Les chercheurs de la Commission de vérité et de réconciliation du Canada traquent et analysent
des millions de documents pour faire la lumière sur le traitement réservé aux Autochtones dans les pensionnats.
Alors que le mandat de la Commission de vérité et de réconciliation (CVR) arrive à son terme en juin prochain, on se demande si elle aura le temps de collecter, de classer et d’analyser les documents ayant trait au traitement réservé aux Autochtones dans les pensionnats du Canada. L’équipe du Centre national de recherches de la CVR a déjà analysé en bonne partie les quelque 3,5 millions de documents en sa possession, mais d’autres continuent d’affluer, quelques centaines de milliers depuis janvier dernier, et ce flux va continuer.
Pour avoir une idée du caractère colossal de la tâche à accomplir, il faut savoir que le Centre national de recherches doit recueillir et analyser des documents provenant de 20 agences gouvernementales fédérales et de quatre confessions religieuses (catholique, protestante, anglicane et presbytérienne), répartis sur 150 ans d’histoire. Il n’est pas non plus superflu de savoir que l’Église catholique et le gouvernement n’ont pas encore rempli toutes leurs obligations de livrer leurs documents. C’est pourquoi d’ailleurs la CVR a dû amener en cour – qui lui a donné raison – le gouvernement fédéral, afin de lui enjoindre d’opérer plus prestement.
Mode opératoire
Ry Moran est le directeur de la consignation des témoignages et du Centre national de recherches de la CVR. Il préside toute la logistique des opérations. Actuellement, par exemple, à Bibliothèque et Archives Canada à Ottawa, une dizaine de professionnels de la recherche en histoire et d’assistants œuvre à analyser des documents de divers types – photographies, factures, etc. – formats et âges. Les photographies peuvent servir à retrouver des personnes disparues, elles sont parfois les seuls souvenirs de ces personnes. Or, certaines sont sur plaques de verre. « Bibliothèque et Archives Canada ressemble plus à un entrepôt qu’à une bibliothèque, explique Ry Moran, ce n’est pas hyper organisé. Même si le gouvernement a l’obligation légale de nous livrer ses archives de manière organisée, il y a des boîtes dont personne ne connaît le contenu. Dans certains cas, donc, il faut commencer par dresser des inventaires, dans d’autres, examiner ceux qui existent déjà. Et ensuite creuser. » Selon Ry Moran, personne ne sait combien il existe de documents relatifs aux pensionnats; et ces documents peuvent se trouver dans d’autres ministères gouvernementaux, comme Agriculture et Agroalimentaire, etc.
Après la première étape accomplie par les historiens, les documents sont numérisés par une autre équipe, puis intégrés dans une banque de données par une troisième. « Nos écrivains trouvent des choses tous les jours, affirme Ry Moran; elles seront rendues publiques dans notre rapport final en 2014, pleinement documentées. » Un rapport intérimaire avait été diffusé début 2012.
Documenter, guérir
En entrevue à L’Aquilon, la commissaire Marie Wilson a évoqué – sinon souhaité – une prolongation du mandat de la CVR. « Comment, a-t-elle souligné, peut-on écrire un rapport si nous n’avons pas en main tous les documents nécessaires? Il reste un travail énorme à faire au gouvernement fédéral, qui avait pourtant depuis 2007 pour se préparer. Le gouvernement aimerait peut-être que ces documents tombent en poussière et disparaissent. On doit faire en sorte que ça n’arrive pas. Plus il traîne, plus il sera dégagé de ses obligations, plus il y aura des choses qu’on ignorera. Mais nous ne lâcherons pas et nous retournerons devant la cour si nécessaire. Nous l’avons déjà dit aux représentants du gouvernement. »
Jusqu’à maintenant, rappelle Marie Wilson, on sait qu’il y a eu au moins 4120 morts dans les pensionnats, plusieurs enterrés sans cérémonie. La moindre des choses serait que des parents sachent ce qu’il est advenu de leur enfant. Elle donne l’exemple du leader cri Romeo Saganash, dont un frère est décédé dans une école. « Il a déclaré que sa mère n’avait jamais pu faire le deuil de son enfant, qu’elle n’a jamais su la cause de sa mort ou reçu un certificat de décès. Ce n’est que tout récemment et par hasard qu’on a su son lieu de sépulture. »
La Commission de vérité et de réconciliation, a rappelé l’ancienne journaliste de CBC, doit contribuer à long terme à la guérison des personnes qui ont souffert de mauvais traitements, documenter la grande Histoire des pensionnats pour que rien ne soit jamais oublié ou nié. Toutes les archives provenant du gouvernement et des églises, les témoignages des survivants (plus de 5000 personnes) et leurs transcriptions seront disponibles au Centre de la recherche, hébergé de façon permanente par l’Université du Manitoba à Winnipeg. Les archives seront également accessibles sur Internet. Les documents y seront disponibles pour d’autres recherches approfondies.
Le rôle des médias
Marie Wilson interroge le rôle des médias dans la couverture des enquêtes relatives au sort des Autochtones au Canada. Elle rappelle d’une part que c’est au Québec que la méconnaissance du sujet est la plus élevée. Ensuite, elle se demande pourquoi il a fallu l’histoire des expériences nutritionnelles sur les Premières Nations pour que les médias en fassent mention. « Pourtant, s’indigne-t-elle, au moins 85 % des 5000 personnes interrogées précédemment avaient déjà déclaré qu’elles avaient faim dans les pensionnats, et que c’est à cause de ça qu’elle avait appris à voler. Ça ne suffisait pas à faire la nouvelle? Je n’ai jamais vu un reportage sur ça en trois ans. Si ça n’avait pas été des Amérindiens, en aurait-on parlé davantage? »
Le dernier pensionnat pour les Autochtones a fermé en 1996. Selon Marie Wilson, c’est aux Territoires du Nord-Ouest qu’il y en a eu le plus (avec la Saskatchewan et l’Alberta) et le plus longtemps. « C’est ici, précise-t-elle, qu’on retrouve le pourcentage per capita le plus élevé au pays de personnes ayant été dans des pensionnats. Dans certaines collectivités, 90 % des adultes ont été dans les pensionnats. »