« Crise » de la santé mentale
L’admission de la ministre de la Santé des TNO survient après l’alerte lancée par le coroner en chef, faisant état d’un nombre record de suicides à travers le territoire au cours des derniers mois.
Thomas Ethier – IJL Réseau.Presse – L’Aquilon
La ministre de la Santé et des Services sociaux des TNO, Julie Green, a appelé l’ensemble des élus de l’Assemblée législative à lutter contre ce qu’elle qualifie désormais de « crise » de la santé mentale à travers le territoire. Cette prise de position, adoptée en regard d’une inquiétante vague de suicide dans certaines régions, accélèrera, selon elle, le déploiement d’initiatives concertées dans les collectivités les plus touchées.
La ministre a été appelée au cours des derniers mois à reconnaitre qu’une crise de la santé mentale sévissait aux TNO. Elle assure aujourd’hui ne pas prendre l’expression à la légère. « La quantité de suicides que nous rapportons jusqu’à maintenant depuis le début de l’année, en plus d’une augmentation des hospitalisations liées à la santé mentale, et d’un nombre accru de postes vacants dans le système de Santé, nous indiquent que davantage d’attention et d’énergie seront requises pour faire face à cette crise », a-t-elle indiqué.
« J’ai le sentiment que nous avons franchi un cap en qualifiant cet enjeu de crise, car cela attirera davantage l’attention sur le problème, a-t-elle ajouté, appelant à une mobilisation de tous les ministères. La santé mentale et le bienêtre ne sont pas des enjeux exclusifs au ministère de la Santé et des Servies sociaux. Nous aurons besoin de toutes les idées que les membres de ce gouvernement auront à fournir. »
Ressources offertes, peu utilisées
Selon Julie Green, les résidents des collectivités du territoire auraient présentement accès à plus de ressources en santé mentale que jamais auparavant. Peu d’entre eux y auraient toutefois recours. « Alors que nous déployons plus de ressources que jamais dans nos programmes voués au bienêtre, je suis inquiète de constater que nombre de résidents n’accèdent pas à ces services, a-t-elle indiqué. Nous tâchons présentement de comprendre pourquoi, et de déterminer de quelle manière nous pourrons parvenir à générer un meilleur taux d’adoption de ces services. »
(Crédit photo : Priscilla Du Preez – Unsplash)
« Alors que nous déployons plus de ressources que jamais dans nos programmes voués au bienêtre, je suis inquiète de constater nombre de résidents n'accèdent pas à ces services » a indiqué la ministre, Julie Green.
Comme l’a souligné Mme Green, des programmes de counselling communautaire sont actuellement offerts aux résidents de toutes les collectivités. Les écoles du territoire sont également munies d’intervenants pouvant agir auprès de tous les jeunes, et les résidents des TNO ont accès à une ligne d’aide, offerte 365 jours par année.
Or, selon les observations du ministère, il importera d’appuyer des initiatives locales mieux adaptées aux besoins des collectivités, notamment en matière de sécurité culturelle. « Nous avons entendu de la part de certains résidents qu’ils sont plus à l’aise de parler à des intervenants provenant de leur propre collectivité, et nous tentons de nous adapter à une approche communautaire qui rendra la chose possible », a expliqué Mme Green.
Crise à Tuktoyaktuk
Le Coroner en chef Garth Eggenberger a divulgué le 3 octobre un rapport préliminaire faisant état de 18 cas de suicides entre janvier et septembre 2022 aux TNO. Il s’agit du pire bilan annuel des 20 dernières années, selon les données affichées sur le site du gouvernement. À plus de deux mois du Nouvel An, le bilan pourrait encore s’alourdir.
Le phénomène affecte particulièrement les hommes dans la vingtaine. Sur les 29 cas rapportés au cours des 21 derniers mois, on compte 13 hommes de 20 à 29 ans. La région de Beaufort-Delta est la plus affectée. On y a enregistré sept décès par suicides depuis janvier 2022, pour environ 6800 habitants.
Tuktoyaktuk, hameau d’environ 1000 résidents, a été durement atteint. On y rapporte quatre suicides depuis juin 2022. Le GTNO a déployé une équipe d’intervention pour assister les résidents endeuillés.
Les élus de la région ont pour leur part fait appel au hockeyeur professionnel Jordin Tootoo, qui est venu agir à titre de motivateur auprès des jeunes affectés par l’évènement. Personnalité autochtone hautement respectée dans le Nord, M. Tootoo a grandi au Nunavut.
« Je l’ai invité à venir nous aider avec nos jeunes », a souligné le député de Nunakput, Jackie Jacobson, qui représente notamment les résidents de Tuktoyaktuk. Ce dernier a annoncé qu’un second évènement avec M. Tootoo sera organisé en avril 2023, pour s’assurer de toucher tous les jeunes de la région. « C’est un jeune homme extraordinaire, qui fait tant de bonnes choses pour nos jeunes. Les enfants l’ont adoré », a-t-il souligné.
M. Jacobson, a pour sa part appelé le gouvernement à mettre sur pied un groupe de travail sur la prévention du suicide, et a suggéré de voir spécialement à la mise sur pied d’évènements sportifs à travers le territoire, voué à engager les jeunes à demeurer actifs et occupés.
Le suicide, sujet tabou
La députée d’Inuvik Twin Lake, Lesa Semmler, a confié après le dévoilement du rapport du coroner que ces deux enfants ont eux-mêmes perdu des amis à cause du suicide. « Je veux parler du suicide. Simplement en disant ces mots, j’ai l’impression de faire une chose que je ne devrais pas faire », a-t-elle partagé en chambre, à la reprise des travaux de l’Assemblée législative.
« Pour avoir grandi toute ma vie aux TNO, j’ai vu et entendu parler de nombreux suicides. Ce que je n’ai jamais fait, c’est d’en parler, après avoir perdu quelqu’un, a-t-elle ajouté. On ne m’a jamais donné les outils pour savoir quoi faire, ou comment parler de ces suicides après coup. Nous semblons vouloir passer à autre chose, puis ça se reproduit. Je le disais même en février 2020, bien avant de subir ce qui nous attendait avec la COVID-19. Depuis, les choses n’ont fait qu’empirer aux TNO. »
Mme Semmler a souligné la difficulté pour les personnes en détresse d’aller chercher de l’aide, et ce, « parce que la santé mentale n’est pas perçue de la même manière que la santé physique ». Elle appelle aujourd’hui les élus à mieux comprendre le groupe démographique le plus affecté par le phénomène, soit les hommes de 20 à 29 ans. « J’aimerais consulter mes collègues de l’Assemblée pour trouver des manières de nous adresser aux jeunes hommes qui sont les plus à risque, et les intéresser aux ressources que nous avons à leur offrir », a-t-elle suggéré.
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