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le Vendredi 21 avril 2006 0:00 Économie

Ce qu’on dit aux audiences « Je ne vous comparerai pas au général Custer »

Ce qu’on dit aux audiences « Je ne vous comparerai pas au général Custer »
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L’ancien chef de Fort Good Hope, Frank T’Seleie, a été plus tendre avec le représentant d’Imperial Oil qui accompagne la Commission d’examen conjoint dans sa tournée des communautés de la vallée du Mackenzie qu’il ne l’avait été avec le président de Foot Hills Pipelines, Bob Blair, dans ses jeunes années.

Dans les années 1970, lors de l’enquête Berger, T’Seleie s’était rendu célèbre en lançant à Blair une invective qui demeure le passage le plus cité du fameux rapport qui mena à l’abandon du premier projet de gazoduc. « Vous êtes comme le Pentagone se préparant à massacrer des Vietnamiens innocents, M. Blair. Ne me dites pas que vous n’êtes pas responsable de la destruction de ma nation. Vous êtes directement responsable. Vous êtes le général Custer du 20e siècle. Vous êtes venus détruire la nation dénée. Vous arrivez avec vos troupes pour nous massacrer et pour nous voler la terre qui nous appartient de plein droit. Vous vous apprêtez à détruire un peuple dont l’histoire remonte à trente mille ans. Pourquoi? Pour vingt années de gaz? Êtes-vous fou à ce point? », avait alors déclaré le jeune chef.

Cette fois, pas de ça. « N’ayez crainte, je ne vous comparerai pas au général Custer », a promis T’Seleie à Randy Otterbeit, qui représente la pétrolière aux audiences publiques, provoquant du coup l’hilarité de la salle.

Celui qui est devenu, au fil des ans, un défenseur loquace du projet de pipeline a plutôt réclamé que les K’asho Got’ine (les Dénés de Fort Good Hope et de Colville Lake) puissent prélever eux-mêmes, et sans intermédiaires, des royautés sur les revenus générés par le gaz.

« Nous voulons simplement que la part qui nous revient de plein droit ne nous soit pas refilée en sous-main, au compte-gouttes », a-t-il plaidé.

D’après lui, les revenus gaziers permettront aux K’asho Got’ine d’acquérir une autonomie réelle, mais seulement s’ils sont perçus et administrés par les K’asho Got’ine.

Dans ce contexte, les revenus perçus par les K’asho Got’ine devront excéder ce que prévoit déjà l’Entente sur les revendications territoriales du Sahtu, a précisé T’Seleie, une entente qu’il n’a pas hésité à qualifier de « faible ».

L’ancien chef s’est toutefois dit « clairement » opposé à un développement gazier qui irait au-delà des trois puits initiaux proposés par les promoteurs et ouvrirait à l’exploitation la région de Colville Lake, riche en gaz naturel. En évoquant cette possibilité, Frank T’Seleie a utilisé une expression qui ravira les nostalgiques de la belle époque où le jeune chef maniait avec verve l’art de l’hyperbole.

« Un tel développement, a-t-il prévenu, détruirait notre base traditionnelle et nous empêcherait de vivre le mode de vie déné. Ce ne serait pas un développement pour les K’asho Got’ine; ce serait la fin des K’asho Got’ine. Ce serait un génocide. »

À Colville Lake, un autre intervenant a voulu en savoir davantage sur la possibilité que le gazoduc s’avère le cheval de Troie qui ouvrira la région au développement gazier intensif.

« Vous dites qu’il n’y aura pas d’impacts significatifs sur la région de Colville Lake à cause de la grande distance qui nous sépare du trajet du gazoduc. Mais comment pouvez-vous affirmer cela puisque, en construisant le pipeline, vous incitez toutes les compagnies pétrolières et gazières qui ont des intérêts sur nos terres à augmenter l’exploration et ensuite à construire un autre gazoduc qui irait se raccorder à celui [que vous souhaitez construire] ? », a demandé Alvin Orlias au représentant d’Imperial Oil.

Ce dernier a admis que, si le gazoduc est construit, « il y aura probablement d’autres compagnies qui désireront développer le potentiel gazier [de Colville Lake] ». Mais, s’est-il empressé d’ajouter, il s’agit là de projets différents dont les promoteurs du Projet gazier du Mackenzie « sont incapables de mesurer l’impact ».

Kakfwi

L’audience de Fort Good Hope était décidément celle des têtes d’affiche. En plus de Frank T’Seleie, l’ex-premier ministre des TNO devenu chansonnier, Stephen Kakfwi, est venu parler en son nom personnel.

Kakfwi a d’abord voulu clarifier la « perception qui existe à Ottawa, à Calgary et dans certains bureaux des TNO » selon laquelle il serait un opposant au projet. « Ce n’est pas une position catégorique », a-t-il précisé.

Il a rappelé qu’en qualité de premier ministre des TNO il a défendu l’option d’un pipeline dont les communautés autochtones seraient les premiers bénéficiaires. « Je pensais sincèrement que, en tant que résidents du Nord, nous pouvions arriver à un terrain d’entente », s’est-t-il souvenu. Mais, à son avis, le projet présenté aujourd’hui et le processus réglementaire qui l’accompagne « contiennent de sérieuses failles ».

Au premier chef, il pointe du doigt le manque d’intérêt du gouvernement fédéral à établir un réseau d’aires protégées, avant la mise en chantier du projet. « Il n’y a aucun indice de la part du Canada ou des promoteurs du pipeline […] qui laisse croire qu’ils sont prêts à attendre que la Stratégie des aires protégées soit significativement avancée dans chacune des régions avant que le gazoduc n’aille de l’avant », a déploré le politicien autochtone. Il a noté au passage que le tracé proposé du pipeline traversera plusieurs zones écologiques candidates au titre d’aire protégée.

Dans la même veine que T’Seleie, il a réclamé comme un pré requis à la mise en chantier que le Sahtu détienne un droit réel à l’autodétermination et, selon lui, cela passe par le pouvoir de prélever directement des taxes sur le projet.

« On nous dit que nous avons le droit constitutionnel à l’autonomie gouvernementale, cependant nous sommes le seul gouvernement au Canada qui n’ait aucune source de revenus autonomes. »

Tulita et Norman Wells

À Tulita, plusieurs personnes ont fait mention du site de Bear Rock, une colline sacrée pour la communauté où se trouve un filon de charbon fumant.

Tout comme Laura Lennie, dont nous retiendrons le témoignage, nombreux ont été les personnes qui ont réclamé que ce site soit épargné par le développement gazier, pétrolier ou autre.

« S’ils font quelque chose avec le filon fumant, ce serait comme nous retirer une partie de nous-mêmes », a mis en garde Mme Lennie. « De grâce n’y touchez pas. »

Du côté de Norman Wells, où l’on produit du pétrole depuis les années 1920, plusieurs personnes ont signifié leur intérêt pour le projet et les emplois qu’il générera. Le président de la Société foncière de Norman Wells, Todd McCauley, fait partie de ceux-là.

D’après lui, le gisement de Norman Wells sera épuisé d’ici une quinzaine d’années et il est temps de penser à l’après pétrole. « C’est un fait important et trop peu discuté, a-t-il dit. Sans le gazoduc, non seulement est-ce que nous nous privons de nouveaux emplois, mais nous allons perdre les emplois que nous avons déjà. »

Ce n’est cependant pas l’avis de Winter Lennie, qui est un administrateur de cette même Société foncière. Celui qui s’est dit « très opposé » au projet estime que le gazoduc empêchera le Canada de respecter ses engagements du protocole de Kyoto et craint que, en cas de dégâts, les promoteurs refusent de compenser les résidents. Il a cité en exemple le naufrage de l’Exxon Valdez, en Alaska.

« Ça s’est produit il y a 17 ans, et les communautés dévastées de l’Alaska n’ont toujours pas été compensées. » La compagnie Exxon est un des promoteurs du Projet gazier du Mackenzie, et aussi la société-mère d’Imperial Oil.