Le vendredi 27 juin, le plus haut niveau de juridiction des Territoires a rendu son verdict sur l’appel entendu en novembre 2007 à Yellowknife. Cet appel intenté par le GTNO pour renverser certaines décisions du jugement de première instance ordonné par la juge Marie Moreau en avril 2006 a finalement donné des points aux deux parties, laissant place à un sentiment mélangé de satisfaction et de désagrément pour la FFT et pour le gouvernement territorial.
Le point le plus important pour les intimés qui regroupent la FFT, les Éditions franco-ténoises/L’Aquilon et cinq membres de la communauté francophones, se traduit par la décision de la Cour d’appel de maintenir l’ordonnance structurelle. D’après les conclusions de l’appel présidé par la juge Hunt de Calgary, « la preuve soumise et le droit applicable étayent tous deux l’ensemble de la décision de la juge de première instance d’accorder un redressement structurel qui donne des directives bien précises au GTNO quant à la façon dont il doit remplir ses obligations de mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles (LLO) ».
« Pour nous, ce jugement donne absolument raison à l’ordonnance structurelle et souligne toute la vigueur de la preuve qui a été présentée devant la juge Moreau et qui a appuyé son jugement », a déclaré Fernand Denault, le président de la FFT. Ainsi, l’appel veut raviver le plan de mise en œuvre qui vise entre autres à assurer l’offre active en français dans les institutions territoriales, qui se traduit par exemple par le traditionnel « Bonjour, Good morning » que susurrent les téléphonistes du gouvernement fédéral. Ce plan global devra être élaboré, géré et promu avec la consultation de la FFT.
La seconde décision qui soutient le jugement d’avril 2006 s’est intéressée au caractère approprié des recours engagés par les intimés. À savoir si la FFT était tenue ou non d’épuiser les recours prévus par la LLO. Finalement, ce tribunal a reconnu que la décision de la juge était appropriée : la FFT a eu raison d’aller devant les tribunaux face aux lacunes attribuables à la défense des services en français par le commissariat des langues officielles des TNO. L’autre point positif pour la FFT et ses alliés, c’est que tous les coûts relatifs à ces recours juridiques resteront à la charge des GTNO.
Parés pour deux autres années?
Roger Lepage, l’avocat qui avise et représente la FFT depuis 1999, s’est dit content d’avoir franchi cette autre étape. « Maintenant il faut attendre la réaction du GTNO à savoir si eux veulent porter cette décision devant la Cour suprême du Canada. Car ils ont perdu le gros morceau de l’appel : la décision qui va forcer la mise en œuvre. » Ce dernier a expliqué que certains points peuvent même s’avérer très néfastes pour la communauté francophone des Territoires s’ils en restaient à ce stade.
Le hansard, qui est le compte rendu des travaux de l’Assemblée, demeurera unilingue. L’offre active des services sera favorisée uniquement en cas d’urgence ou de confidentialité; la notion d’égalité réaliste qui semble faire sa place, sont les points que l’on peut énumérer de cette liste.
Selon Me Maxime Faille, le procureur qui représente les GTNO, il est beaucoup trop tôt pour le gouvernement de décider s’il rejette ou non cette décision. « Pour nous, le résultat est partagé et nous devons encore étudier pleinement cette décision, a-t-il confirmé. Même s’il avoue qu’un avocat s’intéresse toujours au report ou non d’une décision, maître Faille a tenu à spécifier que la priorité n’était pas de s’attarder au processus judiciaire. « En premier lieu, nous cherchons encore et toujours à collaborer avec la FFT et les Franco-Ténois pour améliorer les services en français »,a-t-il soutenu. Le président de la FFT a soutenu les mêmes idées que son conseiller juridique.
« Nous sommes plusieurs à avoir épluché le jugement (122 pages), notre conseil d’administration va bientôt se réunir pour commencer un processus décisionnel. Il faut décider quels sont les points de ce jugement que nous remettons en cause si nous interjetons appel. Cette interprétation n’a pas réglé la question de l’égalité réelle des services en français. C’est-à-dire que pour l’instant il n’y a pas encore une obligation de résultat au niveau des services et des communications en français aux TNO. Tout ça excusé par le contexte territorial », a commenté Fernand Denault. La juge Hunt a effectivement spécifié dans son jugement que « le contexte était extrêmement important » lorsque l’on touchait à la prestation des services dans les deux langues officielles. Un contexte qui permettrait ainsi au GTNO de jouir d’une plus grande liberté pour offrir ces services. « Il est dangereux que cette égalité réelle laissée aux mains du GTNO devienne une égalité réaliste », a critiqué le président de la FFT.
«Il y a des éléments positifs dans ce jugement, notamment la notion du contexte applicable au Nord canadien. La Cour d’appel vient de souligner le fait que partout au Canada il faut appliquer les lois linguistiques avec une approche contextuelle. Ici aux TNO, le GTNO compose avec une certaine dynamique économique, géographique, démographique et linguistique différente du reste du pays », a rétorqué Me Faille.
La question fondamentale
Depuis le début de ce processus juridique qui date de l’ancien millénaire, la question qui constitue le décor de toutes ces audiences reste le statut constitutionnel des territoires. Une fois de plus, ce dernier jugement ne clarifie pas l’étendue de l’obligation fédérale visant les droits des Franco-Ténois. Le Commissariat aux langues officielles du Canada s’est présenté dans cette affaire comme un intervenant en faveur de la FFT. À plusieurs reprises, il a soutenu l’argumentaire des intimés selon lequel le gouvernement fédéral détenait une responsabilité ultime des droits francophones dans les Territoires en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. « Pour nous c’est très important de regarder l’ensemble du portrait, et dans ce contexte-là personne ne peut nier la relation du gouvernement canadien avec les GTNO et la Loi des langues officielles », a ajouté Fernand Denault en insistant que seul le plus haut tribunal pourrait débattre de cette question constitutionnelle.
Les deux parties ont jusqu’à la dernière semaine du mois d’août pour soumettre leurs intentions à la plus haute instance canadienne si l’une d’elles veut interjeter ce jugement en appel. Après ces requêtes potentielles, il se peut très bien que la Cour suprême du Canada use de son droit de réserve et décide de ne pas porter le cas devant ses neuf emblématiques toges rouges.