On a beaucoup entendu, aux audiences publiques sur le Projet gazier du Mackenzie, les usagers traditionnels du territoire dire que les lacs, la taïga, la toundra, la faune et la flore encore intacts de leur coin de pays n’ont pas de prix. Or, une étude sur « la richesse réelle du Mackenzie » affirme le contraire et avance même d’impressionnants nombres à 12 chiffres, l’équivalent de dix fois la valeur marchande de toutes les ressources naturelles non renouvelables de la région.
Selon l’évaluation commandée par l’Initiative boréale canadienne (IBC), le « capital naturel » du bassin versant (c’est-à-dire la valeur des biens et services fournis naturellement par cet écosystème) s’élèverait à plus de 448 milliards de dollars par année (!), soit à peu près la valeur du produit intérieur brut de l’Arabie Saoudite. En comparaison, le potentiel marchand des ressources non renouvelables de ce même bassin versant – et cela comprend, entre autres, les sables bitumineux de l’Athabasca, le gaz naturel du delta et de la vallée du Mackenzie et le pétrole de Norman Wells – ne représente que 42 milliards $ par année.
Voilà qui fait dire aux auteurs de l’étude que l’exploitation des ressources, qui entraînera très probablement une dépréciation du capital naturel, risque de coûter plus cher que ce qu’elle va rapporter. « Le coût approximatif de la dégradation du capital naturel attribuable aux activités de développement risque de se chiffrer dans les milliards de dollars », suggère le rapport de l’IBC.
« Nous ne sommes pas contre le développement, se défend le co-auteur du rapport, l’économiste écologique Mark Anielski. Nous sommes pour un développement qui tient compte de toutes les données. La dégradation de l’écosystème va entraîner des coûts et nous, ce que nous disons, c’est qu’il faut externaliser ces coûts. »
Des sous à penser plus qu’à dépenser
La richesse apparemment faramineuse du bassin du Mackenzie provient d’abord de la qualité de son eau et de sa valeur en stockage de carbone, explique Anielski.
Les forêts, et surtout les tourbières , du bassin du Mackenzie jouent un rôle important dans l’écosystème en absorbant le carbone. Cela permet notamment de stabiliser les émissions de gaz à effet de serre, une fonction économique non négligeable à l’heure où les « crédits d’émissions » s’échangent à la bourse.
Selon l’étude de l’IBC le bassin du Mackenzie tel qu’il se présente aujourd’hui fournit des services de « régulation climatique » dont la valeur annuelle est estimée à plus de 250 milliards $.
L’écosystème du Mackenzie a aussi un grand capital d’eau. Les services « d’approvisionnement en eau » et de « stabilisation et régulation d’eau » fournis naturellement par le bassin auraient une valeur estimée à plus de 150 milliards $.
D’autres « services » fournis par le bassin du Mackenzie ont aussi été pris en compte – par exemple, la production alimentaire, l’utilisation comme habitat, l’utilisation récréative ou même le traitement des déchets – mais leurs poids économiques sont marginaux.
Mark Anielski convient néanmoins de la valeur de ces choses, notamment pour les populations autochtones qui dépendent davantage du fruit de la terre. « Ils obtiennent le caribou, le poisson, les baies et toutes ces choses. Ils savent que ça a une valeur. »
Néanmoins, si l’IBC l’exprime en dollars, la valeur de ces services naturels demeure bien théorique. Tout le carbone des tourbières du monde n’achètera pas le pain qui nourrit les enfants de l’opérateur de machinerie lourde.
À cette vision des choses, Anielski répond que les pertes encourues dans le capital naturel se traduisent par des frais bien réels pour les sociétés « Il n’y a rien de gratuit, dit-il. Quand ont abîme la nature, nous en payons toujours le prix. Pensez à l’ouragan Katrina. »
Des données douteuses
Dans le rapport de l’IBC on avance des chiffres dont l’exactitude laisse parfois à désirer.
On indique ainsi que le fleuve Mackenzie a une longueur de « 4 241 kilomètres ». Les bras musculeux de ceux d’entre vous qui ont eu l’audace de franchir le puissant Deh Cho à la rame se souviennent certainement que, de sa source de Fort Providence, à son estuaire de Tuktoyaktuk, le fleuve s’allonge sur 1 738 kilomètres. Ce qui en fait quand même le plus long cours d’eau au Canada.
On parle aussi de la ville de « Yellowknife, Yukon » (sic) dont la population serait estimée à « 16 034 habitants ». Le recensement de 2001 publié par Statistiques Canada parle plutôt de 16 541 habitants, un chiffre qui a d’ailleurs probablement augmenté depuis. La municipalité de Yellowknife estime sa population à « près de 20 000 habitants », selon son site Web.
Il n’a pas été possible de contacter, une seconde fois, Mark Anielski avant la mise sous presse de ce journal, et ainsi obtenir des explications sur ces erreurs factuelles . On ne saurait dire si ces fautes témoignent de l’exactitude générale du rapport.
