Les recherches de René Fumoleau sur les traités autochtones ont été cruciales pour les revendications territoriales des Dénés.
Décédé le 6 aout dernier, René Fumoleau a laissé un fonds de plus de 15 000 photographies, mais son œuvre majeure est peut-être sa contribution aux revendications territoriales des Dénés. René Fumoleau a effectué plusieurs années durant des recherches sur les traités 8 et 11, qui liaient les Dénés et les Métis au gouvernement canadien.
« C’était la première fois qu’une recherche comme ça était faite au Canada, affirme l’ancien chef national des Dénés, Bill Erasmus. Ça a été très important. » Le gouvernement canadien considérait que les traités éteignaient les droits autochtones alors que les Dénés les percevaient comme des traités d’amitié et de paix.
Les recherches du prêtre oblat ont notamment permis de récolter des témoignages de gens qui avaient assisté aux signatures des traités et qui étaient encore vivants, et de prouver que certaines promesses du gouvernement canadien n’avaient pas été tenues.
La question de la cession des droits fonciers a opposé en cour d’appel des Territoires du Nord-Ouest les chefs dénés, dont celui de Smith’s Landing, François Paulette, au gouvernement canadien en 1972. Le juge Morrow rendra son verdict l’année suivante.
« Le juge Morrow avait conclu que nous n’avions pas cédé nos droits, rappelle Bill Erasmus, actuellement président du Conseil arctique de l’Athabasca. […] René Fumoleau croyait que les Dénés avaient des droits. Il a mis ça dans l’histoire du Denedeh, et dans Dene Nation [un film]. Sa contribution est très importante. Son décès est une grande perte parce qu’il a été capable de faire connaitre les problèmes des Dénés au-delà des frontières des Territoires du Nord-Ouest. »
Les titres autochtones
« René Fumoleau avait nettement capté l’attention des fonctionnaires, analyse François Paulette. […] Ce procès a ouvert la voie à d’autres dialogues et négociations sur nos terres et sur les compensations. Ce cas et un autre (décision Miscott) en Colombie-Britannique ont influencé les procédures légales qui allaient venir. […] Le premier ministre de l’époque [Pierre Elliot Trudeau] avait annoncé qu’il y avait une chose qui s’appelait les droits et les titres autochtones. C’était la première fois qu’un premier ministre faisait ce genre d’annonce. C’était immense. »
« Where the rivers meet d’Alex Czamecki porte sur René Fumoleau et George Barnaby et les familles à Fort Good Hope. C’est un très bon documentaire, bien fait, un des meilleurs que je connais sur ces évènements historiques. »
Publication
Les recherches de René Fumoleau sur les traités 8 et 11 ont été publiées d’abord en anglais chez McClelland & Stewart en 1975, sous le titre As long as this land shall last, et, près de 20 ans plus tard en français, sous le titre Aussi longtemps que le fleuve coulera, au Septentrion, un éditeur québécois spécialisé dans l’histoire, avec un intérêt particulier pour les titres touchant la francophonie et les Autochtones.
« À la base, c’était un livre pour les non-Dénés, et les enseignants pour qu’ils puissent comprendre les traités 8 et 11 », explique François Paulette.
« Quand on parle des traités à numéro, Fumoleau est toujours cité », assure le président du Septentrion, historien et ancien ministre la culture du Québec, Denis Vaugeois.
« Gaston Deschênes, poursuit-il, qui avait édité Fumoleau, l’avait cité dans L’impasse amérindienne. […] Il m’a fait comprendre l’importance des traités à numéros, qui étaient des traités de dépossession. »
Denis Vaugeois rappelle le contexte historique des débats juridiques entourant les traités. En 1969, le gouvernement libéral avait rendu public un Livre blanc qui préconisait l’abolition de la Loi sur les Indiens.
Une politique d’assimilation et de colonisation, dénonce François Paulette.
« Pierre Elliott Trudeau s’est attaqué aux droits ancestraux, de dire Denis Vaugeois. Il était en faveur des droits individuels ; les droits collectifs, il n’était pas capable. »
« En 1970, Trudeau va s’incliner, rappelle l’historien. Fumoleau est de ceux qui l’ont fait reculer, et c’est plus qu’une figure de style. »
Pour l’historien Denis Vaugeois, René Fumoleau était un géant de stature pancanadienne.
Sage et érudit
Le tirage d’Aussi longtemps que le fleuve coulera est aujourd’hui épuisé. Les probabilités qu’il soit réédité sont minces, même sous forme numérique.
« Nous savions que les chances d’avoir du succès n’étaient pas fortes, concède Gaston Deschênes. René Fumoleau n’était pas connu en dehors de certains cercles. Mais M. Vaugeois ne prenait pas ses décisions pour faire de l’argent.
» La plupart des relations entre auteur et éditeur ont eu lieu à distance.
« Je ne l’ai vu que deux fois, dit Gaston Deschênes. Il m’a fait une très grande impression. Il était souriant, charmant, très engagé dans la cause autochtone. »
« Mon souvenir est vague, mais positif, révèle Denis Vaugeois. C’était quelqu’un de sage, de calme et d’érudit. »
Pour François Paulette, René Fumoleau a peutêtre vécu un conflit entre la mission de christianisation des oblats et sa vie personnelle. « Il devait se demander : “pourquoi les Dénés devraient-ils être convertis ? Pourquoi devrions-nous les changer ?” »
Dans une entrevue accordée à Natali Lefebvre pour L’Aquilon, René Fumoleau déclarait toutefois que ce n’était pas l’Église qui avait entrainé la dégradation du mode de vie traditionnel des Dénés, mais l’installation du gouvernement ténois à Yellowknife en 1967.
Photographie
René Fumoleau a été célèbre comme photographe. Le fonds d’archives qu’il a cédé au Centre du patrimoine septentrional Prince-de-Galles comprend 15 538 photographies (diapositives, négatifs, etc.) qui documentent la vie des Dénés de la fin des années 50 jusqu’à 1995. M. Fumoleau a photographié la nature et les Dénés dans toutes les étapes de leur quotidien.
« C’était un bon photographe qui était à son meilleur dans les portraits, juge la photographe Fran Hurcomb. Les sujets y révèlent toujours leur caractère. Ils sont relaxes avec lui qui les photographie, ils semblent heureux et à l’aise. »
« Les belles images de René Fumoleau m’ont beaucoup inspiré, dit le photographe Pat Kane. Plus j’apprenais sur lui, plus j’étais impressionné par la façon dont il interagissait avec les gens, comment il les respectait. Il était un homme attentionné qui voulait amplifier les histoires des gens du Nord sans accolades ou reconnaissance. Je pense que son humilité doit être grandement admirée. »
Le second livre de photographies de René Fumoleau, Au Nord : Vie des Dénés, terre des Dénés, paru chez Novalis, en 2010, contient une centaine de photos.
Édition
Au début des années 2000, les Éditions franco-ténoises ont mis en ligne sur le site Internet de L’Aquilon une section consacrée à René Fumoleau. « Ça a été dur de le convaincre, se rappelle l’ancien directeur des Éditions franco-ténoises, Alain Bessette. C’était quelqu’un de très modeste. Il disait : “J’ai juste fait quelques photographies…” »
Quatre ans plus tard, René Fumoleau proposera à Alain Bessette le manuscrit de ce qui allait devenir Légendes loucheuses (autrefois les francophones appelaient ainsi les Gwich’ins). « Il n’avait pas le temps d’y travailler, rappelle M. Bessette. C’était un premier jet plein de vieilles expressions dont nous ignorions le sens. Ça venait d’un Gwich’in [Paul Vaudrack] qui avait appris le français, mais parlait principalement anglais. »
Le tirage de l’ouvrage est épuisé.
La transcription des entrevues en français réalisées avec M. Vaudrack fait partie des archives écrites du Fonds René Fumoleau avec une ébauche d’Aussi longtemps que le fleuve coulera. On y retrouve aussi plusieurs documents audios, dont une pièce de tambours enregistrée à Fort Good Hope en 1957.
Outre son œuvre écrite et photographique, René Fumoleau est aussi cinéaste. Il a produit le documentaire I was born here et réalisé le film Dene Nation.
René Fumoleau est également l’auteur du recueil 50 ans chez les Dénés (Éditions Geste) et de deux livres de poèmes, Here I sit et The Secret. Il est à l’avant-plan dans le documentaire de Nicolas Paquet Ceux comme la terre (2014).
Originaire de Vendée, René Fumoleau est arrivé par voie fluviale aux Territoires du Nord-Ouest en 1953, un an après avoir été ordonné prêtre en France. Il a résidé dans les communautés de Rádeyîlîkóé, Déli?ne, Fort Liard, Dettah, et Lutselk’e. Dans les dernières années de sa vie il a résidé aux résidences Aven Manor à Yellowknife et Jimmy Erasmus Seniors Home à Behchoko`. Il est décédé le 6 aout 2019 et est inhumé au cimetière de Dettah sous une croix en bois.
Une célébration de la vie de René Fumoleau aura lieu le 30 aout en territoire déné, sur le site de la rivière Yellowknife.