Une route arctique prometteuse mais disputée
À l’aube de l’investiture de Donald Trump à la présidence américaine, le passage du Nord-Ouest demeure un endroit hautement stratégique tant pour le Canada que pour les États-Unis.
Nelly Guidici
Pour David Dubé, meme si il est encore trop tot pour envisager le passage du Nord-Ouest comme une voie navigable sécuritaire, il demeure au centre de l’intérêt de tous les pays du monde qui souhaitent en bénéficier pour le transport de marchandises
La question de la souveraineté du passage du Nord-Ouest ne date pas d’hier et remonte à plusieurs décennies. La première crise de souveraineté remonte à 1969 lorsque le Manhattan, pétrolier converti en brise-glace et détenu par une compagnie américaine, a transité par le passage du Nord-Ouest, sans permission officielle du gouvernement canadien. L’objectif de cette opération était de démontrer l’intérêt commercial de cette voie navigable. Cependant cette opération n’a pas été concluante et le pétrolier s’est retrouvé bloqué par les glaces à plusieurs reprises.
Depuis, le Canada a réitéré sa position à plusieurs reprises et notamment dans sa politique étrangère pour l’Arctique lancée fin 2024. Selon la porte-parole au sein d’Affaires mondiales Canada, Charlotte MacLeod, « le Canada jouit d’une pleine souveraineté sur ces eaux intérieures. »
Cette politique, présentée notamment comme un outil stratégique diplomatique, réaffirme la position du pays sur le statut du passage du Nord-Ouest.
« Les eaux de l’archipel Arctique du Canada, y compris les différents chenaux constituant le passage du Nord-Ouest, sont des eaux intérieures du Canada aux termes d’un titre historique et en conformité avec le droit international. La souveraineté du Canada dans l’Arctique s’étend aux terres, aux eaux et aux glaces. Elle s’étend sans interruption aux côtes des iles arctiques tournées du côté de l’océan et au-delà. Ces iles sont rattachées, et non divisées, par l’eau qui se trouve entre elles et elles sont reliées la plus grande partie de l’année par de la glace ».
Dans un courriel adressé à Médias ténois le 13 janvier 2025, Mme MacLeod rappelle que la politique relative au passage du Nord-Ouest est établie de longue date et est soutenue par le droit international.
Or, c’est le statut du passage du Nord-Ouest revendiqué par le Canada qui a été remis en cause à plusieurs reprises par les États-Unis.
Stéphane Roussel, professeur titulaire à l’École nationale d’administration publique à Montréal, s’attend à plusieurs réactions, de la part de l’Europe et des États-Unis, car ce sujet demeure sensible.
Selon lui, ni Washington, ni les autres capitales souhaitent créer de précédents qui pourraient être invoqués par d’autres États qui bordent un détroit international comme le détroit de Malacca (entre la Malaisie et l’Indonésie) et le détroit d’Ormuz (dans le golfe Persique). Ces détroits sont absolument vitaux, non seulement dans le commerce maritime, mais aussi pour le déplacement des flottes militaires.
« On ne veut absolument pas créer un précédent où on dirait qu’un État comme le Canada a le pouvoir de déterminer qui passe et qui ne passe pas à travers le détroit en question », indique-t-il en entrevue.
L’intérêt de l’Europe et de l’Asie
Le passage du Nord-Ouest ne constitue pas, à ce jour, une alternative au canal de Panama. Comme le rappelle, David Dubé, étudiant au doctorat en science politique à l’Université McGill à Montréal, les conditions de navigation sont encore trop difficiles et complexes.
« Il y a énormément de glace. Il va falloir attendre quelques années, quelques décennies, encore avant que le passage du Nord-Ouest soit fonctionnel et sécuritaire ».
Cependant, cette voie navigable est plus courte et fait office de raccourci, en particulier pour les pays d’Europe et d’Asie. En effet, « la route entre l’Europe et l’Asie par le passage du Nord-Ouest est plus courte de 26 % que par le canal de Suez, et présente un trajet trois fois plus court que par le cap Horn », peut-on lire dans la publication Le passage du Nord-Ouest : une route maritime en devenir ? de Frédéric Lasserre.
Les États-Unis n’ont jamais caché leur intérêt pour le développement des ressources naturelles comme le pétrole et les métaux. Ce serait plutôt dans une optique future de développement de ses ressources que les États-Unis pourraient envisager le passage du Nord-Ouest comme une option de voie navigable de l’Alaska vers les États du Sud.
Cependant le passage du Nord-Ouest et la région arctique sont des endroits stratégiques à divers degrés qui intéressent tous les pays pour des raisons économiques.
« Tout le monde veut bénéficier de cette voie maximale, parce que c’est pour le commerce, pour l’économie, c’est vraiment stratégique », explique M. Dubé.
Un maintien de la coopération avec les États-Unis?
Les propos du futur président américain, qui souhaite annexer le Groenland et le Canada, sèment le chaos d’après M. Roussel. Non seulement ces déclarations témoignent d’un manque de respect vis-à-vis des états, mais démontrent aussi une forme de repli sur soi.
Pour M. Dubé, ces différents discours cadrent avec un impérialisme exceptionnel américain.
Pourtant, les États-Unis restent un partenaire et un allié privilégié pour le gouvernement du Canada. La politique étrangère pour l’Arctique reconnait les États-Unis comme l’un des partenaires les plus importants du Canada dans l’Arctique, précise Mme MacLeod.
« Le Canada a toujours entretenu une relation solide avec les États-Unis sur les questions relatives à l’Arctique, sous diverses administrations, et nous sommes convaincus que cette relation se poursuivra à l’avenir ».
De même, M. Roussel estime que la divergence n’exclut pas la coopération et « qu’il est toujours possible que les deux états continuent de travailler ensemble malgré des désaccords diplomatiques très sérieux comme celui-là ».
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