Tant l’administration de la santé publique, qui a dénoncé un résident avant d’avoir réalisé une enquête, que Michael « Pike Mike » Harrison, qui a annoncé dans les médias son intention de ne pas se plier à une règle de santé publique, estiment n’avoir rien à se reprocher dans cette affaire.
Un résident des TNO dont le comportement dans les premiers jours de l’état d’urgence sanitaire avait fait l’objet d’une dénonciation par administratrice en chef de la santé publique ne sera finalement pas accusé. « Je confirme que l’enquête est close. Aucune amende n’a été donnée », a indiqué un porte-parole de l’administration de la santé publique dans un courriel envoyé à L’Aquilon le 28 octobre.
Exactement sept mois plus tôt, le 28 mars 2020, soit une semaine après la mise en place de la première loi spéciale pour la lutte à la pandémie (dit « arrêté de santé publique »), l’administratrice de la santé publique avait émis une déclaration interpelant M. Harrison, un résident des TNO qui, comme bien d’autres à ce moment, tentait alors de rentrer au bercail suite à la fermeture des frontières territoriales.
Intitulée « L’administratrice en chef de la santé publique dénonce les personnes qui ignorent l’arrêté sur la restriction des déplacements », la déclaration reprochait à M. Harrison sa négligence de projeter, selon une dépêche de l’agence Northern News Services, d’effectuer sa quarantaine à sa résidence autonome en secteur isolé, plutôt que dans un centre d’isolement dans l’un des chefs-lieux régionaux comme le prévoit l’arrêté. On pouvait notamment y lire : « Lorsque Mike Harrison a choisi d’ignorer cet arrêté, il a décidé de ne pas contribuer aux efforts collectifs. Il a choisi de faire passer son confort personnel avant la sécurité de notre territoire. »
« Évidemment nous ferons enquête », terminait l’administratrice.
Si enquête il y eut, elle n’a pas abouti. Le principal intéressé affirme ne pas avoir été formellement contacté par des enquêteurs de la santé publique. Il évoque la visite d’agents de la faune et de garde-parcs, mais personne ne se présentant comme représentant de la santé publique. M. Harrison affirme en revanche avoir tenté lui-même de contacter la santé publique et d’avoir soumis un plan d’isolement « par téléphone ».
Questionnées, les autorités demeurent circonspectes. « Nous n’entrerons pas dans les détails de l’enquête, mais, en général, une enquête implique des entretiens avec des témoins, la prise de déclarations, l’examen des preuves disponibles et une évaluation de la viabilité du dossier », indique le directeur des opérations de respect et d’application des arrêtés de santé publique, Dennis Marchiori, dans une soumission écrite.
Non repentant
Dans une confession écrite détaillée qu’a présentée M. Harrison à L’Aquilon, celui-ci indique avoir bel et bien effectué son isolement obligatoire dans sa cabane dans le sud du Dehcho, aux abords de la rivière Blackstone. Il ajoute ne pas avoir de regrets.
« Je ne peux formuler de regrets quant à mes actions dans cette affaire, pas même d’avoir contacté [un média d’information], écrit-il. La publication de commentaires que je croyais privés a suscité une réaction démesurée […]. Personne ne peut regretter ses choix personnels lorsqu’il n’y a pas d’autres options pratiques hormis celles qui s’imposent. »
Celui qui a construit lui-même sa résidence se présente comme un pro de la survie en forêt, une réputation qui lui a valu quelques apparitions à la télé, plus récemment dans la série Life Below Zero Canada présentée sur la chaine Cottage TV. Quand il relate les évènements de mars, il est visiblement ému. « Depuis toutes ces années, je me suis établi sur ma terre, mon lot autonome, justement pour pouvoir faire face à un grand bouleversement, et lorsque ça c’est finalement produit, on m’a empêché de m’y réfugier. »
Surtout, il insiste pour ne pas avoir fait preuve de négligence. Il affirme s’être d’abord isolé en Colombie-Britannique où il se trouvait avant d’entreprendre, le 23 mars, un voyage express jusqu’à Fort Nelson près de la frontière avec les TNO, «en évitant les contacts et portant un masque lors d’arrêts », insiste-t-il. Or, à son arrivée le lendemain, il apprend qu’une barricade est érigée sur la route territoriale numéro 7 où se trouve sa résidence. La Liard Trail a été fermée le 24 mars. «J’étais atterré quand je me suis rendu compte que la route jusqu’à chez-moi était bloquée. »
Il passera une journée à Fort Nelson à contacter les autorités. Il nomme en vrac : son député, la GRC, divers ministères et le standard de la santé publique. N’arrivant pas à concevoir qu’on lui demande d’effectuer un détour de 1500 kilomètres à travers l’Alberta, alors qu’il se trouve à quatre heures de route de chez lui, et estimant que sa situation particulière n’a pas été justement évaluée par les autorités, il contacte finalement la rédaction de Northern News Services.
Il affirme ne pas souhaiter attirer l’attention sur lui, mais plutôt agir comme un lanceur d’alerte voulant mettre en lumière une règle, selon lui, mal élaborée. Il ajoute que les informations qu’on lui communique lorsqu’il contacte le standard de la santé publique — c’était avant la mise en place de la ligne 8-1-1 — sont contradictoires et confuses. Il déplore enfin n’avoir croisé aucune information routière sur son chemin qui aurait pu l’avertir de la fermeture de la route.
Le lendemain il entreprend le voyage vers la frontière Alberta-TNO qu’il atteindra environ 36 heures plus tard après avoir passé une nuit à Peace River, en Alberta. Comme tous les automobilistes, il est contrôlé à la frontière où on lui demande de soumettre un plan d’isolement dans les 24 heures.
Tout au long de son parcours, il indique garder le contact avec la salle de rédaction et avec le standard de la santé publique. Il affirme que, alors qu’il est en chemin vers les TNO, un standardiste lui aurait donné une « indication assez claire » qu’il pourra s’isoler dans à résidence, une information que nous n’avons pas pu vérifier.
Pour lui, en le forçant à prolonger son périple plutôt que d’autoriser son passage par la route 7, l’administration de la santé publique l’a inutilement exposé au risque de contracter le virus. Il déplore en outre que le reportage publié par Northern News Services ait versé dans le sensationnalisme en insistant sur son statut de personnalité télévisuelle et sur son intention d’enfreindre les règles. D’après lui, on lui doit des excuses.
La santé publique sans reproche
À l’administration de la santé publique on n’admet aucune faute dans cette affaire. Selon une déclaration écrite attribuée à l’administratrice en chef de la santé publique, Dre Kami Kandola, il était justifié de dénoncer le comportement de M. Harrison avant même la tenue d’une enquête parce qu’on craignait que son témoignage dans les médias n’entraine une vague de désobéissance.
« Nous n’avons pas impliqué M. Harrison ; nous avons répondu aux détails d’un reportage que M. Harrison a lui-même généré, écrit l’administratrice en chef. Dans ce cas-ci, nous estimions qu’il y avait un risque que cela incite d’autres personnes à ne pas prendre les moyens collectifs pour lutter contre la COVID-19. »
Questionné à savoir si la santé publique avait tenté de vérifier l’information publiée par Northern News Services avant d’émettre sa déclaration, on répond que les citations attribuées M. Harrison dans l’article « faisaient montre d’un irrespect pour les arrêtés de santé publique » et qu’on voulait y répondre directement « pour que le public comprenne l’importance de prendre les bonnes mesures et la possibilité de mettre les autres en danger si on ne se conformait pas ».
S’il admet que la situation évoluait rapidement dans ces premiers jours de la pandémie et que des écarts d’information étaient possibles, le directeur des opérations de respect et d’application, ajoute que « nous avons fait de notre mieux pour nous assurer que le public avait une compréhension exhaustive des mesures qui étaient mises en place ».
Commentaires haineux
Suite à la médiatisation de toute cette affaire, médiatisation amplifiée par la déclaration de l’administratrice en chef de la santé publique, une avalanche de commentaires haineux, y compris des souhaits de mort, ont été émis à l’égard de M. Harrison.
Lorsque nous nous sommes rendus à la résidence de M. Harrison en juin, il avait érigé des mannequins sur le sentier menant à sa cabane et des enseignes intimant les visiteurs de garder leurs distances. Visiblement ébranlé, il racontait craindre les représailles et ne plus vouloir se rendre dans les collectivités du Dehcho où il croyait qu’on pourrait l’attaquer. Dans une communication récente, il raconte qu’on a craché à la fenêtre de sa voiture alors qu’il faisait le plein d’essence à Fort Liard.
« Ma stigmatisation est durable et continue », dit-il.
À ce chapitre-là aussi, l’administratrice en chef de la santé publique rejette le blâme considérant plutôt que M. Harrison a été l’artisan de son propre malheur. « Toute forme de vigilantisme est inappropriée et notre gouvernement le rejette. […] nous avons répondu aux détails d’un reportage que M. Harrison a lui-même engendré. »
Aux dernières nouvelles, M. Harrison avait quitté les TNO, notamment parce que son emploi dans le secteur touristique a été suspendu, mais surtout parce qu’il ne s’y sent plus le bienvenu.
Aux fins de ce reportage, nous nous sommes entretenus avec M. Harrison de façon régulière au cours des sept derniers mois. Une version étoffée sera publiée sur le site de Radio Taïga.