Caroline Wawzonek présente un second budget équilibré, mais envisage aussi un avenir plus austère.
Batiste Foisy et Thomas Ethier
Pas de déficit, pas de coupes budgétaires et pas de hausses de taxes cette année. C’est la promesse de la ministre des Finances des Territoires du Nord-Ouest, Caroline Wawzonek, qui a prononcé le discours du budget le 4 février. Or, derrière cette apparence de stabilité, la ministre ne s’en cache pas, dans le contexte d’une économie territoriale chancelante et d’une baisse des revenus de l’État, cette approche budgétaire «n’est pas durable».
«La croissance sera ralentie par des obstacles à long terme comme la maturité prochaine des mines de diamants, le vieillissement de la population et le manque de diversification économique et d’activités dans le secteur privé, sauf si nous apportons des changements structurels majeurs», a mis en garde la ministre des Finances.
Les revenus autonomes de l’État accusent une baisse significative. On anticipe qu’ils s’élèveront à peine à 322 millions $ en 2021. Pour pouvoir financer ses dépenses de 2,1 milliards $ tout en dégageant un surplus de 69 millions $, le gouvernement territorial est contraint d’emprunter. On envisage que la dette territoriale augmente de 1,33 milliard $ au 31 mars 2021.
L’excédent budgétaire, note la ministre, «ne suffira pas à couvrir les 441 millions de dollars du plan d’immobilisation approuvé en octobre dernier, ni a entamer la dette déjà accumulée».
Au final, c’est le gouvernement fédéral qui sauve encore une fois la mise. Les revenus de transfert fédéraux (1,9 milliard $) comptent maintenant pour 85 % des recettes du territoire, dont plus de 120 millions $ en transferts spéciaux octroyés pour éponger les dépenses liées à la pandémie.
Alors que les données brossent plutôt le portrait d’un gouvernement vivant au-dessus de ses moyens dans un contexte de ralentissement économique soutenu, Caroline Wawzonek a défendu un «optimisme prudent» face à la conjoncture actuelle. «Bien que plusieurs, dont moi-même, aient par le passé déploré le peu de diversité de notre économie, la forte présence du secteur public nous a aidés à conserver un taux d’emploi et un revenu disponible stable», note-t-elle.
La ministre estime en outre que la résilience et l’ingéniosité des Ténois permettront de renverser la tendance actuelle en préconisant, notamment, les investissements en éducation et dans les «technologies vertes».
Relance économique
Alors que la communauté d’affaires des TNO réclame à cor et à cri des engagements du gouvernement pour venir en aide aux secteurs les plus affectés par les mesures de santé publique, Caroline Wawzonek n’avait pas trop le choix d’aborder le thème de la relance économique.
«Les mesures de confinement partout dans le monde, signale-t-elle, les fermetures de frontières, la réticence à prendre l’avion ou l’impossibilité de le faire, ainsi que la baisse de la demande mondiale en matière de diamants, de fourrures et d’observation des aurores boréales signifient que nos secteurs les plus sévèrement atteints prendront plus de temps à se remettre sur pied.»
Or, si la ministre affirme vouloir «mettre en branle rapidement une relance flexible et adaptée», elle indique aussi que l’incertitude de la pandémie rend cette planification hasardeuse et qu’il serait risqué «d’investir trop tôt». Elle salue, au passage, «la patience du milieu des affaires».
Au final, on retrouve assez peu d’éléments dans ce budget qui s’apparentent à un plan de relance économique : 936 000 $ pour la stratégie touristique Tourisme 2025 et 400 000 $ de plus pour le Programme d’encouragement aux activités minières.
Le budget prévoit aussi une baisse significative de l’impôt sur les sociétés qui passe d’un taux de 4 % à 2 %.
Croissance de la fonction publique
On note que la taille de la fonction publique continue à augmenter. Près de 300 nouveaux postes sont créés au sein du gouvernement et de ses agences.
Une bonne part de ces postes se retrouvent au ministère de la Santé et des Services sociaux dont les effectifs doublent presque, passant de 182 à 341. Signalons que ce décompte est simplement pour le ministère. L’administration de la santé et des services sociaux, qui couvre la majorité du personnel soignant des TNO, gagne 110 postes. L’ASTNO compte maintenant 1755 postes..
Réactions mitigées
« Je suis heureux qu’il n’y ait pas de coupes budgétaires majeures dans les programmes et services, souligne d’entrée de jeu le député de Frame Lake, Kevin O’Reilly. Je crois qu’il y a quatre ans, avec le précédent conseil des ministres, ça aurait été le cas. »
Le ton change quand vient le temps de parler des finances du territoire et de la relance économique. « Un enjeu est passé sous silence : la décroissance des revenus autonomes, souligne-t-il en pointant les faibles revenus du territoire et sa dépendance croissante des transferts fédéraux. Les revenus prévus des secteurs minier et gazier cette année sont de zéro dollar, et, pour l’année suivante, seulement 1,5 million $. »
« Nous sommes en très, très grande difficulté », poursuit M. O’Reilly pour décrire la situation financière déjà précaire du territoire avant la pandémie. « Je ne perçois aucune solution de la part de la ministre, autre que d’indiquer que chaque ministère sera évalué pour voir à les rendre plus efficaces. Ça ne va pas régler le problème. Des décisions difficiles devront être prises en matière de dépenses. Selon moi, les gens prévalent sur les grandes infrastructures. »
Le député de Yellowknife Nord, Rylund Johnson, abonde dans le même sens. « Nous prévoyons atteindre notre plafond d’emprunt, mais ajoutons tout de même 350 postes au gouvernement territorial, déplore-t-il. Il y a une sorte de rupture avec la réalité. Et il semble que la ministre des Finances ne le reconnait même pas. »
« On nous a présenté un budget qui ne nous indique pas comment nous allons gérer nos dépenses, ou comment nous allons nous remettre de la COVID-19. », ajoute-t-il. M. Johnson presse aussi le GTNO de déposer son plan de relance économique « Une reprise avisée », soulignant l’impatience grandissante de la communauté d’affaires du territoire.
Pour sa part, le député de Tu Nedhé-Wiilideh, Steve Norn, estime qu’on a accordé une certaine attention aux besoins des petites collectivités. « C’est mon [deuxième] budget, souligne-t-il. Le [précédent] était très décevant à mes yeux. Cette fois, ce budget semble mieux répondre aux besoins des petites collectivités. »
« Il y a encore beaucoup de travail à faire, mais on sent une certaine tendance en faveur des petites collectivités, ce qui est encourageant », ajoute-t-il.
Faits saillants
Parmi les nouvelles dépenses annoncées dans ce budget, notons :
– 30 millions $ d’augmentation du budget de la Santé
– 25 millions $ pour les 22 priorités de l’Assemblée législative
– 7 millions $ supplémentaires pour les Services à l’enfance et à la famille
– 4 millions $ de plus pour le programme d’aide au revenu
– 1,8 million $ pour l’entretien de la route des Tlicho qui sera inaugurée cette année
– 2,6 millions $ pour la mise en œuvre du plan d’action sur les changements climatiques
– 600 000 $ pour la création d’un programme d’éducation menant à l’obtention d’un diplôme en langues autochtones
– une augmentation de 700 000 $ de l’entente Canada-TNO pour le financement de l’éducation en français.
– 309 000 $ pour le programme d’éviction des campements non autorisés sur les terres publiques