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Marie-Soleil Desautels

Recherche sur le pergélisol à Scotty Creek : Scotty Creek - vers un leadeurship autochtone

La terre des Dénés héberge la station de recherche Scotty Creek où sont auscultés le pergélisol et les changements climatiques. Le directeur de cette station souhaite que des membres de la nation en prennent le leadeurship et qu’encore plus d’autochtones collaborent avec les universitaires. Pour ce dernier texte d’une série sur la station, Médias ténois aborde l’implication grandissante des Premières Nations.


On survole la taïga des plaines pour se rendre à Scotty Creek, où abondent les milieux humides. (Crédit photo : Marie-Soleil Desautels)


C’est à coup de financements de projets de recherche universitaire que la station Scotty Creek est née. William Quinton, directeur de la station et professeur au dépar- tement de géographie et d’études environnementales de l’Université Wilfrid-Laurier, située en Ontario, a déposé parmi les toutes premières demandes, il y a plus de 20 ans, et y a planté la première tente, alors qu’il était doc-torant à l’Université de la Saskatchewan. La station de Scotty Creek s’est développée jusqu’à devenir l’un des lieux de recherche les plus occupés du nord du Canada. Mais il est temps de passer le flambeau.

« J’ai 57 ans, dit celui que tout le monde surnomme “Bill” lors d’un appel, et je veux que le leadeurship de la station soit transféré bien avant ma retraite. Les autoch- tones pourront choisir leurs partenaires, les universités, les gouvernements et peut-être même des industries, et aussi voir s’ils veulent l’utiliser comme lieu d’éducation ou de rassemblement. On travaille sur un plan et il y a beaucoup de paperasse, mais, un jour, j’espère n’y être qu’un invité. »

Depuis quelques années déjà, un projet nommé Dehcho Collaborative on Permafrost (DCoP) a été mis en place par la station de recherche et le gouvernement régional des Premières Nations du Dehcho, qui regroupe dix communautés. Une alliance qui marie le besoin supplémentaire de connaissances sur le pergélisol et une prise de conscience de l’impact négatif de son dégel sur les habitants.

Bill compare Scotty Creek à une « usine de connais- sances » où des données complémentent le savoir tra- ditionnel. « Ça leur donne du pouvoir », affirme-t-il, en racontant cette anecdote où Enbridge prétendait qu’il n’y avait pas de pergélisol dans un secteur. Des gardiens, des résidents employés par les communautés pour surveiller l’eau et la terre et lui sont allés vérifier sur le terrain, ce qui a permis aux représentants autochtones de corriger Enbridge. S’ils prennent le leadeurship, croit-il, ils détiendront encore plus de pouvoir.

« Ce vers quoi travaille Bill est vraiment fantastique », dit Ramona Pearson, coordonnatrice des communications pour les Premières Nations du Dehcho, en entrevue en ligne. « Est-ce que le leadeurship aboutira dans les mains d’une première nation ou dans celles, par exemple, de notre gouvernement régional? Je ne sais pas encore quelle forme ça prendra, mais je suis excitée de voir le résultat. Une telle station offre des opportunités à plusieurs groupes pour apprendre et se rassembler. On est tellement connecté à la Terre. C’est se tirer dans le pied que de ne pas la comprendre davantage. » Elle espère qu’un groupe dans le Dehcho prendra en charge la direction et l’entretien du site.


COVID : partenariat et formation

La pandémie de COVID-19 a d’ailleurs accentué le besoin de collaboration. « Comme on ne pouvait plus s’y rendre, les gardiens avec qui on travaille ont sauté sur le banc du conducteur », dit Bill. Ils ont, par exemple, réparé des infrastructures ou collecté des échantillons d’eau pour que leur contenu soit analysé.

Mike Low, coordonnateur du Programme autochtone de gestion des ressources aquatiques et océaniques pour les Premières Nations du Dehcho, dont les fonds payent les gardiens, faisait partie de ceux qui parcouraient la route pour collecter des échantillons. Bon nombre l’ont fait pour Lauren Thompson, candidate au doctorat à l’Université d’Alberta, qui s’intéresse au mercure dans le pergélisol et les cours d’eau. « Après la collecte, poursuit-il, on obtient en retour des informations sur la santé de nos rivières. C’est très positif comme partenariat et ça nous aide à obtenir du financement. »

Mais pour d’autres interventions, c’était plus com- plexe. L’équipe d’Oliver Sonnentag, professeur agrégé du département de géographie de l’Université de Montréal, traverse le pays régulièrement pour entretenir 10 tours de covariance des turbulences installées dans les Territoires du Nord-Ouest, dont l’une est située à Scotty Creek. Ces tours, aux instruments complexes et alimentés par des panneaux solaires et des éoliennes, mesurent les échanges nets de vapeur d’eau, de gaz carbonique et de méthane, ce qui permet d’observer les changements climatiques. Et elles ont besoin de soins, soins qu’elles n’ont pas pu recevoir à cause de la pandémie, qui a restreint les déplacements.


Le professeur Oliver Sonnentag a obtenu du financement pour former des autochtones à l’entretien des tours de covariance et de leurs instruments. (Crédit photo : Marie-Soleil Desautels)


Lors de son passage à Fort Simpson, à la mi-juillet, Oliver Sonnentag m’a invitée à assister à des rencontres qu’il avait planifiées avec des représentants de trois communautés pour leur faire part d’un projet : former de 6 à 10 autochtones afin qu’ils entretiennent des tours, à raison d’environ 30 jours par année chacun. Il a obtenu du financement pour deux ans du Centre des compétences futures afin de former des Ténois et d’ainsi réduire la dépendance d’experts provenant de l’extérieur des TNO.

Il a d’abord expliqué son projet en personne autour d’œufs et de rôties à Ruby Jumbo, directrice de la Pre- mière Nation Sambaa K’e (Trout Lake). Puis en buvant du café avec Dieter Cazon, gestionnaire des terres et desressourcesdelaPremièreNationŁıı́́dlı̨ı̨́́Kųę́́ (Fort Simpson). Et finalement en déjeunant avec Stanley Sanguez, le chef de la Première Nation Tthets’ek’ehdeli (Jean Marie River).

L’objectif : que ces représentants parlent du projet dans leur communauté et recrutent des gens intéressés à suivre une formation en ligne cet automne, à raison d’une heure et demie pendant huit semaines, puis une formation pratique de deux semaines complètes au début de 2022.

Ruby Jumbo s’est dite prête à sonder l’intérêt dans sa communauté. Dieter Cazon était ravi de ce projet complémentaire pour des gardiens avec qui il travaille. Stanley Sanguez, dont la communauté a été dévastée par les inondations printanières de mai dernier, a affirmé que la priorité des siens est centrée sur les changements climatiques et que ce projet allait en ce sens.

Oliver Sonnentag a aussi établi des contacts avec les communautés de Wrigley, Behchokǫ̀ et Inuvik, puisque les tours sont distribuées dans les TNO.

Entre deux rencontres, le professeur me dira que les subventions de recherche obtenues à l’habitude ne permettent pas de former des gens sur le terrain. Et comme le financement du Centre des compétences futures ne dure que deux ans, il entreprend des démarches pour obtenir d’autres fonds. Il en a aussi discuté avec un responsable au ministère de l’Environnement et des Ressources naturelles du gouvernement ténois qui a répondu que ce projet allait de pair avec leurs objectifs, au point d’offrir un espace de bureau à l’employée de l’Université de Montréal qui, entre autres, se chargera de la formation.

« J’ai bon espoir que l’on pourra conti- nuer à employer des gens pour l’entretien au-delà des deux années du projet grâce à l’intérêt du ministère de l’Environne- ment », dit le professeur.

Ses candidats idéaux sont jeunes, mais, surtout, motivés. Comme Nicolas dePel- ham, 29 ans, ou Garrett Esaiah, 27 ans, tous deux gardiens grâce au Programme autochtone de gestion des ressources aquatiques et océaniques à Fort Simpson. Mike Low et Dieter Cazon m’ont mise en contact avec eux. Je suis montée à bord de leur bateau à moteur un bel après-midi pendant qu’ils récoltaient mille-et-une données sur le fleuve Mackenzie : le pH de l’eau, sa température, sa conductivité et son taux d’oxygène dissout à la jonction de tributaires, leurs observations d’animaux, de nouveaux glissements de terrain dus au dégel du pergélisol, etc.

Nicolas dePelham et Garrett Esaiah, gardiens pour le Dehcho, récoltent des données sur le fleuve Mackenzie. (Crédit photo : Marie-Soleil Desautels)



Si c’est le premier été de Garrett à naviguer d’un site à l’autre sur le fleuve, ça fait presque 10 ans pour Nicolas. De voir ce fleuve, qu’il connait si bien, inonder Fort Simpson en mai dernier l’a d’ailleurs bouleversé. « Ça fait peur, dit Nicolas. Avec les changements climatiques, on ne sait plus ce qui nous attend. » Celui-ci se rend à Scotty Creek une ou deux fois par année pour y faire de l’entretien, vérifier des batteries ou télécharger des données.

La nouvelle formation pour entretenir les tours de covariance a suscité leur intérêt, a confirmé fin aout Dieter Cazon. Selon Mike Low, la pandémie « a braqué les projecteurs sur les gardiens, sur ce qu’ils sont capables de faire et l’importance de les avoir sur le terrain ».

Ramona Pearson, coordonnatrice des communications pour les Premières Nations du Dehcho, est à 100 % derrière « toutes les initiatives qui aident les droits à l’autodétermination dans le Dehcho », comme celle d’entretenir les tours. Selon cette jeune femme, ce projet peut « servir à la construction identitaire ». Et l’offre de prendre le leadeurship à Scotty Creek ne peut pas attendre. « On ne peut pas délibé- rer pendant les 5 ou 10 prochaines années. Je presse nos communautés membres : il faut sérieusement penser le faire, car ça pourrait être la fondation de notre engagement pour l’avenir. Être proactif est mille fois mieux que d’être réactif et les récentes inondations catastrophiques nous l’ont rappelé. »

En attendant, un projet d’éducation auquel Bill tient aura encore lieu l’hiver prochain à Scotty Creek : accueillir pendant une semaine des élèves d’écoles secondaires du Dehcho pour les former sur l’écohydrologie de la neige et les sensibiliser encore plus aux change- ments climatiques. « Les enjeux qu’on étudie, rappelle-t-il, c’est eux que ça concerne. »

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