Du 5 au 8 mars, la collectivité de K’atlo’deeche à côté de Hay River a célébré le K’amba Carnival. En 2020, cela fait maintenant 38 éditions que cet évènement existe.
Courses en sac, en raquettes, radio bingo géant, élection de la Reine du carnaval… Quatre jours durant lesquelles la petite collectivité bouillonne au rythme des tambours, notamment pendant les fameux tournois de jeux de mains.
Et cette année, alors que la compétition est normalement exclusivement constituée d’hommes, six têtes se démarquent sur le tapis : les sœurs Cardinal, autrement appelées, The Rebels. Jenna (14 ans), Sharida et Sarah (22 ans), Shaele (20 ans), Rhoda (24 ans) et Deanna (32 ans) sont originaires de l’Alberta. Elles habitent la collectivité de John D’Or Prairie, en amont de la rivière de la paix.
Jeu masculin
Depuis maintenant six ans, elles ont monté un groupe à leur image. « Un membre de la communauté nous a repérées et a décidé de nous commanditer en quelque sorte », raconte Deanna, la capitaine. Soutien privilégié, le père, Lester Cardinal, ne cache pas sa fierté : « Ce sont mes rebelles ! », lance-t-il dans un sourire.
Majoritairement masculins, ces jeux de mains se jouent par équipe. Ils existent sous de multiples formes. Le principe est assez simple en théorie : deux équipes s’affrontent, face à face, assises sur le sol. Les équipiers, accompagnés de tambours, doivent dissimuler une pierre dans la main de chacun de ses participants, sans que la troupe adverse n’en découvre l’emplacement.
Au cours de trois manches, ils doivent récolter le maximum de points – des bâtons verts pour l’occasion – afin de gagner. « Tout dépend de l’agilité, mais une partie peut durer des heures », explique la capitaine des Rebels.
« Beaucoup de femmes veulent l’égalité, et dans ce milieu, à l’inverse, beaucoup d’hommes refusent de les inclure, continue-t-elle. Ils pensent qu’on ne comprend pas les règles, qu’on va plus les handicaper qu’autre chose. » Deanna Cardinal soulève par ailleurs un point important : il ne faut pas demander à une femme ce que cela lui fait de jouer contre des hommes « C’est habituel pour nous ; c’est pour eux que ça change ! »
Jeu familial
Pourquoi s’être appelées The Rebels ? « C’est nous, c’est ce que nous sommes », s’exclame une des sœurs Cardinal, Shaele, 20 ans. Des rebelles, dans cette salle remplie majoritairement d’hommes, c’est certain. Seule équipe féminine de la compétition de jeux de mains, les six sœurs sont des ovnis. Elles chantent, elles crient, leurs cordes vocales bouillonnent aux rythmes des tambours. Face à elles, une troupe de garçons, plus docile, semble impressionnée par la puissance de leurs adversaires du jour.
Autour d’eux, la foule, curieuse, s’amasse en cercle, au fur et à mesure des éclats de voix, plus aigües que la normale.
« On est beaucoup complimentées parce qu’on joue en famille », de dire Deanna Cardinal, porte-parole de l’équipe. Les gestes sont fluides, les regards complices, le plaisir se lit dans leurs yeux. Les mains malicieuses se cachent sous les vestes noires au blason rouge à leur effigie.
Contrairement aux autres compétiteurs, les jeunes femmes élèvent le ton, menace souriante à prendre au sérieux. « On a une technique très particulière, parce qu’on se connait par cœur, on a inventé notre propre langage », décrit la trentenaire.
La pression n’a pas sa place dans la famille Cardinal, « nos entrainements se sont des jeux, à la maison, explique la plus âgée. Très souvent, il nous arrive de nous exercer toute la nuit avec nos parents, sans arriver à nous arrêter. »
Jeu d’émotion
Au complexe Lamalice, on y entre comme dans une arène. Les juges, d’un bout à l’autre du tapis, lèvent les doigts à chaque point marqué. Ils désignent le perdant, forçant l’équipe à dévoiler la pierre et à laisser la main.
« Nos cœurs battent quand les tambours sont frappés, on ressent de bonnes vibrations », racontent les joueuses. « C’est vraiment excitant, du début à la fin. »
Lorsqu’on les observe pratiquer, les émotions sont multiples. La puissance, la cohésion, et surtout, la concentration. Durant les heures, aucun regard ne fuse en dehors du cercle. Pour The Rebels, c’est la clé de leur tactique : « Quand on joue, on ne se rend pas compte qu’il y a du monde autour, on est dans notre bulle. »
Malheureusement, les rebelles n’ont pas réussi à se hisser sur le podium. « L’important, c’est d’être ensemble, c’est tout », conclut l’équipe d’un accord complice.