Au gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, la race, le sexe, les handicaps et le lieu d’origine sont des critères d’embauche depuis plus de vingt ans.
La première politique de « promotion sociale » est adoptée en 1989 par le gouvernement que dirige Dennis Patterson. L’objectif est essentiellement d’augmenter la présence autochtone au sein de la fonction publique. Le problème est alors évident : Métis, Dénés et Inuit, qui composaient les deux tiers de la population des Territoires du Nord-Ouest d’avant la partition du Nunavut, n’occupaient qu’un poste de l’État sur cinq.
Si le principe de discrimination positive est largement appuyé par les syndicats et les parlementaires, il se heurte cependant aux dispositions de Loi prohibant la discrimination (1988) qui interdit « de refuser d’employer ou de refuser de continuer d’employer une personne, ou de la défavoriser dans les conditions d’emploi, à cause de sa race, de ses croyances, de sa couleur, de son sexe, de son état matrimonial, de sa nationalité, de son ascendance, de son lieu d’origine, de son invalidité, de son âge ou de son état familial, ou à cause d’une condamnation pour laquelle un pardon a été obtenu ».
Dans la première mouture de cette loi, les seules exceptions permises concernent « les personnes employées à titre de domestique dans une maison privée » et les organismes religieux et caritatifs. Bref, il est possible d’exiger d’être conduit par un chauffeur noir, mais pas d’être administré par une sous-ministre chipewyan! Il faudra attendre 1995, année de l’entrée en vigueur au fédéral de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, pour que la loi territoriale soit modifiée et qu’on y ajoute une section autorisant formellement la politique de promotion sociale.
Au tournant du millénaire, la politique est vivement critiquée et accusée d’inefficacité. C’est que la promotion sociale fait l’objet de rapports annuels depuis 1994 et qu’on se rend bien compte que rien n’a changé. Dans un éditorial de 1997, l’hebdomadaire News/North se lamente que « la pire insulte, c’est que cette politique stupide ne fonctionne pas ». Il est largement perçu que le népotisme, plus que le désir de refléter équitablement la composition de la société ténoise, détermine souvent l’attribution des postes.
En 2000, un projet de loi est présenté à l’Assemblée législative par le futur ministre responsable de l’emploi Charles Dent afin de créer une « commission de la fonction publique », une agence chargée de recevoir et d’examiner les plaintes de personnes s’estimant lésées par le processus d’embauche. L’idée est finalement abandonnée, mais le gouvernement Kakfwi jure d’agir et flirte un temps avec l’idée d’abolir la politique de promotion sociale et de la remplacer par un régime plus étendu « d’équité en matière d’emploi ».
C’est dans ce contexte qu’est élaborée la Loi sur les droits de la personne qui remplace depuis 2004 la Loi prohibant la discrimination. Loin de s’en éloigner, la nouvelle législation réaffirme avec force la légitimité de la discrimination positive en précisant, à l’alinéa 67, que la Loi « n’a pas pour effet d’empêcher une loi, un programme ou une activité ayant pour objet l’amélioration de la situation de particuliers ou de groupes désavantagés ».
Cela ne découragera pas Jenny Belyea, une résidente des TNO de longue date née en Ontario, de contester la politique de promotion sociale en 2006. Dans une plainte déposée à la Commission des droits de la personne, Mme Belyea affirme que la politique la discrimine pour des motifs raciaux. Selon elle, la directive est périmée et empêche les résidents non autochtones d’avoir un accès égal aux emplois de la fonction publique. La plainte est rejetée par la Commission. La plaignante fait appel.
Finalement, dans sa décision de 2007, le tribunal d’arbitrage présidé par Shannon Gullberg confirme l’irrecevabilité de la plainte en vertu de la loi territoriale. Mme Gullberg précise toutefois qu’ « une telle politique pourrait faire l’objet d’une révision dans le cas où une personne faisant partie d’un groupe que la politique vise à favoriser estime être discriminée par ladite politique ».
Depuis sa création il y a sept ans, la Commission des droits de la personne traite chaque année plus ou moins une vingtaine de plaintes concernant l’emploi et une dizaine par rapport à la fonction publique. Hormis le cas Belyea, il n’a pas été possible de déterminer combien de ces plaintes portaient sur la politique de priorité d’embauche du GTNO. Ce qui est certain cependant, c’est que si ces plaintes existent, aucune n’a fait l’objet d’une enquête.
Or, après deux décennies de discrimination positive, le territoire n’est toujours pas parvenu à modeler une fonction publique à l’image de ses administrés. En 2011, à peine le tiers des employés du gouvernement territorial sont autochtones, et, à 16 %, le nombre de cadres autochtones est aujourd’hui moins élevé qu’il ne l’était dix ans plus tôt. Dans les postes de direction, l’absence de femmes autochtones est flagrante. Le bureau des Affaires autochtones n’a lui-même qu’un seul cadre de cette origine ethnique, un homme.
Quant aux personnes handicapées, qui regroupent plus de 5 % de la population active, elles ne représentent guère plus de la moitié de un pour cent de tous les fonctionnaires territoriaux.