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Personnalité juridique de l’Athabasca : un coup d’épée dans l’eau?

Faire reconnaitre une personnalité juridique au bassin versant de la rivière Athabasca par le Régulateur de l’énergie de l’Alberta est voué à l’échec selon un ancien ministre de l’environnement des TNO.


La rivière Athabasca, qui coule en Alberta, est un important affluent de la rivière aux Esclaves, qui se jette aux Territoires du Nord-Ouest. Elle fait partie des cours d’eau assujettis à l’entente bilatérale établie dans le cadre de l’Entente sur les eaux transfrontalières du bassin Mackenzie.


Mais le bassin versant de l’Athabasca est un lieu primordial de l’exploitation des sables bitumineux. C’est pour le protéger que les Gardiens de l’eau, Ecojustice et l’Association pour la nature de l’Alberta ont demandé le 7 mars dernier au Régulateur de l’énergie de l’Alberta de lui accorder une personnalité juridique, citant comme précédent le cas de la rivière Magpie (Québec).


Les trois organismes ont simultanément exprimé leur préoccupation face au renouvèlement du permis de la compagnie Canadian Natural Upgrading (CNUL) d’exploiter pour 10 autres années son gisement de sable bitumineux Jackpine, situé à 70 kilomètres de Fort McMurray. Selon les informations présentées, CNUL retire quotidiennement du bassin de l’Athabasca une moyenne de 50 millions de litres d’eau. Les organismes déplorent que CNUL n’ait pas fourni au Régulateur toutes les informations sur la qualité de l’eau et de l’air, les impacts des contaminants ainsi qu’une évaluation des effets cumulatifs de Jackpine.




Le bassin versant de la rivière Athabasca (Photo : Phillip Meintzer)



Mauvaise porte

Michael Milteberger a occupé différents postes au gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, dont celui de ministre de l’Environnement et des Ressources naturelles. Il est actuellement membre du Forum for Leadership on Water (FLOW,) un groupe canadien indépendant d’experts sur les politiques de l’eau.


S’il considère que la demande de personnalité juridique est un « pas en avant », il affirme que le Régulateur de l’énergie, financé par l’industrie, n’accordera pas à l’Athabasca le statut désiré. « Le Régulateur n’oserait pas faire quelque chose d’aussi politique à moins qu’il ait l’approbation du gouvernement, ce qu’il n’aura pas, assure M. Miltenberger. Son travail est de faire en sorte que le développement continue […] et il est prêt à aller loin pour approuver toutes les requêtes de développement et défendre les raisons pour lesquelles il y a un déversement. […] Mais je souhaite bonne chance [aux signataires]. Nous applaudissons leurs efforts. À Fort Smith, nous sommes aux premières loges de la Slave. »


Faibles espoirs

Spécialiste de la conservation à l’Association de l’Alberta pour la nature, Phillip Meintzer concède que les espoirs de l’approbation du Régulateur de l’Énergie de l’Alberta sont peu élevés.

« Nous avons, dit-il, notre propre perception quant à savoir s’ils opèrent d’une manière durable et responsable. Nous n’avons pas de grands espoirs. »

Le Régulateur a 60 jours pour répondre.


Le choix du Régulateur, explique M. Meintzer était une « démarche opportuniste » dans le cadre de la demande de renouvèlement de CNUL. « C’était une opportunité pour exprimer notre constat de préoccupation. On voulait tester une nouvelle approche pour ralentir ce projet. Ce n’est peut-être pas la meilleure avenue, mais c’est une nouvelle approche pour nous, une occasion d’apprentissage. »


Le pouvoir local

Au Québec, ce sont la Première Nation d’Ekuanitshit et une entité administrative régionale qui ont voté en 2021 le statut de personnalité juridique à la rivière Magpie pour la protéger d’éventuels barrages hydroélectriques.

« Le support de deux ordres de gouvernement fait un énoncé politique fort, commente Michael Miltenberger. Ce sont des élus chargés de surveiller le bienêtre du territoire et des gens qui y vivent. »

« C’était très fort comme message, se rappelle Mathieu Bourdon, impliqué dans le processus. Ça venait de la base alors que les lois viennent toujours d’en haut. »

La personnalité juridique de la Magpie n’a jamais été testée en cour.

« Ça pourrait être défait, admet M. Bourdon. On a l’avantage de la couverture médiatique, mais on est très conscients que ce n’est rien qui ne pourrait être défait par une armée d’avocats. »

Il souligne que le contexte de la Magpie, vierge de tout développement, est très différent de celui de l’industrieux Athabasca.


Reconnaissance

Également impliquée dans l’obtention du statut de la Magpie et de différents cours d’eau à travers le monde, la présidente de l’Observatoire international des droits de la Nature et avocate, Yenny Vega Cardenas affirme quant à elle le pouvoir des instances locales.

« Nous sommes dans un système de common law, rappelle-t-elle. Les juges doivent considérer tous les droits qui existent lors de la prise de décision. Et la Cour Suprême a reconnu qu’une autorité locale est mieux placée qu’une autorité plus lointaine pour protéger l’eau ou l’environnement. »


Mme Cardenas hésite à se prononcer sur les chances de la proposition albertaine d’être validée. Elle juge originale l’approche des proposants, qui affirmeront représenter la rivière. « Mais il leur aurait à mon avis fallu une résolution en bonne et due forme d’un ordre juridique, à tout le moins autochtone », nuance-t-elle, ajoutant se questionner sur la stratégie des organismes.


Phillip Meintzer est convaincu que si le Régulateur refuse d’endosser leur proposition, d’autres occasions se présenteront de faire accorder une personnalité juridique au bassin de l’Athabasca et que l’appui des Métis, des Premières Nations et des municipalités pourrait alors être sollicité.

« Ils auraient un support massif des communautés, jusque dans les Territoires », croit Michael Miltenberger.


Yenny Vega Cardenas, présidente de l’Observatoire international des droits de la Nature 

(Courtoisie Sofi Langis)


Reconnaissance croissante

Les droits de la nature sont de plus en plus reconnus affirme Yenny Vega Cardenas et la protection inhérente à la personnalité juridique des cours d’eau a été testée en droit à plusieurs reprises. « Au niveau international, beaucoup de cours nous ont surpris avec des décisions écocentristes. En Colombie, dans le cas du fleuve Atrato, la cour est arrivée à la conclusion que ce n’est plus suffisant de dire qu’on protège les droits humains. Il faut protéger le fleuve pour protéger les droits humains à l’eau. »


« Pour une première fois dans l’humanité, des juges penchent en faveur de la nature, se réjouit la présidente de l’Observatoire international des droits de la Nature. Parfois, des décideurs créent du nouveau droit. Ils se rendent compte qu’on est dans une nouvelle ère et que la situation planétaire demande des solutions avant-gardistes. »

Actuellement, 15 fleuves et rivières dans le monde seraient juridiquement reconnus; l’Observatoire œuvre à y ajouter le fleuve Saint-Laurent (Québec).

 

L’entente bilatérale

En octobre 2023 à l’Assemblée législative, l’ex-ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Shane Thompson, a dit avoir exprimé à plusieurs occasions à son homologue albertain ses préoccupations sur les fuites potentielles d’eau résiduelle et les infiltrations provenant des bassins de rejet des sables bitumineux dans la rivière Athabasca.

« C’est important de faire attention à ce qui se passe de l’autre côté de la frontière, cette eau coule ensuite chez nous », convient la directrice générale d’Ecology North, Dawn Tremblay.


Pour Michael Miltenberger, l’Athabasca est une rivière clé pour l’ensemble du bassin versant du fleuve Mackenzie et « ce qui se passe en Alberta affecte tout le monde jusqu’à l’Océan Arctique ». « L’entente signée en 2014 avec l’Alberta comporte des engagements spécifiques sur la quantité et la qualité de l’eau, sur ce qu’il faut faire en cas de problème, note-t-il. […] Mais l’entente est aussi forte que les politiciens qui doivent la mettre en pratique. Si des premiers ministres comme Mme Smith décident de la déchirer ou de l’ignorer… »

Le membre de Flo assure que plusieurs personnes voudraient qu’une personnalité juridique soit accordée au Mackenzie. « Qu’est-ce qu’ils attendent pour le faire? demande Mme Cardenas ».


M. Miltenberger dit qu’il y a eu de grandes discussions il y a plusieurs années pour que le statut de « fleuve d’intérêt national » soit attribué au Mackenzie, mais que « ça avait rendu les gouvernements très nerveux » et que ce fut un échec.

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