Le 18 mars, nous avons célébré une année sous «état d’urgence sanitaire». Cette mesure d’exception, pensée par nos législateurs comme forcément temporaire, a été reconduite toutes les deux semaines depuis un an, afin d’octroyer à l’administration de la santé publique des pouvoirs spéciaux qui, à certains égards, sont plus étendus que ceux de la première ministre et de la procureure générale combinés. Dans l’arsenal des dispositifs d’urgence de l’État, ceux qui permettent à de hauts fonctionnaires d’adopter par décret des lois spéciales limitant l’exercice de nos libertés fondamentales sont certainement ceux que l’on devrait employer avec le plus de parcimonie, de méfiance et d’encadrement.
Après un an, le concept d’« urgence » commence à être un peu étiré. On comprend que la pandémie est une situation hors du commun et que l’invocation des mesures d’urgence a permis de contenir la transmission du virus dans nos collectivités vulnérables. Néanmoins, après l’avoir reconduite 26 fois, nous devrions maintenant être en mesure de prendre un peu de recul et de réfléchir à la nécessité de cette disposition.
Le journaliste John Last de la CBC publiait récemment des informations obtenues en vertu des lois sur l’accès à l’information. Il s’agissait du registre des appels logés à la ligne de dénonciation mise en dans les premiers jours de la pandémie. Rappelez-vous, le gouvernement territorial, en invoquant le devoir civique, vous invitait à dénoncer vos voisins qui ne pratiquaient avec peut-être pas assez de zèle la chorégraphie de l’éloignement physique. Sans surprise, les documents obtenus par la CBC mettent à jour des centaines de situations où des citoyens enhardis s’accusent mutuellement pour des comportements qui, bien souvent, ne constituent pas du tout des infractions aux règles. On pense aux Socières de Salem.
Et que dire de l’affaire Pike Mike ? Ce résident qui, alors que les règles étaient largement méconnues, a fait l’objet d’une dénonciation publique de la part de l’administratrice en chef de la santé publique, avant même la tenue d’une enquête, et contre qui, au final, on n’a retenu aucun chef d’accusation. À ce jour, la Dre Kandola ne s’est pas excusée et n’a même pas publié une mise à jour pour indiquer que l’enquête était close. Comme journalistes, si nous publions des dénonciations et que celles-ci s’avèrent infondées, nous avons un devoir moral de nous rétracter. En fait, si nous ne le faisions pas, cela pourrait être considéré comme de la diffamation. Est-ce que cette éthique de base ne s’applique pas à la santé publique ?
Les pouvoirs spéciaux ont leur part d’ombre. Il y a une raison pour laquelle il faut les reconduire toutes les deux semaines. Après un an, le gouvernement doit rendre des comptes et expliquer ses agissements.