Cet automne, une figure connue de Yellowknife s’éclipsera pour quelque temps. L’artiste Antoine Mountain s’exilera à Toronto pour y compléter sa maîtrise en beaux-arts.
Il ne s’agira cependant pas d’une première incursion en Ontario pour l’artiste originaire de Fort Good Hope. En début de carrière, il avait étudié en arts médiatiques à Thunder Bay.
À son retour aux Territoires du Nord-Ouest, c’est l’effervescence. Les Dénés s’éveillent alors que le premier projet de gazoduc se pointe à l’horizon. La Fraternité nationale des Indiens – ancêtre de la Nation dénée – avait été créée à la fin des années 1960. « À ce moment-là, il y avait plus de conscience sociale et les gens s’engageaient dans différents mouvements », se souvient M. Mountain.
« J’ai marché dans les bureaux de la Fraternité nationale des Indiens, je me suis assis et j’ai commencé à travailler dans la paperasse. Deux semaines plus tard, on m’a demandé si je voulais un travail », raconte-t-il.
C’est à ce moment que, même s’il n’a jamais été élu, Antoine Mountain s’est engagé envers son peuple. « Mon père a été chef. Moi, j’ai travaillé dans les communications ».
À la demande de ses patrons, il effectue des recherches sur les radios communautaires autochtones à travers le Canada. Quelques mois, plus tard, il fait approuver un plan de mise en œuvre d’une station de radio pour les Territoires du Nord-Ouest. C’était l’ouverture de CKLB.
Ensuite, il collabore à la fondation de la Native Press, qui a existé jusqu’au début des années 1980. « Le chef Leon Lafferty, de Bechoko, veut d’ailleurs redémarrer ça. Nous venons de faire APTN avec cette histoire », souligne-t-il.
Dans la Native Press, il signe une chronique intitulée A Mountain View, dans laquelle il exprime ses idées sur la vie et la culture des Dénées. Aujourd’hui, il utilise le même titre pour signer ses chroniques dans le journal News/North.
« Il y a des gens que j’ai formés qui font toujours de la radio aujourd’hui et il y a des éditeurs de la Native Press qui sont toujours à Yellowknife, comme Bruce Valpy et Lee Selleck ».
La fin de la première saga du gazoduc et de l’enquête Berger amène Antoine Mountain à s’ouvrir les portes d’une autre passion, les arts. Il part donc pour Toronto, en 1978, pour y suivre un programme de quatre ans.
Ce n’est cependant qu’en 1986 qu’il décide de se consacrer à son art à temps plein. « J’ai toujours voulu faire ça. Je ne suis pas la personne typique qui fait du 9 à 5. J’ai beaucoup enseigné et toute ma famille fait de l’art ».
L’art d’Antoine Mountain, dont les tons et les couleurs sont tirés du courant impressionniste du 19e siècle, est définitivement connecté avec son peuple et le territoire qu’il occupe.
« Ça me permet de faire des présentations dans les écoles et de représenter le Nord au Canada et dans le monde. Ça me permet aussi d’éduquer les gens à propos des Premières nations ».
Comme plusieurs, M. Mountain se sent investi d’une mission d’éducation envers la jeunesse dénée. « Nos jeunes n’ont pas le sens de l’histoire. Ils se croient dans un genre de jeu vidéo avec de la musique hip hop. C’est triste, parce que tu en viens à perdre le respect pour ta culture, ton peuple et toi-même ». Ayant travaillé pour René Fumoleau pour l’ouvrage Aussi longtemps que le fleuve coulera, l’artiste demeure très au fait des questions touchant les négociations des Premières nations des TNO face au gouvernement fédéral.
Si le travail d’Antoine Mountain représente souvent des personnages de son peuple, celui-ci doit garder le fragile équilibre entre l’éducation populaire et le respect des traditions. Ainsi, c’est en toute bonne foi qu’il a, un jour, eu le projet de faire une série de tableaux sur les légendes dénées. « Un aîné m’a dit que ces histoires n’étaient pas à vendre », explique-t-il.
Tout en continuant de peindre et en jouissant d’une enviable réputation à l’échelle canadienne et internationale, Antoine Mountain signe, chaque semaine, sa chronique dans le journal territorial anglophone. « J’écris beaucoup. Le fait d’essayer de garder les politiciens honnêtes est un emploi à temps plein !»
Et l’avenir de sa nation ?
Antoine Mountain s’inquiète. « Nous sommes devenus paresseux. Nous ne voulons même plus penser. Mais il viendra un temps où il faudra penser, alors mieux vaux commencer tôt », dit celui qui cherche à faire réfléchir les jeunes, alors qu’il leur donne divers ateliers artistiques. « Avec les changements climatiques, nous allons apprendre à la dure », craint-il.
« La première étape a été de devenir paresseux. Ensuite, on a commencé à rire de notre langue et de notre culture. Maintenant, il n’y a plus personne qui veut avoir l’air indien. Nous avons perdu notre humanité », poursuit-il.
Avec l’arrivée des ordinateurs et d’Internet, Antoine Mountain voit une possibilité de préserver la culture dénée. « Mais il faut que les jeunes parlent aux aînés. Ils le font à Bechoko et les aînés y donnent une bonne éducation sur ce qui doit être su ».
L’artiste originaire de Fort Good Hope se dit convaincu qu’il y a de jeunes leaders en devenir dans les communautés du Denendeh. Mais le leadership n’est plus le même, selon lui. « Maintenant, tout est relié à l’argent. La question est de savoir qui aura le plus d’argent des compagnies ».
Se dirigeant lui-même vers les études, Antoine Mountain veut que les jeunes de son peuple en face autant. « Je dis toujours aux jeunes d’avoir des diplômes, ils en ont besoin. Ça arrivera. Les Tlichos soutiennent leur jeunesse et ils offrent des bourses pour l’éducation ».
De son côté, Antoine Mountain se sent-il nerveux de retourner sur les bancs d’école? « Non! On doit se donner des défis dans la vie. Il faut essayer de faire de son mieux et mon père disait que personne n’est mort d’avoir essayé ».