le Lundi 21 avril 2025
le Jeudi 28 novembre 2013 11:26 | mis à jour le 20 mars 2025 10:39 Autochtones

Linguistique Les langues parallèles du Nord

Linguistique Les langues parallèles du Nord
00:00 00:00

Parlez-vous mitchif, mitchif french ou bongi?
 

Dans quelle langue s’exprimaient les Métis du Slave Nord? Dans son mémoire de maîtrise, une étudiante en linguistique cherche une réponse à cette question.
C’est un peu par hasard que Susan Saunders en est venue à se consacrer de manière approfondie à la langue des Métis des Territoires du Nord-Ouest, mais c’était aussi dans le champ des probabilités. Elle fréquente le Nord depuis longtemps, un Nord qu’elle adore et où elle a fait de mémorables voyages en canots, de Yellowknife à Kugluktuk par exemple. Elle possède de bonnes notions d’inuktitut, et parle un français plus que décent, appris dans des écoles d’immersion de l’ouest du Canada. Le mari de Susan Saunders travaille pour la North Slave Métis Alliance (NSMA). Apprenant qu’elle était linguiste, le président de la NSMA, Bill Enge, lui a demandé de faire des recherches sur la langue des Métis. Une heureuse coïncidence pour celle qui s’est toujours intéressée à l’approche communautaire de revitalisation des langues. La langue des Métis de la NSMA est donc devenue le sujet de son mémoire de maîtrise à l’Université de Victoria.
Conformément à l’approche évoquée plus haut, Susan Saunders a commencé par enquêter sur la communauté en demandant à ses membres quelle était leur langue et celle de leur famille. « Beaucoup de personnes m’ont dit que leurs grands-parents parlaient l’esclave, le chippeywan, l’anglais et le français, note la linguiste. Il faut savoir que les Métis, étant souvent des guides et des commerçants, se devaient d’être polyglottes. Mais quant à la langue parlée à la maison, plusieurs m’ont dit que leurs parents parlaient français, ou encore un français abâtardi. »

Constructions linguistiques
Susan Saunders espère déposer son mémoire de maîtrise au printemps. D’ici là, elle continuera à faire des entrevues à Yellowknife, en fera d’autres à Bechoko, Fort Providence et Fort Smith. Vance Sanderson, un employé des Métis de Forth Smith, est
délégué de la langue crie pour les Territoires du Nord-Ouest. Il a dit à Susan Saunders qu’il y a beaucoup d’éléments cris dans la langue parlée par les Métis de Fort Smith.
On considère habituellement que la langue parlée par les Métis de l’Ouest est le mitchif, qui juxtapose des groupes nominaux français à des groupes verbaux cris. Mais selon Denis Gagnon, directeur de la Chaire de recherche du Canada sur l’identité métisse, associée à l’Université de Saint-Boniface, cette langue n’a été parlée que par un groupe restreint de chasseurs de bisons au Manitoba et au Dakota du Nord, dont il ne reste aujourd’hui que 60 locuteurs. « D’autres langues sont nées des mélanges de cultures autochtones, comme le bungi, qui mélangeait l’anglais des Écossais au saulteux, mais la plupart des Métis parlaient et parlent encore un vieux français. »
C’est le cas pour les Métis des TNO, croit Susan Saunders, qui se sont établis ici dans les années 1700, avant la création du mitchif, qui est survenue environ un siècle plus tard. « Mais il y a pu y avoir plus tard des migrations de Métis faisant en sorte qu’aux TNO, certains parlent le mitchif et d’autres un vieux français. Et puis, des aînés nous ont dit que leurs parents parlaient français mélangé avec de l’esclave, parfois avec du chippeywan. Mais on ne sait pas si c’était des nouvelles langues créées à partir de deux autres, ou des changements d’un code à l’autre, comme le créole haïtien. Et quand on lit des récits historiques comme ceux de Petitot, il écrit "Ce garçon parlait français, cet autre métis french, ou mitchif." C’est très confondant. »
Les enregistrements que réalisera Susan Saunders au cours de ses recherches devraient fournir un éclairage sur la nature de cette ou de ces langues dont le nombre de locuteurs est très réduit et continue à diminuer radicalement. Selon elle, les Métis des Territoires âgés de 20 à 40 ans ont été déconnectés de cet héritage et ils veulent le découvrir. Au recensement 2011 de Statistique Canada, 451 795 personnes ont déclaré être des Métis, soit 32,3 % de la population autochtone totale et 1,4 % de l’ensemble de la population canadienne.