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le Vendredi 23 février 2007 0:00 Environnement

La troisième génération de pécheurs avec une maille en plus dans ses filets Une tradition qui se perd: Les derniers pêcheurs

La troisième génération de pécheurs avec une maille en plus dans ses filets Une tradition qui se perd: Les derniers pêcheurs
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Issu d’une famille de pêcheurs du nord de la Saskatchewan, établie à Hay River depuis 1952, Shawn Buckley est un pêcheur commercial qui résiste aujourd’hui encore à l’effondrement de l’industrie de la pêche.

Dans les années cinquante, neuf compagnies commerciales de pêche étaient en activité sur les berges du Grand lac des Esclaves. Une industrie qui permettait à des centaines de professionnels de vivre grâce aux ressources halieutiques des eaux douces du lac.

Pendant les 18 semaines de la saison de l’été 2006, 72 pêcheurs ont vendu leurs prises à l’unique corporation active aux TNO. Kelvin Peedle, le directeur de la Freshwater fish marketing corp (FFMC) à Hay river spécifie : « sur les 72, seulement 20 pêcheurs étaient actifs pendant toute la saison, et 15 d’entre eux ont contribué à plus de 50% de la production ! »

Un pont de glace qui franchit le chenal ouest permet de rejoindre en quelques minutes la partie la plus éloignée de Vale Island, le village des pêcheurs de Hay River. Sur la route, Shawn Buckley qui habite au cœur du village commente fièrement : « cette maison-ci, c’est celle de mon oncle, et voici la maison de ma mère, là c’est chez mon cousin. Puis, dans la foulée il ajoute, lui c’était un pêcheur, celui-ci pêchait encore il y a quelques années, cet homme-là est mort récemment, c’était un pêcheur lui aussi ».

La loi du marché

Selon Buckley, la compétition internationale et le coût du transport pour couvrir la distance entre le lieu de transformation et les points de vente du poisson sont les facteurs principaux de la chute de cette industrie. Pour lui, un marché compétitif écrasant de plus en plus le prix au kilo du poisson, et le poids des dépenses encourues n’équilibrent plus la balance économique.

Du côté de la FFMC, Peedle explique « nous sommes une corporation basée au Manitoba, les poissons arrivent éviscérés mais frais à Winnipeg. Malgré un marché canadien stable, nous exportons principalement nos produits. Aux États-Unis, nous dominons le marché du doré et nous sommes le premier fournisseur de corégone en Finlande ». Il ajoute que le prix au kilo est une excuse des travailleurs pour ne plus devenir pêcheurs. « Ce travail est très dur, dit-il, les gens préfèrent un emploi qui paye sans y mettre autant d’efforts, ceux qui restent connaissent leur affaire, mais il n’y a plus de relève ! »

« Dans le temps, tout le monde vendait sa pêche aux usines à longueur d’année, raconte Shawn, maintenant ce n’est plus rentable, mais moi je suis aller sur le lac toute ma vie, et puis j’ai amassé du matériel au fil des années, alors je continue à pêcher avec ce que j’ai pendant les deux saisons. Je peux les compter sur les doigts d’une main les autres qui pêchent à l’année».

Le ministère des Pêches et Océans du Canada (MPO), désireux de garantir une gestion viable et stable des pêches tout en garantissant la protection du poisson et de son habitat, délivre chaque année un permis commercial pour le corégone à M. Buckley, basé sur son expérience, sa capacité de prise et son ancienneté sur le territoire.

« Il y a de moins en moins de permis délivrés, affirme Robert Smith, biologiste en habitat du poisson au bureau de MPO de Hay River. Non pas parce qu’ils sont plus durs à obtenir, mais parce qu’il y a moins de demande. Les quotas fixés en ce moment sont de 1700 tonnes par années en comparaison à 2200 tonnes dans les années 70. Pour la saison 2005/2006 seulement 500 tonnes ont été rapportées. Le stock de poissons d’eau douce du lac est en santé. Dans ces eaux froides, nos poissons ont une bonne croissance. Mais si vous n’habitez pas les environs de Hay river, acheminer votre poisson jusqu’à l’usine est assez coûteux car les autres qui achetaient vos prises un peu partout autour du lac ont fermé une à une. Les subventions gouvernementales ne suffisent pas à couvrir les frais des bateaux et le reste. Le style de vie a changé aussi, c’est un mélange de tout qui explique la réalité des pêches de nos jours».

Deux réalités différentes

La saison hivernale débute lorsque la glace se forme sur le lac, du mois de novembre jusqu’au mois d’avril, et la saison estivale s’étend de la mi-juin à la mi-octobre. Malgré les conditions extrêmes de la première, c’est la pêche sur l’eau qui s’avère la plus dangereuse. Shawn justifie le vent présent au milieu du lac et les fortes houles qu’il entraîne, mais aussi qu’il n’existe aucune île derrière laquelle s’abriter. Il admet néanmoins, qu’il répond au vieux cliché du marin qui ne sait pas nager.

En hiver sur l’épaisse glace transparente du lac, il ne s’inquiète que du niveau d’essence de son autoneige, de son thé chaud et des nouvelles fissures sur son parcours.

Après quatre jours dans le fond du lac, les filets maillants de 5 pouces ¼ tendus en eaux libres sont remontés par les trous dans la glace qu’il faut repercer à chaque fois. Une bonne pêche dénombre au-dessus de 50 poissons. La truite grise, le grand brochet, la lotte et le Stenodus leucichthys communément appelé l’inconnu sont considérés comme des prises accidentelles. Elles font néanmoins partie des prises assurées même si on remarque en ce mois de février, que le froid intense immobilise les poissons au fond de l’eau ce qui diminue sensiblement le nombre de prises.

Durant cette saison, Shawn destine son poisson au marché local. Il les éviscère et prépare les filets qu’il vend cinq dollars la livre indépendamment de la nature du poisson. Pour lui c’est la même quantité de travail pour l’une ou l’autre des espèces, alors c’est plus simple ainsi assure-t-il.

Une maille en plus

Depuis quatre ans maintenant, Shaw a diversifié ses activités pour survivre au déclin de l’industrie, il profite d’être sur le lac, pour offrir aux touristes une expérience différente des activités habituelles. « Je leur propose une balade en bombardier, ils peuvent jigger dans une cabane chauffée, m’aider à tirer les filets et goûter au poisson frit sous les aurores boréales » déclare-t-il. Ajoutez à ça la sensation glaciale d’observer un homme travailler à -30° celsius dans la nuit noire, et vous obtenez une combinaison qui fonctionne.

Les touristes peuvent rester une nuit sur le lac, des lits sont installés proche des poêles à bois. Les résidents de Hay River qui veulent faire découvrir à leurs amis un attrait inoubliable du Nord, viennent le plus souvent juste pour la veillée.