Un anthropologue au parcours remarquable
L’anthropologue, enseignant et professeur émérite de l’université Laval, Bernard Saladin d’Anglure s’est éteint le 25 février 2025 en France à l’âge de 88 ans.

Directeur de recherche au Centre d’études nordiques et directeur du programme d’anthropologie de l’Université Laval, M. Saladin D’Anglure a aussi collaboré avec des institutions gouvernementales et des communautés locales pour mener des recherches de terrain, en particulier auprès des Inuits et des Inuvialuits, et mieux comprendre les transformations sociales et culturelles de ces populations.
Sa carrière de plus de 60 ans a pavé la voie de l’anthropologie inuite au Canada. Dès 1956, suite à l’obtention d’une bourse de la Fondation Zellidja en France, il se rend au Nunavik dans les collectivités de Quaqtaq et Kangirsuk. Il en rapporte de nombreuses notes et observations ainsi qu’un film ethnographique de 21 minutes. Les Inuits du Nunavik a été l’un des premiers film à offrir une représentation authentique et respectueuse de la vie des Inuits, tout en contribuant à faire connaitre leurs traditions, leurs défis et leurs modes de vie.
Parlant couramment l’inuktitut, l’anthropologue s’est aussi intéressé à la parenté et a accompagné Mitiarjuk Nappaaluk, une femme originaire de Kangiqsujuaq, dans le processus d’écriture de son ouvrage Sedna. M. Saladin d’Anglure a rencontré Mitiarjuk, qu’il décrivait comme une femme remarquable, durant l’été 1960. Lorsqu’il revint dans son village en 1965 pour sa première mission scientifique du CNRS, elle le fit entrer dans l’univers du troisième sexe social inuit et pendant plus de un an, ils ont travaillé ensemble sur le manuscrit de Mitarjiuk qui est aussi devenu l’objet de la thèse de doctorat de M. Saladin d’Anglure.
Dans un article paru en 2017 intitulé L’œuvre et l’apport de Bernard Saladin d’Anglure, l’anthropologue Louis-Jacques Dorais qui a travaillé de nombreuses années auprès de lui rappelle que M. Saladin d’Anglure « a été parmi les premiers à explorer de façon systématique les liens entre genre, parenté et pratiques chamaniques. Ses concepts de “troisième sexe social” (un chevauchement des genres qu’on retrouve chez beaucoup de praticiens des médiations religieuses) et d’“atome familial” (…) ont fait école et inspiré des recherches en sciences sociales ».
Après l’obtention de son doctorat, il a élargi la portée de ses recherches pour se pencher sur le chamanisme et l’organisation politique. Il s’est rendu chaque année au Nunavik et au Nunavut, notamment à Igloolik et sur l’ile de Baffin. Il a également visité le Labrador, le Groenland, l’Alaska ainsi que les Territoires du Nord-Ouest, où il s’est rendu dans les communautés Inuvialuites.
En avril 2006, il a publié Être et renaitre inuit, homme, femme ou chamane. Cet ouvrage incontournable de l’anthropologie inuite retranscrit et analyse la conception originale de l’être et des mythes d’origine de la vie humaine, de la différenciation des sexes, de la mort et du chamanisme.
Léa Hiram se souvient avec émotion de M. Saladin d’Anglure. C’est sous sa direction, et celle de Frédéric Laugrand qu’elle a réalisé sa maitrise en anthropologie et amorcé un doctorat au sein de l’Université Laval.
« Bernard était un orateur exceptionnel. Sa mémoire prodigieuse nous permettait de vivre chacune de ses histoires avec une précision étonnante. Il racontait ses nombreux séjours dans l’Arctique, à Igloolik et au Nunavik, de récits de chamanes, avec ce qu’il fallait pour fasciner ou faire réagir son auditoire ».
Elle le décrit à la fois comme quelqu’un de fascinant, passionnant, éloquent, intarissable, énergique, acharné, tenace, extrêmement curieux, exigeant, enthousiaste, intelligent et surprenant.
« Il transmettait sa passion pour la culture inuite avec vigueur, tant aux non-Inuits qu’aux Inuits, car, au fil des années, il était devenu le détenteur d’un savoir devenu rare et précieux », se rappelle Mme Hiram.
Bernard Saladin d’Anglure peut être considéré comme le fondateur des études inuites à l’Université Laval et il a cofondé en 1977 la revue bilingue Études Inuit Studies dédiée aux sociétés inuites circumpolaires. Dans une série d’entretiens filmés en mars 2014, Bernard Saladin d’Anglure résume son parcours de la sorte : « Faire le bon choix au bon moment, envers et contre tout, contre presque tous, car il y a toujours eu des gens qui ont cru en moi et m’ont aidé à m’exprimer. »
Selon lui, l’intuition, l’empirisme, et même la sérendipité ont joué un rôle important dans ses recherches tout au long de sa carrière.
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