Les chuchoteuses et les chuchoteurs de la banquise
Le 25 février 2025, quatre étudiantes et étudiants francophones des territoires ont eu l’occasion de rencontrer Guillaume Grima et de lui poser des questions. Arrivé second de la course Montane Yukon Arctic Ultra, Guillaume Grima a parcouru 600 km à pied en huit jours. Créée en 2003, cette course UltraTrail a lieu tous les ans au Yukon. Mathieu Blanchard est arrivé en tête, avec quatre heures d’avance sur Guillaume Grima. Une quarantaine de participants ont abandonné la course en cours de route.

Au départ de la course Montane Yukon Arctic Ultra. Photo Vincent Lapierre
Dans le cadre de cet atelier radiophonique panterritorial mise en oeuvre par les rédactions des médias francophones des trois territoires, les chuchoteuses et chuchoteurs de la banquise Rébecca Fico à Whitehorse, Sokhna Asta Mbacke et Sylvanie Kemche-Wache à Yellowknife ainsi qu’Arthur Lagacé à Iqaluit, ont posé plusieurs questions à l’athlète au sujet de cette course emblématique, mais aussi sur son parcours sportif.
Les Chuchoteur.euse.s : Comment t’es-tu entrainé pour cette course ?
Guillaume Grima : Il y a un peu une routine d’entrainement de base où je vais juste aller courir pour le plaisir, faire un peu de renforcement musculaire et après selon les courses que je prépare, je me prépare plus spécifiquement pour telle ou telle course, si c’est une course qui va demander un peu plus de vitesse, comme une course sur route, comme un marathon ou un semi-marathon, ou alors si c’est une course en montagne.
Donc là, je me suis entrainé un peu plus en montagne pour faire des dénivelés. Et puis pour cette course c’est très spécial parce qu’on tire une pulka. Il y a aussi le froid et le sommeil qui rentrent en jeu parce que c’est très long. Donc on dort pendant la course. Ce sont tous ces éléments que j’ai travaillés à l’entrainement. Je m’entrainais avec ma pulka derrière. Je mettais une grosse buche de bois dedans, pour faire du poids. J’ai dormi dehors pour m’entrainer, je faisais des campings comme ça dans la neige.
Qu’est-ce qui t’a motivé à participer à cette course ?
Moi, j’aime beaucoup le froid. En France, je viens des Alpes, dans la montagne, donc je préfère quand même beaucoup l’hiver à l’été. Je suis arrivé au Canada il y a deux ans et demi, je ne connaissais pas du tout ce genre de course, je ne savais pas que ça existait, et donc c’est en arrivant au Yukon, fin 2022, que j’ai découvert ce genre de course. Ça m’a intéressé, je me suis un peu renseigné et il y a deux ans, en 2023, j’ai participé aux 150 kilomètres de la Yukon Arctic Ultra, c’était un peu pour découvrir ce genre de course. Ça m’a beaucoup plu et deux ans plus tard je suis revenu pour faire la grande distance de 600 kilomètres.

À Yellowknife, Sokhna Asta Mbacke et Sylvanie Kemche-Wache à Yellowknife se sont prêtées avec joie à l’exercice de l’entrevue journalistique, accompagnées d’André Beaupré, moniteur de langue. Photo Élodie Roy
Est-ce que tu peux nous partager tes expériences de la course concernant les difficultés, les avantages, les points forts ou les points faibles ?
Le confort, il n’y en avait pas beaucoup, on est justement dans l’inconfort tout le temps, chaque seconde, il y a très peu de moments de repos, où on est vraiment au chaud, ou bien reposé. Il faut aussi gérer le froid. On a eu très très froid sur cette course-là cette année avec des températures jusqu’à moins 48 sur l’avant-dernière nuit. La température moyenne était plutôt entre - 32 et -35. Il faut toujours faire attention à soi, chaque seconde, pour vérifier si on n’a pas trop froid, si on sent encore nos pieds, nos mains, et même les oreilles, le nez. Il faut s’écouter, penser à soi, bien manger, bien boire et puis s’il y a quelque chose qui ne va pas, essayer de réagir assez vite pour voir comment on peut régler le problème pour continuer et avancer dans les meilleures conditions possibles.
Depuis combien de temps pratiques-tu la course d’UltaTrail ? Comment as-tu découvert ce sport-là ?
J’ai participé à ma première course de trail en 2007. J’avais 17-18 ans. C’était un petit trail chez moi de 12 km avec 600 mètres de dénivelé. J’avais participé avec ma maman, qui court aussi. Depuis, j’ai toujours un peu couru. En fait depuis que je suis arrivé au Canada, je me suis vraiment intéressé à la course, dans un entrainement plus à long terme. C’est un peu ce qui m’a emmené jusqu’à cette course cette année.
As-tu eu des moments vraiment difficiles, est-ce que tu as eu envie d’abandonner ?
L’abandon, pas vraiment. Parce que personnellement, chaque fois que je commence une course, je suis très motivé à la terminer. Donc en fait, si je n’ai pas réellement de blessure, je n’ai pas de réelle raison d’arrêter. C’est aussi pour ça qu’on fait ce genre de course, pour aller tester, pour trouver ses limites, pour voir de quoi on est capable. Donc tant qu’on n’a pas de réelle raison d’abandonner, on pense à des choses positives et puis on continue.

À Whitehorse, Rébecca Fico pose avec Guillaume Grima à l’issue de l’entrevue. Photo Nelly Guidici
Quel aspect de la course t’a particulièrement plu ou déplu ?
Ce qui m’a le plus plu, c’est la rencontre avec les autres athlètes. On ne se voit pas beaucoup pendant la course, mais avant la course, on a quelques jours où on se rencontre, où on a des breffages. Ça permet d’échanger avec d’autres athlètes, de voir comment eux se sont préparés. Et puis après, pendant la course, on se croise de temps en temps, on partage quelques kilomètres. Donc ça permet d’avoir le ressenti un peu de chacun à certains moments de la course. Bien sûr, on est concurrents entre nous, mais il y a quand même cette affaire de partage parce qu’on est dans la même galère donc ça, c’est plaisant. Après ce qui m’a déplu, c’est de ne pas avoir été au courant, de ne pas avoir su avant vraiment, la difficulté qu’on allait rencontrer lors de cette course, notamment au niveau du dénivelé. Avant la course, on nous avait dit que cette année c’était un tout nouveau parcours, donc même les organisateurs n’étaient pas vraiment au courant du dénivelé. Ils nous avaient dit entre 7000 et 8000 mètres de dénivelé et au final il y avait plus de 11 000 mètres de dénivelé. Donc, c’est vrai que cette difficulté-là, de ne pas avoir pu le savoir et l’anticiper, car on l’a découvert pendant la course, ce n’était pas forcément très agréable. C’était plus dur que prévu.
Est-ce que tu as eu des relations particulières avec les autres participants ? Si oui, est-ce que tu peux nous en parler, notamment du gagnant, avec qui tu as été très proche ?
Pendant la course, on ne se voit pas beaucoup, notamment parce que je suis parti un peu devant dès le début, avec Mathieu Blanchard, qui est franco-canadien. Les 180-200 premiers kilomètres, c’est vrai qu’on était un peu côte à côte. Il avançait plus vite que moi, mais, après, on se rejoignait aux checkpoints (points de controle) à chaque fois. J’ai croisé d’autres participants dans la nuit, donc c’était bien à ce moment-là de croiser quelqu’un après plusieurs heures tout seul. Ça met un peu d’action et puis de pouvoir échanger quelques mots, quelques minutes, ça permet de se reposer et puis ça permet d’échanger et d’avoir un petit moment de réconfort. On se dit bon courage pour la suite et puis après chacun repart de son côté, mais pour revenir à Mathieu c’est vrai que l’avant-dernier jour on s’est croisé à la sortie d’un [point de controle]. C’était vraiment beau ce moment parce qu’on venait de passer tous les deux une nuit compliquée, c’était la nuit la plus froide et donc quand on s’est vus, on s’est pris dans les bras, on était vraiment content de se retrouver à ce moment-là. On avait échangé quelques mots avant de repartir pour la dernière section avant l’arrivée. C’était vraiment un beau moment.
On se demandait comment tu t’es sentis à l’arrivée. Est-ce que tu savais que tu étais deuxième ?
Oui, je savais que j’étais deuxième, parce que du coup on n’était pas énormément au départ, donc très vite on sait à peu près à quelle place on se trouve, d’autant qu’il y a eu beaucoup d’abandons sur la course, notamment dès le premier [point de controle]. Et en fait je savais déjà que quand j’allais arriver, on était plus que quatre ou cinq coureurs, donc je savais qu’il n’y avait que Mathieu devant moi.
J’ai essayé de profiter de chaque kilomètre, de chaque seconde parce que ça allait bientôt s’arrêter. Dès que tu passes la ligne d’arrivée ça y est l’aventure est finie. À la ligne d’arrivée, il y avait quelques membres de mon entourage qui étaient là, quelques journalistes pour prendre des photos et puis j’ai vu des gens de Faro et des gens de l’organisation qui étaient là pour m’accueillir, donc c’était très très beau. Mais c’était en même temps un peu déroutant, parce que justement j’avais été huit jours quasiment tout seul, et donc là je me suis retrouvé avec une petite foule autour de moi.

À Iqaluit, Arthur Lagacé (à droite) a posé ses questions depuis les locaux de CFRT, la radio francophone d’Iqaluit, accompagné de Brice Ivanovic, rédacteur en chef du Nunavoix. Photo Élodie Roy
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