Le commissaire aux langues officielles blâme Travaux publics Canada et le Conseil du trésor pour la vente du bureau de poste de Yellowknife à des investisseurs privés.
La Fédération franco-ténoise (FFT) avait raison de se plaindre. Dans une décision rendue fin avril, le commissaire aux c du Canada juge fondées les trois plaintes déposées par l’organisme qui affirmait avoir été indûment écarté du rachat d’un édifice public de Yellowknife. Selon le Commissariat, les communautés linguistiques en situation minoritaire devraient être des acheteurs priorisés quand l’État vend ses bâtiments.
Dans une lettre adressée à la FFT et dont L’Aquilon a obtenu copie, le commissaire aux langues officielles, Graham Fraser, se dit « très préoccupé » du peu d’égard que le ministère des Travaux publics a accordé aux besoins de la communauté francophone lors de la vente du bureau de poste de l’avenue Franklin en 2009.
« Notre analyse des faits, écrit le commissaire Fraser, nous amène à conclure que Travaux publics et services gouvernementaux Canada n’a pas démontré que ses représentants avaient cherché à identifier et à prendre en compte les besoins et les particularités de la FFT, qui représente les intérêts de la communauté francophone des Territoires du Nord-Ouest. »
Pour sa part, le ministère affirmait que sa politique en matière de vente de biens immobiliers excédentaires ne l’engage qu’à prioriser les offres d’achat d’autres paliers de gouvernement et pas ceux d’organismes non gouvernementaux comme la FFT. Le commissaire aux langues officielles réfute cette lecture et insiste pour dire que la Loi sur les langues officielles comprend des dispositions qui obligent le gouvernement à tenir compte des besoins des communautés linguistiques dans chacune de ses décisions, y compris la vente d’un édifice.
Le président de la Fédération franco-ténoise, Richard Létourneau, se réjouit de la décision. « Nous sommes évidemment satisfaits, dit-il. Ça a été un long dossier. Ça a pris plusieurs années avant d’avoir une décision. Nous sommes heureux d’obtenir finalement gain de cause. »
Cette petite victoire n’annule cependant pas la vente de l’édifice de la poste que convoitait la FFT. « La vente qui a eu lieu, on ne pourra jamais revenir là-dessus, concède Richard Létourneau. Mais à l’avenir, ça va pouvoir aider la communauté franco-ténoise dans ses démarches, et également les autres communautés francophones du Canada et les anglophones du Québec. »
« Ça va être plus facile d’obtenir du support dans la machine », analyse le président.
Impact national
En effet, au-delà de l’anecdote locale, la décision du commissaire aux langues officielles présente une portée nationale.
Le commissaire recommande que la directive de vente du ministère soit révisée afin de la rendre conforme à la Loi sur les langues officielles. Cela aurait pour effet de faire des communautés linguistiques minoritaires des acheteurs prioritaires à chaque fois que le gouvernement met des biens publics sur le marché.
Cette directive émane du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada qui était également visé par les plaintes de la FFT. Selon le commissaire Graham Fraser, la directive en elle-même ne contrevient pas à la Loi, mais il juge qu’elle n’est pas assez claire quant aux obligations envers les communautés linguistiques.
« Je considère, écrit M. Fraser, que les instructions d’applications de la directive émises par le Secrétariat du Conseil du Trésor devraient souligner la nécessité de tenir compte de l’intérêt des collectivités de langue officielle en situation minoritaire dans l’ensemble du Canada et de clarifier la façon dont cela doit être fait dans tout le processus d’aliénation de biens excédentaires ».
La révision de cette politique doit justement avoir lieu durant l’année en cours. Le commissaire souligne qu’il fera pression afin que les besoins des communautés linguistiques soient inclus dans la prochaine mouture de la directive.
Or, pendant ce temps, les organismes francophones de Yellowknife n’ont toujours pas résolu leurs problèmes d’espace. « C’est l’impasse, admet le président Létourneau. On n’a toujours pas trouvé le bijou, et si nous l’avions déniché, on ne serait pas en position de faire une offre. »
Richard Létourneau demeure néanmoins optimiste. Il note qu’à Hay River, la communauté a réussi à trouver des espaces pour loger une garderie francophone. Il relève également la rencontre fructueuse de mars dernier avec le Comité permanent de la Chambre des communes sur les langues officielles dont les membres avaient été scandalisés par l’exiguïté de la maison Laurent-Leroux, où s’entassent les nombreux employés de la FFT, de l’Association franco-culturelle de Yellowknife et de Radio Taïga. Surtout, il brandit ce nouvel argument dont Graham Fraser vient de les munir.
« À partir de maintenant, on sait que tout édifice qu’ils [le gouvernement] vont laissé aller, ils sont obligés de nous considérer. »
Au moment de mettre sous presse, Travaux publics Canada n’avait pas rappelé L’Aquilon.
Vente d’édifices publics : Rappel des faits
Au milieu de la décennie 2000, après s’être heurtés à une fin de non-recevoir dans son projet de construction d’un centre scolaire communautaire à l’emplacement de l’école Allain St-Cyr, divers organismes francophones de Yellowknife entreprennent des démarches pour faire l’acquisition d’un nouvel immeuble afin de répondre à un manque de plus en plus criant d’espace communautaire.
Quand l’édifice de Postes Canada est mis en vente par Travaux publics Canada en 2008, la FFT dépose une offre d’achat de 1,2 million de dollars.
En mars 2009, l’édifice est finalement cédé pour un montant légèrement inférieur à l’offre de la FFT à un consortium d’investisseurs immobiliers réunis sous la bannière Denendeh Investment. La FFT porte plainte au Bureau du commissaire aux langues officielles.
L’édifice situé à l’angle de l’avenue Franklin et de la 49e Rue abrite toujours le comptoir de Postes Canada. Construit en 1956, le bureau de poste a été désigné édifice patrimonial par la municipalité de Yellowknife en 2007.