Quand les employés du traversier de la rivière Liard se sont syndiqués, il y a plus d’un an, il ne s’attendait probablement pas à ce que la négociation de leur première convention collective prenne de telles proportions. En l’espace de quelques semaines, les travailleurs se sont retrouvés tour à tour en grève, en lock-out, tout fait au dépourvu et finalement au service d’un nouvel employeur. En filigrane, deux communautés ont été coupées du monde extérieur et des briseurs de grève ont été embauchés dans le Nord pour la première fois depuis la fameuse grève de la mine Giant.
Le nœud de l’affaire commence le 7 octobre quand, suite à des menaces de grève qui se faisaient déjà entendre en juillet, la Commission canadienne des relations de travail détermine que le traversier n’est pas un service essentiel et qu’il peut être interrompu. Un avis de grève est aussi tôt déposé par l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC), le syndicat qui représente les employés du traversier.
Depuis le début des négociations, les parties sont à couteaux tirés. D’une part, l’employeur refuse catégoriquement de rencontrer le syndicat. De l’autre, le syndicat fait demande importante. On parle d’augmentations salariales de 30 à 40 %
Le 12 octobre, la grève est bel et bien enclenchée, coupant ainsi Fort Simpson et Wrigley de leur lien avec la route. Mais, coup de théâtre, deux jours plus tard, l’employeur, Rowe’s construction, annonce qu’il met les grévistes en lock-out. L’employeur rétablit, du même coup, le service en faisant appel à des briseurs de grève. Cela, on s’en doute, déplait au syndicat.
« Non seulement cet employeur utilise des scabs venus du Sud, mais en plus il est le premier à le faire depuis 1992 », s’énerve alors le vice-président de l’AFPC pour la région du Nord, Jean-François Deslauriers. Todd Parsons, du Syndicat des travailleurs et travailleuses du Nord, indique pour sa part que l’emploi de briseurs de grève est « le geste le plus répréhensible qu’un employeur puisse poser ».
Dès lors, le syndicat multiplie les demandes au gouvernement des TNO pour qu’il intervienne dans le conflit. En effet, c’est à titre de contractuel du GTNO que Rowe’s opère le service de traversier. Le bateau appartient d’ailleurs au gouvernement.
Des allégations sont faites à l’effet que les briseurs de grève ne respectent pas les règles de sécurité nécessaires et que le service qu’ils offrent n’est pas à la hauteur des attentes des usagers. Selon le syndicat, l’employeur violerait, de ce fait, le contrat qui le lie au gouvernement.
C’est à ce moment que les plaintes et pétitions adressées réclamant l’action du gouvernement dans le conflit et signalant l’incompétence de la main d’œuvre de remplacement commencent à s’empiler dans les pigeonniers des députés de l’Assemblée législative.
Entre temps, l’influente Nation dénée prend le parti des travailleurs. L’organisation qui semble de plus en plus encline à supporter le mouvement ouvrier a déclaré, dans un communiqué de presse pour le moins nébuleux, qu’elle considère que l’attitude de l’employeur et du GTNO ne respecte pas les Dénés et leur « droit inhérent d’établir [leurs] propres législations ».
C’était il y a près de deux semaines.
Mais voilà, depuis, les choses se sont bousculées. Le 20 octobre, Rowe’s a annoncé qu’elle renonçait à honorer son contrat avec le GTNO. La compagnie basée à Hay River a pris ses cliques et ses claques et a laissé les travailleurs en plan sur les lignes de piquetage. À nouveau, Fort Simpson et Wrigley se sont retrouvées sans approvisionnement routier. Les habitants sont réduits à regarder anxieusement les bonbonnes de propane qui réchauffent leurs maisons se vider.
À partir de ce moment, le syndicat affirme que, dans ses conditions, les travailleurs deviennent de facto des contractuels saisonniers du gouvernement et que c’est avec ce dernier que les négociations doivent se poursuivre. « Si le GTNO veut que le traversier fonctionne, s’est enquis Todd Parsons, il n’a qu’à me donner un coup de fil et je lui envoie mon équipe de négociation sur-le-champ. »
Il faut croire que l’appel a été bien reçu, parce que, pas plus tard que mardi soir, le ministère des Transports a annoncé qu’il embauchait officiellement les travailleurs du traversier. Ils deviennent donc couverts par la convention collective du gouvernement avec tous les avantages que cela implique.
Selon Jean-François Deslauriers, l’entente serait permanente et implique que les employés seront réembauchés à la prochaine saison.
Mercredi matin, les employés ont regagné leur boulot et le service de traversier a été rétabli, mettant ainsi fin à cet épisode trouble de la lutte ouvrière aux TNO.