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L’Arctique émet plus de CO2 qu’elle n’en stocke : une tendance inquiétante, mais réversible

Photo du rédacteur: Nelly GuidiciNelly Guidici

Publiée dans la revue Nature Climate Change le 21 janvier dernier, l’étudeWildfires offset the increasing but spatially heterogeneous Arctic-boreal CO2 uptake révèle que certaines zones de toundra arctique ne sont plus des puits de carbone. Le dégel du pergélisol et les incendies sont en cause. 


Karine Lavoie et Nelly Guidici


La station de recherche Scotty Creek est située sur le territoire traditionnel de la Premiere Nation Líídlįį Kúę au cœur de la forêt boréale. Photo : Mason Dominico


Issus d’une équipe internationale de l’Asie, l’Europe, de la Russie, du Groenland, des États-Unis et du Canada, les 63 chercheurs de l’étude soutiennent que plus de 30 % de la région arctique est une source nette de dioxyde de carbone (CO2).


Pour en arriver à ce constat, les données d’une centaine de sites, sources de CO2, se trouvant principalement en Alaska (44 %), en Europe du Nord (25 %), au Canada (19 %) et en Sibérie (13 %) ont été colligées.


Alors que la région arctique se réchauffe quatre fois plus vite que le reste du monde, la fonte du pergélisol, l’augmentation de la sècheresse et de la fréquence des incendies compliquent la compréhension de la dynamique du carbone. Dans les TNO, la station de recherche Scotty Creek, située à 50 km au sud de Fort Simpson, se niche au cœur de la forêt boréale. Son emplacement idéal permet, depuis 1999, de recueillir des données essentielles sur l’évolution des écosystèmes nordiques. 


Pour cette étude, les données d’une tour à flux, permettant notamment de mesurer les émissions de dioxyde de carbone, ont été combinées aux mesures hydrologiques sur ce terrain. 


Selon William Quinton, professeur à l’université Wilfrid-Laurier en Ontario et directeur de la station de recherche Scotty Creek, il est fondamental de prendre en compte les changements hydriques.


« Pour comprendre l’interaction du CO2 entre la surface du sol et l’atmosphère, mais aussi comment cette interaction est en train de se modifier avec le réchauffement climatique en cours et le dégel du pergélisol qui l’accompagne, il faut comprendre pourquoi l’hydrologie change, pourquoi l’humidité du sol change. Cela permet aux personnes qui travaillent sur les flux de gaz d’interpréter leurs résultats et de savoir pourquoi ils changent au fil du temps. » 

Risque d’emballement climatique

Florent Dominé est directeur de recherche au CNRS au laboratoire franco-canadien Takuvik, à l’Université Laval de Québec. Il précise que la situation n’est pas un point de bascule, mais bien un processus continu, encore réversible. « Il y a beaucoup de zones qui restent des puits, d’autres sont devenues des sources. Avec l’impact des feux, il se passe que, globalement cette année, ça devient une source, mais peut-être que l’an prochain, s’il n’y a pas de feux, ça redeviendra un puits », explique-t-il.


Selon lui, lorsqu’on regarde les bilans globaux à l’échelle de tous les puits et toutes les sources de carbone, l’impact demeure très faible. « C’est juste que, parmi tous les termes qui interviennent dans le bilan carbone de la planète, il y a un terme qui est devenu un peu plus positif, mais c’est plus symbolique qu’autre chose. En fait, on se dit qu’il y a une zone qui était un puits qui est devenu une source. C’est une mauvaise nouvelle de plus parmi plein de nouvelles », précise-t-il.


Il s’agit donc d’un facteur de plus parmi d’autres qui sont responsables et qui agissent sur le réchauffement climatique. Le risque d’un emballement climatique est cependant réel. 


L’augmentation des températures liée au réchauffement climatique stimule la production et la croissance des végétaux qui absorbent du dioxyde de carbone, mais provoque aussi le dégel du pergélisol, relâchant deux gaz à effet de serre : le CO2 et le méthane ; gaz qui a un effet de réchauffement plus de 80 fois supérieur. Des conséquences se font aussi ressentir dans l’océan alors que la glace qui fond provoque l’affaissement des sols et l’érosion, générant des sédiments.


« Avec un apport de composés organiques ; un apport de sédiments va augmenter la turbidité, le carbone. La température de l’océan augmentera aussi donc après ça peut tout modifier dans les apports de nutriments, dans le cycle biogéochimique, dans la géophysique, la dynamique de l’océan, les courants… Ça peut tout changer », révèle Florent Dominé.

Une grande période d’adaptation

Les zones riches en glace qui fondent causent l’érosion côtière menaçant par le fait même certaines communautés ; phénomène que Florent Dominé a été à même de constater entre autres à la rivière Noatak, en Alaska et au Nunavik. « Au niveau planétaire, c’est vraiment la catastrophe, mais je pense que, pour l’Arctique, c’est quand même un milieu difficile. Il va y avoir une période d’adaptation qui va être très dure, mais les conséquences à long terme ne sont pas forcément toutes noires », estime-t-il.



Cérémonie de réouverture de la station de recherche Scotty Creek à l’été 2024. Photo : Jonathan Antoine


Face à ces changements à venir, une question lui vient toutefois en tête : « Comment est-ce que les populations autochtones qui ont toujours été depuis des siècles dans un climat hostile et froid, qui ont évolué là-dedans, qui se sont adaptées et qui s’y sentent bien, comment est-ce qu’elles vont pouvoir s’adapter à nouveau ? »


Il croit d’ailleurs que le climat va se réchauffer bien plus rapidement que les prévisions, et même bien plus vite que les prévisions les plus pessimistes. 


« Tous ces affaissements et toutes ces érosions transfèrent du carbone du pergélisol vers l’hydrosphère, où les microbes les mangent et les transforment en CO2 ou CH4, émettant des gaz à effet de serre. La plupart de ces processus ne sont pas pris en compte dans les modèles, de sorte que le réchauffement pourrait être plus rapide que projeté », affirme Florent Dominé.


Selon Tommy Tremblay, géologue du Quaternaire au Bureau géoscientifique Canada-Nunavut pour Ressources naturelles Canada, qui a pris connaissance de l’étude publiée dans Nature Climate Change, le fait qu’il y ait peu de points de mesure du CO2 dans l’Arctique canadien poussera possiblement les chercheurs à s’y intéresser. « Il pourrait y avoir des stations où l’on pourrait mesurer le CO2 et étudier un peu plus le cycle du CO2 dans les sols et ça pourrait bénéficier les connaissances sur les cycles biogéochimiques globaux. » 

Intégrer le savoir traditionnel dans la recherche

Depuis 2024, la Première Nation Líídlįį Kúę (LKFN) assure la gestion de la station de recherche Scotty Creek et a réaménagé le site afin que les membres de la communauté soient intégrés aux processus de recherche. En 2022, une partie des infrastructures avaient été détruites par un incendie. Il était vital pour LKFN que la station soit reconstruite le plus rapidement possible. Grâce à des financements récoltés immédiatement après l’incendie par la Première Nation, la nouvelle station a pu être érigée. Elle reflète aujourd’hui les valeurs dénées : une aire de rencontre a par exemple été ajoutée au site. 


Pour Dieter Cazon, le directeur des terres et des ressources au sein de LKFN, il est important que les connaissances traditionnelles dénées soient utilisées par la science occidentale. Cette combinaison de connaissances doit permettre de « mieux comprendre les effets du changement climatique afin de nous adapter aux changements que nous observons ».


Dans le cadre de la réconciliation, l’intégration du savoir traditionnel autochtone dans les domaines de la recherche est une occasion à saisir.


« C’est fascinant qu’il y ait une opportunité pour que la science occidentale et le savoir traditionnel travaillent ensemble sur un pied d’égalité pour un objectif commun : celui de mieux comprendre les changements sur le territoire et comment nous pouvons nous adapter à ces changements », conclut-il. 

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