peut faire une demande spéciale à la ministre. »
Le cas ne s’est jamais présenté.
Marge de manœuvre
La Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest (CSFTNO), celle-là même qui a remporté la décision en Cour suprême du Canada possédait déjà elle aussi une marge de manœuvre dans l’admission de non-ayants droit. Depuis 2020, elle peut par exemple accepter un élève ayant eu un arrière-grand-parent francophone, des immigrants ne parlant ni français ni anglais et qui s’inscrivent dans leur première école canadienne. Ils sont entre 20 et 25 à l’école Allain St-Cyr (Yellowknife) et une quinzaine à l’École Boréale (Hay River), selon la directrice générale de la CSFTNO, Yvonne Careen.
La Commission scolaire francophone des Territoires du Nord et sa directrice générale, Yvonne Careen, entament de nouvelles négociations avec le gouvernement ténois. (Photot : Denis Lord)
Depuis le jugement de 2023, la CSFTNO n’a reçu aucune demande d’admission pour un élève non-ayants droit échappant aux catégories préalablement admissibles. Une fois certaines négociations réglées avec le gouvernement ténois, la Commission pourrait publiciser les nouvelles possibilités d’admission, dit Mme Careen. « La Cour s’est prononcée, après, c’est à nous de négocier avec notre ministère, ajoute la directrice. On a déjà fait nos demandes, on va négocier. »
Le cas de la Colombie-Britannique
« Ce qu’on comprend, c’est que très peu de ministres interviennent pour refuser des non-ayants droit », relève le directeur général de la Commission nationale des parents francophones, Jean-Luc Racine. « Quand on fait le bilan, ça semble bien aller, sauf Colombie-Britannique, où c’est plus restrictif. On n’est pas à la Commission, mais on est tous avec les parents; pour l’instant, je ne sens pas de volonté du côté parent de débattre de cette question. »
Le directeur général de la Commission nationale des parents francophones, Jean-Luc Racine, souligne qu'il faut augmenter le nombre d'ayants droit inscrit dans les écoles francophones. (Courtoisie)
En Colombie-Britannique, où le droit à l’éducation dans une langue minoritaire a déjà fait l’objet d’une autre décision de la Cour Suprême, on « suit l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés » indique une porte-parole du Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique (CSFBC). On autorise en outre la fréquentation de ses écoles aux « enfants dont l’un des parents est un immigrant qui, s’il était citoyen canadien, aurait des droits en vertu de l’article 23 de la Charte ».
Des quotas
Au Yukon et aux Territoires du Nord-Ouest, malgré la décision du 8 décembre, qui souligne le caractère « préventif, réparateur et unificateur » de la Charte canadienne des droits et libertés, les gouvernements imposent des quotas de non-ayants droit.
« 5 % de notre population étudiante pour les catégories anglophones et immigrant allophone ensemble », précise Marc Champagne, de la CSFY. « On n’a jamais atteint les pourcentages exprimés dans l’entente. Le jugement de la Cour suprême pourrait amener certains changements, mais […] ce n’est pas une priorité immédiate puisque le système fonctionne pour nous. On a d’autres chats à fouetter. […] On est une commission scolaire en pleine croissance, on vient d’ajouter un programme scolaire à Dawson City, on travaille sur l’ouverture d’une deuxième garderie à Whitehorse. »
Négociations en cours
À la CSFTNO, on voit les choses différemment. La semaine du 23 septembre, la direction rencontrait la ministre de l’Éducation, Caitlin Cleveland, afin de négocier l’agrandissement de l’école Allain St-Cyr, mais aussi d’abolir deux quotas de non-ayants droit appartenant aux catégories fixées précédemment.
Le premier fixe à 10 % du nombre total d’étudiants les non-ayants droit.
« Ce n’est pas un problème nécessairement à l’école Alain Saint-Cyr, indique Yvonne Careen, mais ça peut le devenir rapidement parce qu’il [le ministère de l’Éducation] considère ce 10 % toutes les années que l’élève est à l’école. Ça veut dire que si j’accepte trois enfants, ils comptent dans mon 10 % tout le temps qu’ils sont à l’école. Donc, il m’en reste juste 7 % l’année d’après. »
Le second quota, négocié avec l’actuel premier ministre des Territoires du Nord-Ouest, RJ Simpson, alors qu’il était titulaire de l’éducation, précise que l’école Allain Saint-Cyr ne doit plus accueillir de non-ayants droit lorsqu’elle atteint 95 % de sa capacité. Même si ce sont les frères ou les sœurs de ceux qui fréquentent déjà l’école, souligne Mme Careen.
Ces limites de 10 % et de 95 % de la capacité n’ont pas été respectées, ajoute-t-elle, et le fait que la CSFTNO ait pu outrepasser ces restrictions prouve les retombées de la décision de la Cour suprême.
« Autrement, explique Yvonne Careen, je n’aurais pas pu accepter une dizaine d’élèves que j’ai acceptés. »
Elle veut néanmoins que ces limites soient officiellement supprimées et les catégories de non-ayants droit élargies, tout en soulignant que la qualité du programme éducatif ne doit pas être diluée. « C’est une autre question, qui est beaucoup plus fondamentale au sein de la communauté francophone et de la communauté scolaire », avance Yvonne Careen.
Une seconde journée de rencontre avec le ministère de l’Éducation, Culture et Formation des Territoires du Nord-Ouest est prévue en novembre.
Et les ayants droit
Les avantages du jugement de la Cour suprême se feront sentir plus tard, estime le directeur général de la Commission nationale des parents francophones, Jean-Luc Racine. « Il faut quand même continuer de façon générale à informer les parents de cette situation, de cette possibilité, surtout les parents non-ayants droit.
En même temps, on ne veut pas être débordé par une demande de parents non-ayants droit. On a déjà de la difficulté à rejoindre et desservir les parents ayants droit. La priorité est beaucoup plus de ce côté-là. En Alberta par exemple on ne va même pas toucher 50 % des élèves [ayants droit]. On a encore énormément de travail à faire pour aller chercher cette clientèle. »
Pour le WEB :
Une collaboration des cinq médias francophones des territoires canadiens : les journaux L’Aquilon, l’aurore boréale et Le Nunavoix, ainsi que les radios CFRT et Radio Taïga.
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