Quatre avocats ont plaidé la cause des gouvernements impliqués dans la poursuite judiciaire sur les services en français du GTNO.
Ils ont plaidé du 1er au 3 novembre dernier à Yellowknife dans le cadre de la poursuite judiciaire intentée par la Fédération Franco-TéNoise, L’Aquilon et d’autres sur la prestation de services en français par le gouvernement des TNO.
Institution autonome
Tous les procureurs représentant les gouvernements sont d’accords sur un point majeur de cette cause: les articles 16 à 20 de la Charte canadienne des droits et libertés, les articles concernant les langues officielles, ne s’appliquent pas au gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. Pour Me Roger Tassé, représentant le gouvernement territorial, l’article 30 de la Constitution est clair, les dispositions qui visent les provinces visent également les territoires.
Cet article énonce que « les dispositions qui visent les provinces, leur législature ou leur assemblée législative visent également le territoire du Yukon, les Territoires du Nord-Ouest ou leurs autorités législatives compétentes. »
Selon Me Tassé, ce n’est pas parce qu’une loi fédérale a établi les territoires que ceux-ci deviennent une institution du gouvernement fédéral. Pour appuyer ce point, il a souligné que ce sont des lois fédérales qui ont créé Bell Canada et les banques et que ces institutions ne sont pas pour autant considérées comme des institutions du gouvernement fédéral. Or, pour Me Tassé, le contexte est clair : le gouvernement fédéral a transféré des pouvoirs et des responsabilités qui rendent les territoires semblables aux provinces en termes d’autonomie face au fédéral.
Pour son collègue,Me Maxime Faille, bien que le GTNO épouse les objectifs de bilinguisme de la Charte, il ne veut pas se sentir lié par les dispositions 16 et 20. Le GTNO ne se considère pas une branche du gouvernement fédéral, mais est fier de son autonomie et de ses propres institutions.
Pour Me Préfontaine, représentant le gouvernement fédéral, le gouvernement territorial est une institution distincte du fédéral bien que subordonnée. Ce faisant, le fédéral n’est pas responsable de la façon dont le GTNO s’acquitte de ses obligations linguistiques. Me Préfontaine a souligné que le fédéral s’est acquitté de ses obligations en matières constitutionnelle: en créant un gouvernement autonome, en appuyant l’adoption d’un régime linguistique, en l’enchâssant dans la loi constitutionnelle des TNO et en signant un accord de financement.
Compétence de la cour
Qu’il y ait ou non absence de plan directeur ou d’un plan global pour la prestation de services en français est une question purement académique. Pour Me tassé, la responsabilité de la prestation de services est mieux assumée par ceux qui en ont charge et non par un fonctionnaire à Ottawa.
Cette notion a un impact sur ce que le tribunal peut décider en la matière. Selon Me Tassé, le tribunal peut regarder s’il y a eu violation mais ne peut regarder s’il y a des moyens alternatifs. Me Faille renchérit sur cette interprétation et souligne que ce n’est pas à la cour de prendre la place des instances démocratiques, de l’appareil gouvernemental. Le tribunal ne peut se prononcer sur les façons d’offrir les services. Il a souligné que les plaignants n’ont pas prouvé que l’absence de plan global a causé des préjudices.
« Le rôle du tribunal n’est pas d’agir comme une commission d’enquête », a-t-il insisté.
D’autre part, la cour ne devrait pas accepter de demeurer saisie du dossier à la suite du jugement. « Ça reviendrait à une tutelle judiciaire », a souligné Me Faille. Pour Me Préfontaine, la cour devrait se contenter d’une déclaration dans son jugement final.
Bilinguisme intégral
La Loi sur les langues officielles des TNO prévoit une égalité de statut pour le français et l’anglais aux TNO. Pour Me Tassé, on ne peut interpréter la Loi comme visant l’imposition d’un bilinguisme intégral. Le gouvernement a plutôt l’obligation de chercher le moyen le plus équitable possible tout en restant réaliste. « Mais le choix des moyens appartient au gouvernement», soutient Me Tassé.
Pour Me tassé, il n’y a pas eu vraiment de violations de la loi par le GTNO. Il y a eu des erreurs de parcours, des problèmes de prestation de services dans des domaines où il y a en général des problèmes de pénurie, comme en santé, mais le gouvernement a fait preuve de bonne volonté. Citant le Rapport Bastarache, Me Tassé insiste pour que soit appliqué le principe de «raisonnabilité des choses», de reconnaître qu’il n’est pas question d’appliquer un bilinguisme intégral ou offrir des services identiques.
La preuve mise à mal
Pour Me Faille, la preuve présentée par les plaignants n’a pas résisté aux interrogatoires et, de ce fait, n’est pas probante. Il soutient qu’aucun gouvernement ne sortirait indemne d’une étude comme l’Opération Polaroid menée en 1999 par la FFT.
Cela suggèrerait simplement que quelques lacunes ont été identifiées et que c’est normal car il y a encore du travail à faire : « Le gouvernement s’acquitte de ses obligations de façon admirable, de bonne foi et fait des efforts. Ce n’est pas parfait », a-t-il dit.
Me Faille reproche aux plaignants d’avoir fait une mise en scène et d’utiliser le tribunal comme un outil de revendication politique plutôt que de collaborer avec le gouvernement pour améliorer les choses. Il insiste pour dire que les plaintes déposées aux fins du procès constituent une machination des plaignants pour prendre le gouvernement en défaut.
Surtout, il insiste pour dire que la cour ne doit se prononcer que sur les violations alléguées et non pas sur des situations théoriques. Reprenant une citation de la juge en chef de la Cour suprême du Canada qu’il a martelé tout au long de sa plaidoirie, il a affirmé que la justice ne doit sévir que lorsque « the rubber hits the road ».
Ainsi, avance-t-il, on ne peut pas dire que les lignes directrices de la Loi sur les langues officielles des TNO briment les droits de la minorité, car aucun cas réel de violation n’a été recensé pour appuyer cette affirmation.
Il rejette l’idée que L’Aquilon devrait recevoir une compensation financière pour les publicités qui n’ont pas été publiées dans ses pages. Le gouvernement pourrait légalement choisir de faire paraître ses annonces en français dans un journal anglophone, a-t-il argumenté.
Me Faille récuse également l’argument des plaignants selon lequel la FFT mérite de recevoir une compensation au nom de la communauté. La FFT, a-t-il rappelé, n’a pas de membres individuels, elle ne représente donc pas l’ensemble de la communauté franco-ténoise.
L’avocat rejette enfin l’idée que le manque de services en français contribue à l’assimilation de la population francophone. À son avis, le témoignage de l’expert Rodrigue Landry ne démontre pas un tel lien. Il ajoute qu’aucun des Franco-ténois qui ont été appelés à la barre durant le procès ne présentait de symptôme d’assimilation. « Ils s’exprimaient tous très bien en français », a-t-il dit.