Dans un jugement daté du 1er juin 2012, la juge Louise Charbonneau de la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest acquiesce à de nombreuses demandes des parents francophones des TNO.
YELLOWKNIFE – Après un peu plus de 15 mois d’attente à la suite des audiences en cour et plusieurs années depuis que les recours ont été intentés, les parents francophones de Hay River et de Yellowknife reçoivent finalement les nouvelles qu’ils espéraient : les deux écoles francophones des TNO seront agrandies et obtiendront chacune un gymnase. De plus, la directive ministérielle de 2008 qui restreignait le droit d’admission à l’école Boréale est déclarée inopérante, car contraire à la Charte.
Le lundi 4 juin 2012, lors de la conférence de presse convoquée par la Commission scolaire francophone des TNO (CSFTNO), la présidente de la commission, Suzette Montreuil, s’écrit : « À l’égalité réelle! », alors qu’elle brandit les deux décisions de la Cour suprême des TNO devant l’audience.
Mme Montreuil énumère brièvement les points forts de ce gain juridique : l’agrandissement des deux écoles pour assurer l’égalité réelle; l’accès par intérim aux infrastructures requises; le droit de gérer l’accès à l’école en français langue première; et le droit à des locaux pour la garderie et la prématernelle dans les écoles pour réparer les tords du passé.
Plus en détail, la juge de la Cour suprême des TNO, Louise Charbonneau, estime que les besoins et les nombres sont suffisants pour justifier la construction d’un gymnase d’au moins 500 mètres carrés pour chacune des deux écoles. Elle ordonne au gouvernement territorial de doter ces deux établissements de locaux suffisants pour qu’ils puissent offrir des cours de cuisine et d’arts ménagers, de musique et d’arts plastiques, ainsi que des locaux pour un laboratoire de science, une classe d’anglais langue seconde et un espace de travail pour les élèves ayant des besoins spéciaux. Ainsi, l’agrandissement prévu pour l’école Allain St-Cyr (ÉASC) dans la capitale ténoise devra permettre d’accueillir 250 élèves et l’école Boréale (ÉB) à Hay River devra être en mesure de recevoir 160 élèves. Les décisions mentionnent également que l’ÉASC pourra protéger les locaux requis pour son programme de prématernelle ainsi que pour la garderie. À l’école Boréale, qui n’abrite pas de garderie, le programme de prématernelle se retrouve aussi protégé.
« Je suis très content et très ému d’entendre ce jugement », commente un parent d’élève. Pourtant, Jean de Dieu Tuyishime enchaine aussitôt en questionnant les possibilités du gouvernement d’interjeter appel : « Si [le GTNO] va en appel, est-ce que cela gèle tout ce qui vient d’être dit? »
Me Roger Lepage, qui a représenté le camp francophone dans ces deux causes, répond par le truchement de la conférence téléphonique qu’une interruption de cette décision serait peu probable même en cas d’appel : « Le gouvernement aurait à demander à un juge de sursoir à la décision en attendant l’appel. De plus, on part de la prémisse que le gagnant à le droit de profiter des fruits de la décision et qu’une cour d’appel hésite toujours à mettre en suspens une décision, surtout dans ce cas ici, où la plus grande décision, c’est l’obligation du gouvernement de construire un agrandissement aux deux écoles. » Il ajoute que le gouvernement territorial à trois ans pour terminer la construction, soit jusqu’à la rentrée 2015.
Plus tard, du côté du gouvernement, Me Maxime Faille expliquera en entrevue que son client a une période de trente jours pour étudier la décision et interjeter appel ou non. « Nous allons prendre le temps nécessaire, suggère-t-il. […] Nous allons étudier le dossier et en bout de piste, ce sera au gouvernement de décider d’en appeler de la décision ou non. » Le juriste francophone admet néanmoins que les défendeurs sont « déçus par la plupart des aspects » de cette décision.
Reprenant la parole en conférence de presse, Me Lepage insiste sur le fait que le droit de la commission scolaire d’accorder des permissions d’admission aux non-ayants droit débute tout de suite. « La commission peut immédiatement accepter des demandes d’inscription venant de familles immigrantes, venant de familles de générations perdues (d’ancêtres francophones et métis), ou encore des individus anglophones qui veulent s’intégrer à la communauté. C’est très important, surtout en cette période d’inscription. » Pour soutenir cette affirmation, Marie Leblanc-Warwick, la directrice générale de la commission scolaire, souligne à L’Aquilon que la CSFTNO va revoir les demandes d’exemption refusées par le ministre de l’Éducation sous la loupe de sa politique d’admission qui comporte 18 critères.
Besoins en infrastructures et égalité des droits
Le jugement se penche sur une question centrale à l’application de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, soit celle de l’égalité des droits. L’article 23 accorde une égalité réelle aux élèves de la minorité, mais la notion d’égalité réelle reçoit une interprétation différente par les parents francophones et par le gouvernement.
Pour les parents représentés notamment par l’Association des parents ayants droit de Yellowknife (APADY) et la CSFTNO, l’égalité équivaut à bénéficier des mêmes infrastructures que les écoles de la majorité, indépendamment de leur nombre. Pour le gouvernement, l’égalité réside simplement en l’octroi de locaux en fonction de leur nombre, selon les mêmes normes que celles qui prévalent pour le système scolaire de la majorité.
Bien que la CSFTNO s’accapare la victoire sur cet aspect du jugement, la juge Charbonneau rejette ces deux approches dans sa décision.
« L’application des standards du ministère désavantage donc considérablement l’ÉASC, et ceci, en partie à cause de facteurs qui font partie intégrante de la réalité en milieu minoritaire. Selon moi, l’article 23 crée une obligation pour les Défendeurs de faire des ajustements pour assurer aux élèves de la minorité une égalité réelle par rapport aux élèves de la majorité », indique la juge. Mais elle rejette aussi la prétention des parents d’obtenir des infrastructures et des programmes entièrement calqués sur les grosses écoles de la majorité. « Nul doute qu’une école parfaite ou idéale aurait tous ces locaux, mais l’article 23 ne crée pas le droit à une école parfaite », écrit la magistrate. Pour la juge Charbonneau, la notion d’égalité réelle doit tenir compte de plusieurs facteurs : « La réponse à cette question requiert une analyse nuancée, qui tient compte des infrastructures disponibles pour la majorité, en utilisant le comparateur que j’ai identifié (les écoles avec lesquelles l’école Boréale est en concurrence à Hay River), mais en tenant compte aussi des différences dans les nombres, des besoins pédagogiques de la minorité, de l’importance pour elle d’avoir des locaux scolaires distincts, et des coûts. »
Jugement critique envers le gouvernement
Certains passages du jugement Charbonneau sont plutôt critiques envers le comportement du gouvernement et de l’administration scolaire de district de Hay River.
La juge estime que le GTNO devra être vigilant pour s’assurer que l’école Boréale a un accès équitable aux locaux partagés avec les autres écoles, surtout en considérant les relations difficiles avec l’administration scolaire de district de Hay River.
La juge se montre parfois sévère envers le gouvernement pour ses comportements, notamment dans la question des critères d’inscription et de la directive ministérielle de juillet 2008. Elle précise même que cette directive explique en partie sa décision d’appuyer le programme de prématernelle. « C’est une façon pour les Défendeurs de contribuer au processus de revitalisation qu’ils ont sérieusement entravé en usurpant les pouvoirs de gestion de la CSFTNO par l’entremise de la directive ministérielle. » Elle conclut que la directive ministérielle était tout simplement une réponse musclée au recours judiciaire intenté par les Demandeurs avec une application qui suivait des principes « parfois confus, parfois incohérents et parfois contradictoires ».
Pour sa défense, le GTNO, par la voix de Me Faille, rappelle que « généralement, la juge a reconnu qu’il n’y avait aucune mauvaise foi du gouvernement ». Il dit que son client n’est pas d’accord avec les reproches émis par la juge en lien avec la directive ministérielle, car il estime qu’un gouvernement doit s’assurer que les ressources publiques destinées pour l’éducation en français langue première sont utilisées pour les ayants droit.
À la suite de ces mesures de redressement, la juge Charbonneau n’estime pas nécessaire de rester saisie du dossier. Elle a confiance envers le gouvernement et cette confiance est alimentée par le fait que les Défendeurs se sont conformés aux ordonnances interlocutoires rendues dans les deux recours. Elle ajoute que le GTNO a tout de même pris des mesures pour la mise en œuvre de l’article 23 aux TNO. La juge Charbonneau mentionne que « [les défendeurs] n’ont pas nié ou ignoré leurs obligations constitutionnelles découlant de l’article 23. Ils les ont simplement interprétées de façon indument restrictive. »
Rappelons que les parents de l’école Allain St-Cyr ont intenté leur recours en avril 2005 et que ceux de l’école Boréale l’ont fait en mai 2008. Il s’agit donc d’une attente de sept ans pour les parents de Yellowknife et de quatre ans pour ceux de Hay River.