Les avocats du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest (GTNO) ont remis en question plusieurs aspects du verdict de la juge Marie Moreau lors de la première de trois journées de représentation devant la Cour d’appel des TNO, lundi dernier.
« C’est un cas sans précédent. C’est la première fois qu’on va aussi loin pour dicter des mesures qui doivent être prises par le gouvernement », a dénoncé Me Roger Tassé, avocat du GTNO, revenant sur le jugement Moreau du 25 avril 2006 qui avait reconnu le GTNO coupable de plusieurs infractions à sa Loi sur les langues officielles.
Ce jugement venait couronner une poursuite judiciaire intentée conjointement en 1999 par la Fédération franco-ténoise (FFT), les Éditions franco-ténoises/L’Aquilon et cinq citoyens francophones se disant lésés et qui a donné lieu à un procès de neuf semaines à l’automne 2005. Le GTNO avait décidé d’en appeler du verdict en juillet 2006.
Dans son plaidoyer, Me Tassé a décrié à plusieurs reprises le caractère intrusif de l’ordonnance structurelle qu’a rendue la juge dans son verdict de 2006 et contenant plusieurs mesures à prendre par le GTNO pour améliorer ses services en français. Parmi celles-ci, on ordonnait la création de postes désignés bilingues dans la fonction publique, l’évaluation des compétences orales et écrites du personnel bilingue, l’établissement d’un programme systématique de recrutement de personnel francophone ou la création de postes de coordonnateur aux langues, pouvant parler français, dans chacune des institutions du gouvernement territorial.
L’avocat du gouvernement a émis « une objection de principe » face à une si grande intervention du pouvoir judiciaire dans les affaires de l’État. « Ce n’est pas à la cour de dire au pouvoir exécutif et législatif les mesures efficaces qui doivent être prises. […] C’est une ingérence judiciaire dans la fonction exécutive », a notamment déclaré Me Tassé devant les trois juges de la Cour d’appel. Me Tassé, ainsi que son collègue Me Maxime Faille, ont par ailleurs insisté que plusieurs efforts ont été faits par le GTNO depuis quelques années pour offrir des services en français. « Ce n’est pas un vide complet. Des progrès ont été réalisés depuis 1984. Des progrès substantiels, car auparavant, il n’y avait rien. […] Les progrès sont immenses et ne sont pas encore achevés», a souligné Me Tassé, en donnant notamment l’exemple de l’hôpital Stanton qui présente un affichage bilingue à l’intérieur.
Un autre point important débattu par les représentants du GTNO concerne la question de l’égalité réelle entre les services de langue anglaise et de langue française. Selon Me Tassé, le principe d’égalité réelle correspond à l’égalité d’obligation de résultat, ce qui pourrait permettre au gouvernement de faire appel à des interprètes. Il poursuit que l’égalité réelle ne peut pas impliquer l’égalité absolue ou l’égalité parfaite. « C’est pas réaliste. C’est utopique de penser ça », a-t-il révélé, faisant valoir que les ressources financières ne sont pas illimitées.
Me Maxime Faille a pour sa part repris un par un les témoignages des Francos-Ténois qui ont reçu une compensation lors du premier procès et a cherché à discréditer leurs allégations en faisant valoir qu’il aurait été possible pour ceux-ci d’obtenir des services en français moyennant certaines prédispositions. Reprenant l’argumentaire de Me Tassé, il conclut que tous ces incidents ne justifient pas que la Cour se substitue aux responsabilités linguistiques des TNO.
Problème de mise en oeuvre
L’avocat de la FFT et des autres plaignants, Me Roger Lepage, n’a pas tardé à contredire ses adversaires du GTNO en défendant la notion d’ordonnance structurelle dans le jugement en première instance. « On dit que la Loi [sur les langues officielles des TNO] est bonne. C’est la mise en œuvre qui fait défaut. Et lorsqu’on s’attaque à la mise en œuvre d’une loi, c’est là qu’une ordonnance structurelle s’impose. C’est une obligation positive », a déclaré l’avocat fransaskois devant la cour d’appel.
Il a ajouté que cette ordonnance devenait aussi nécessaire en raison de l’absence de plan de mise en œuvre global par le GTNO. « C’était tellement désorganisé que chaque employé pouvait faire ce qu’il voulait, a-t-il plaidé. Beaucoup de ministères ne savaient pas qu’il y avait des fonds de disponible pour offrir ces services [en français]. […] C’est dans ce contexte qu’on a élaboré une ordonnance structurelle qui répondait à la question du problème systémique ».
L’avocat du groupe de plaignants est revenu à plusieurs reprises sur la notion de « problème ou violation systémique » lors de son plaidoyer. Les politiques et les lignes directrices du GTNO n’ont établi aucun mécanisme formel à ses fonctionnaires dans l’offre de service en français causant donc un problème systémique, a fait valoir Me Lepage, qui ajoute que cette façon de faire a rendu les services « aléatoires » à la population franco-ténoise.
Concernant la notion d’égalité réelle, l’avocat s’est un peu moqué des démarches de ses adversaires qui ont cherché à dénaturer cette définition, selon lui. « On assiste à une gymnastique intellectuelle incroyable de mes collègues à propos de l’égalité réelle », a-t-il lancé. Me Roger Lepage précise que l’égalité réelle s’apparente à l’égalité des droits de la personne et non pas une égalité qui doit tenir compte d’un contexte particulier et qui tient compte de ce qui peut être fait raisonnablement comme l’avance le GTNO.
Le Commissaire aux langues officielles du Canada, à titre d’intervenant, a aussi déposé un mémoire et présenté un court plaidoyer dans le présent dossier. À sa sortie du tribunal, Me Pascale Giguère, a entre autres jugé « positif » que les avocats du GTNO reconnaissent devant la cour d’appel la mise en place de mesures concrètes pour assurer les droits linguistiques des francophones et que ces mesures doivent donner des résultats.
« Là où il y a une divergence d’opinions, c’est au niveau des résultats qui sont attendus du GTNO. Ils font valoir, qu’en raison de circonstances particulières, on ne devrait pas exiger un résultat égal pour les francophones et les anglophones et ils prônent un régime d’accommodement, c’est-à-dire l’interprétation pour les francophones et un accès direct pour les anglophones », a toutefois signalé Me Giguère. La semaine prochaine, L’Aquilon présentera la deuxième partie du procès qui s’est déroulé cette semaine en cour d’appel et qui portera sur le recours judiciaire de la FFT contre le gouvernement fédéral, complètement blanchi par la juge Moreau lors du premier verdict.