Il était une fois, l’histoire de l’éducation en français aux TNO
Marine Lobrieau
Le 16 décembre 1988, L’Aquilon publie, à la une de son mensuel le rapport de la Grande Tournée, cette affirmation : l’éducation en français est une priorité pour tous les parents francophones du Nord. « Un sujet délicat, avec lequel l’ensemble de la francophonie ténoise et l’auteur du rapport sont entièrement d’accord, touche l’éducation en français. Non pas le français comme langue de base ou d’immersion, mais bien comme langue maternelle », écrit Denise Canuel. Par l’éducation et la création d’écoles, c’est la survie linguistique dans un contexte minoritaire qui est en jeu.
L’éditorial de Denise Canuel de mars 1989 lance un message fort aux institutions : « La demande est claire et simple : des classes de niveaux maternelle, 1re et 2e année en français langue maternelle. La population a fait entendre sa préoccupation la plus sérieuse : le futur de ses enfants éduqués aux TNO. » Les journalistes expliquent qu’aux TNO il n’y a aucune école homogène et qu’à peine 5,3 % des petits francophones fréquentent des écoles qui dispensent l’instruction à la minorité. Pourtant, le quart des 6 à 17 ans sont de langue maternelle française.
Pour corroborer ce rapport, cette même année, on accueille le Grand Congrès sur l’analphabétisation en français. Les conclusions d’Andrée Boucher, évaluatrice de passage à Yellowknife, démontrent une analphabétisation plus accrue des francophones comparés aux anglophones au Canada et que cette réalité touche également le Québec, pourtant en situation majoritaire. L’urgence de créer des écoles de langue française se ressent dans les pages de L’Aquilon qui devient le portevoix du comité. « Si ces Franco-Ténois trouvent que leur langue et leur culture sont menacées, leurs enfants, pour leur part, ont peu de chance de survivre linguistiquement et culturellement dans ces conditions. Ce ne sera qu’en réalisant le rêve d’un système d’enseignement en français que leur survie sera assurée. »
Demande entendue
Les conclusions du Rapport Perreault de mars 1989 annoncent la création des classes de français en maternelle à Yellowknife. À cette époque, selon ce que montrent des consultations, près de 61 % des francophones et des francophiles des TNO jugent que l’éducation en français est prioritaire. Le comité entend dès lors recruter d’ici l’an 2000 plus de 90 % des enfants visés par l’article 23 de la Charte qui fréquentent les écoles de langue anglaise et les classes d’immersion française. « L’opération récupération », comme l’appelle la Commission nationale des parents francophones, est lancée. Le comité de parents de Yellowknife réalise « un grand rêve et un défi considérable » qui s’inscrit néanmoins dans « un projet à long terme », témoigne l’agent de projet en éducation de l’époque. Ce sujet emplit les pages du journal puisqu’en octobre 1989, L’Aquilon lui consacre un dossier spécial, « pour favoriser l’apprentissage, la préservation, mais surtout la croissance de cette langue française, le chemin idéal est celui de l’école », affirme-t-on dans l’éditorial.
Après un travail de longue haleine, la somme de 212 000 $ provenant du Secrétariat d’État vient concrétiser les espoirs des parents francophones de Yellowknife. Ce budget sera entièrement consacré à l’établissement de deux classes portatives et à l’achat de matériel d’enseignement. C’est une révolution pour le comité de parents.
L’école Allain St-Cyr, symbole de victoire
Le 29 aout 1989, l’ouverture de l’école est officielle bien que les locaux pour tenir les classes ne soient pas les plus jolis et qu’on les emprunte à l’école J.H. Sissons, « n’empêche que c’est mieux que rien, et que c’est un début… », juge la directrice de L’Aquilon, alors que onze élèves y effectuent leur rentrée scolaire. Il ne reste plus qu’à lui trouver un nom. Elle devient quelques mois plus tard l’école Allain St-Cyr en hommage à un enseignant de français langue seconde qui est aussi un membre fondateur de la Fédération Franco-TéNOise (FFT) et qui est très impliqué dans la communauté. Après des mois de retards, c’est finalement le 28 mars 1990 que l’école est inaugurée.
Recueilli par le journaliste Dominique Claudon, le discours d’Allain St-Cyr à propos de la défense de la langue française qu’il prononce lors de l’inauguration résonne ainsi : « la langue française n’est pas plus belle que les autres, seulement il y a une langue qui est nôtre et qui est plus belle dans notre gorge. […] On n’a pas le droit d’éliminer une culture ou une langue, mais on a le droit d’être soi-même et donc de se doter des institutions nous permettant d’être nous-mêmes jusqu’au bout. […] Être minoritaire, c’est être condamné à l’excellence ; c’est ce qu’il faut souhaiter à cette école francophone. »
Mais la lutte des parents francophones n’est pas encore terminée, puisqu’une bataille s’engage pour obtenir un financement pour la construction de bâtiments neufs. En 1995, le ministère de l’Éducation prévoit investir la somme de 3,7 millions $, avant de se raviser.
Deux ans plus tard, c’est le ministère fédéral du Patrimoine qui sauve le rêve des parents francophones et verse 3 millions $ pour les travaux dont les premières pelletées se font en 1998. « 1999 : une année inoubliable ! La rentrée scolaire se fait dans les tout nouveaux locaux de l’école, situés près de l’école William McDonald. L’école est maintenant dans une excellente position pour entamer le nouveau millénaire », écrit Alain Bessette. C’est finalement le 27 février 2000 que se déroule l’inauguration du nouveau bâtiment, ce qui entraine réjouissance et reconnaissance au sein de la francophonie ténoise.
S’ensuit plus d’une décennie de recours judiciaires afin que l’école francophone bénéficie d'installations comparables à celles des écoles de langue anglaise de Yellowknife. Ainsi, c’est en 2018 qu’un second agrandissement comportant un gymnase est inauguré. « Pour peu, on oublierait qu’il a fallu 15 ans de lutte pour que se produise ce moment, pour l’avènement de cette légitimité », écrit le journaliste Denis Lord.
Depuis la rentrée 2006, l’école Allain St-Cyr offre un programme d’éducation en français langue première jusqu’à la 12e année. L’école accueille la prématernelle en 2016. La ténacité et les efforts de la communauté ont ouvert la voie à l’éducation en français et à la construction des écoles à Iqaluit en 2002 et à Hay River en 2005.
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