Le gouvernement ténois veut modifier sa Loi sur la reconnaissance de l’adoption selon les coutumes autochtones.
Son fils a été adopté sans son consentement et même sans qu’il le sache : Hugues Latour est une de ces personnes qui ont été lésées par la Loi sur la reconnaissance de l’adoption selon les coutumes autochtones des TNO, que le gouvernement veut modifier.
Quelques provinces et territoires canadiens possèdent une loi qui a pour but de formaliser et de donner un statut juridique à l’adoption qui est courante chez les Autochtones. On citera, outre les TNO, la Colombie-Britannique, le Québec et le Nunavut.
Mais il y a aux TNO des ratés dans la manière dont la Loi fonctionne.
Ancien enseignant à Inuvik, Hugues Latour vit plusieurs démêlés avec la justice. Il a un enfant avec Flora*, qui en obtient la garde provisoire. En 2013, la tante de Flora aurait adopté l’enfant selon une entente de gré à gré avec la mère. Par la suite, la tante demande à la commissaire à l’adoption, Cheryl Wright, que cette adoption soit officiellement reconnue. À partir de quelques renseignements (nom actuel et à la naissance, noms des parents, etc.), mais sans mettre au courant le père, et sans apparemment de recherches sur les aptitudes parentales de la tante, Cheryl Wright signe un certificat d’adoption et l’envoie à la Cour suprême des TNO, qui l’approuve de facto. L’enfant ne porte désormais plus le nom de famille de son père, qui n’a plus accès à son fils.
Après avoir été mis au courant de l’adoption, M. Latour a entrepris des démarches pour faire annuler l’adoption, ce qui a été fait le 26 juin 2017, le juge ordonnant en outre que le Registre de l’état civil efface de ses registres le certificat de reconnaissance d’adoption et restaure les informations de l’acte de naissance original.
Réparation
En juillet dernier, Hugues Latour a fait parvenir au gouvernement une lettre en français demandant de sa part une réparation financière.
Il y allègue que son fils, un quart autochtone, a été kidnappé, que les services en français et l’aide juridique lui ont été refusés. Il demande que la commissaire à l’adoption Cheryl Wright réponde de ses actes.
« Je voudrais que le gouvernement réalise qu’un crime a été commis, dit M. Latour à L’Aquilon. […] Mon fils a été kidnappé et personne n’est responsable ni coupable. Comment est-ce possible au Canada ? »
Hugues Latour avance n’avoir jamais reçu de réponse du gouvernement. Mais le ministre de la Santé et des Services sociaux (MSSS), Glen Abernethy affirme que ce n’était pas la première lettre du genre que le gouvernement recevait de la part de celui-ci, et qu’il lui avait déjà été répondu que la seule solution pour M. Latour était de poursuivre le gouvernement puisque M. Abernethy ni personne au ministère n’a le pouvoir de renverser la décision d’un commissaire. Mais le dossier du fils de M. Latour est toujours devant les tribunaux et M. Latour dit ne pas avoir les moyens de poursuivre le gouvernement. Les honoraires de son avocat pour le mois d’aout dernier dépasseraient 7000 $.
M. Abernethy est le ministre responsable de la Loi sur la reconnaissance de l’adoption selon les coutumes autochtones et il nomme les commissaires à l’adoption, qui sont payés 250 $ à l’acte, que le certificat soit émis ou non.
Autre cas
Le site Internet de CBC North fait état d’un autre cas de contestation de la Loi des TNO sur la reconnaissance de l’adoption selon les coutumes autochtones.
La Division des services à l’enfant, à la famille et à la communauté du gouvernement de la Colombie-Britannique (C-B) avait placé un enfant métis dans une famille d’accueil semi-métisse. Selon CBC, cette famille aurait déménagé aux Territoires du Nord-Ouest en 2016, alors que l’enfant vivait en Ontario, et aurait demandé, avec succès, à la commissaire à l’adoption, Mary Beauchamp, de reconnaitre l’adoption de cet enfant.
Le gouvernement de la Colombie-Britannique conteste l’adoption, qui n’aurait pas dû avoir lieu selon le GTNO, tel que cité par CBC North. L’affaire est actuellement devant la Cour suprême des TNO.
Amendements
Le GTNO veut amender sa Loi sur l’adoption coutumière, a affirmé Glen Abernethy à L’Aquilon en aout dernier. Mais il attend de voir quelles modifications à la Loi auront lieu dans d’autres provinces avant d’amorcer le processus.
La Loi ne sera pas entièrement révisée, a fait savoir le ministre Abernethy; les modifications prévues portent sur le support aux commissaires dans leur rôle et incluent, « à moins que ce soit contraire à la loi coutumière autochtone, l’exigence que le consentement écrit des deux parents soit obtenu avant l’émission du certificat ».
« La loi est déjà assez claire, rétorque Hugues Latour, elle exige déjà un consentement des parents. »
En 2016, lors de la demande de cassation de l’adoption de son fils, la gestionnaire du programme des services à l’enfance et à la famille au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), Bethan Williams-Simpson a témoigné. Elle a affirmé que son ministère ne supervise pas les commissaires à l’adoption et que ceux-ci n’ont pas à documenter leurs décisions.
Or, le rôle de ceux-ci est capital puisque la Cour suprême des TNO approuve de facto leurs décisions.
« Il faudrait peut-être mieux informer les commissaires sur les choses qu’ils doivent considérer avant de reconnaitre une adoption », avance l’avocate Trisha Paradis, du cabinet Toner Dragon. Me Paradis représente la division des services à l’enfant, à la famille et à la communauté de la Colombie-Britannique, le bureau du tuteur et curateur public de la C-B dans l’affaire impliquant la commissaire Beauchamp. Elle croit que des formations à cet effet ont déjà eu lieu.
Avant la Cour suprême
Trisha Paradis est ambivalente sur la nécessité d’inclure dans les futurs amendements à la Loi un mécanisme de vérification des certificats remis à la Cour suprême par les commissaires à l’adoption. D’un point de vue personnel, elle croit que des vérifications devraient être faites, en raison de l’enjeu; par contre, fait-elle remarquer, d’autres départements gouvernementaux prennent des décisions qui sont approuvées automatiquement par la Cour Suprême. Professionnellement parlant, elle ne pense pas que ce cas devrait être traité différemment.
« La loi coutumière n’est pas faite pour être règlementée, de dire Maitre Paradis, alors c’est délicat d’équilibrer cela avec la législation. Des améliorations pourraient être effectuées pour s’assurer que la divulgation soit faite et que toutes les parties soient conscientes. Mais il ne faut pas simplement se baser sur les très rares cas de cour où les notifications n’ont pas été données à toutes les parties. »
Pour Trisha Paradis, l’amélioration pourrait être davantage dans la formation que dans l’ajout de règlementation.
Selon le MSSS, il y aurait eu 84 cas de reconnaissance de l’adoption selon les coutumes autochtones aux TNO entre le 1er avril 2015 et le 31 mars 2017.
* (nom fictif)