Face à une récente vague de témoignages sur Facebook, décrivant plusieurs incidents vécus par des femmes dans les taxis de Yellowknife, le Conseil du statut de la femme des TNO s’est donné la mission de changer les choses.
Thomas Ethier
IJL —Réseau.Presse — L’Aquilon
Plus de 500 incidents impliquant des chauffeurs de taxi du territoire ont été rapportés dans le cadre d’un sondage lancé en février par le Conseil du statut de la femme des TNO. Face aux résultats qu’il juge choquants, l’organisme plaide aujourd’hui pour l’implantation d’une série de mesures visant à assurer la sécurité de la clientèle, spécialement des femmes, qui représentent 90 % des 168 répondants à l’étude.
De tous les incidents rapportés de façon anonyme, 80 % sont de nature sexuelle. Près de 10 % des répondants indiquent avoir été victimes d’attouchements de la part d’un chauffeur. « Ces statistiques choquantes prouvent qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire avant que toutes les femmes sentent qu’elles peuvent entrer dans un taxi en toute sécurité, sans craindre d’être victimes de harcèlement ou d’une agression », a déclaré l’organisme dans un communiqué de presse.
Des avances inquiétantes
Au Yukon, des caméras sont maintenant obligatoires dans tous les taxis du territoire. Une mesure que le Conseil du statut de la femme souhaite voir adopter aux TNO. L’organisme suggère également l’installation de séparateurs, comme des plexiglas, entre les chauffeurs et leurs clients. Des mesures qui, l’espère-t-on, pourront être mises en place pour assurer la sécurité des passagers.
« C’est dommage, parce que la plupart des chauffeurs sont amicaux, serviables et professionnels. Une minorité de chauffeurs abusifs les font tous passer pour des imbéciles », insiste Audrey (nom fictif), une cliente régulière des taxis de Yellowknife, qui a préféré garder l’anonymat. La résidente, qui habite la capitale depuis trois ans, affirme utiliser fréquemment les taxis de la ville en pleine nuit, à la sortie des bars, sous l’influence de l’alcool.
« Certains voient bien que j’ai bu et tentent clairement d’en profiter », avance-t-elle. Bien qu’elle assure ne ressentir aucune crainte en entrant dans un taxi, Audrey prend aujourd’hui ses précautions. « Avant, je m’assoyais à l’avant pour discuter avec le chauffeur. Certains d’entre eux m’ont fait des avances qui m’ont rendue très mal à l’aise. L’un d’eux m’a même déjà touché la cuisse. Maintenant, je m’assois toujours à l’arrière », explique-t-elle.
Accès aux informations personnelles
Le témoignage d’Audrey s’apparente aux quelques exemples dévoilés par le Conseil du statut de la femme. Une répondante citée affirme s’être enfuie en courant après que le chauffeur lui ait agrippé la cuisse et indiqué qu’il habitait près de chez elle. Une autre déplore des commentaires de nature sexuelle tout le long du trajet, tandis qu’une cliente se serait fait offrir de l’argent par un chauffeur pour « passer du temps avec lui ».
Le plus préoccupant, aux yeux d’Audrey, c’est que les chauffeurs ont accès à son numéro de téléphone. Trois d’entre eux ont utilisé cette information, fournie automatiquement par la compagnie de taxi, pour la contacter au lendemain de sa course. « Je n’ai jamais consenti à ce qu’ils utilisent mon numéro ni même manifesté quelque intérêt que ce soit pour eux, souligne-t-elle. Il est étrange que mon numéro soit divulgué. »
Assurer une meilleure confidentialité des informations personnelles des clients fait partie des recommandations du Conseil du statut de la femme. Dans le sondage, 27 % des répondants indiquent qu’ils ne se sont pas sentis à l’aise de rapporter l’incident dont ils ont été victimes, puisque les chauffeurs ont accès à certaines informations personnelles.
Par ailleurs, 40 % ont indiqué ne pas savoir qu’ils avaient la possibilité de rapporter l’incident vécu. Le conseil recommande aussi de faciliter le dépôt des plaintes, par la création d’une application mobile, par exemple, et exige que la fiche du chauffeur, ainsi que le numéro de téléphone à composer pour déposer une plainte, soit bien visible dans le véhicule.
À Yellowknife, l’industrie du taxi est régie par le Règlement sur les licences de livraisons de la municipalité, qui exige notamment de documenter les quarts de travail des chauffeurs. Une révision du règlement — la première depuis 2009 — est prévue à l’automne 2021. Le Conseil du statut de la femme compte présenter ses recommandations au conseil municipal dans le cadre de cette révision.
La parole aux chauffeurs
Au-delà d’un resserrement des restrictions, le conseil souhaite également travailler avec les compagnies de taxi, et leur offrir des formations sur les sensibilités culturelles et de genre, sur le respect des limites personnelles et sur la communication avec la clientèle. « C’était l’une des recommandations les plus fréquentes de la part des répondants au sondage, indique Louise Elder, directrice générale du Conseil. Nos homologues du Yukon ont créé cette formation, et nous souhaitons en faire profiter les chauffeurs d’ici. »
La compagnie Yellowknife Cabs, qui déploie une trentaine de véhicules dans la capitale, aurait déjà manifesté son intérêt à offrir cette formation à ses chauffeurs, selon la directrice générale, Debra Davis. « Les cinq membres de notre conseil de direction prennent cette situation très au sérieux, affirme-t-elle. Ils comptent rencontrer les chauffeurs, et m’ont demandé d’en discuter avec le Conseil du statut de la femme. »
La compagnie serait également favorable à l’installation de caméras de surveillance dans ses véhicules. Selon Mme Davis, en plus de protéger les clients, cet outil serait hautement bénéfique aux chauffeurs eux-mêmes. « Je suis persuadée que nous avons besoin de caméras, dit-elle. Certains de nos chauffeurs ont eux-mêmes répondu au sondage. Ils vivent plusieurs enjeux et passent aussi, parfois, de très mauvais moments. Ils vivent beaucoup de harcèlement, sont victimes de racisme et reçoivent des menaces. Vraiment, tout le monde bénéficierait de ces caméras. »
Pour avoir été elle-même répartitrice pendant environ 12 ans, Mme Davis témoigne aujourd’hui d’une ambiance de travail parfois très difficile. « On se fait énormément crier dessus, dit-elle. Plusieurs clients appellent pour se plaindre, mais se contentent de crier après la répartitrice, et refusent de noter notre adresse courriel pour nous envoyer les détails de l’incident. Un client a déjà exigé qu’on ne lui envoie pas de chauffeur noir ! », rapporte-t-elle.
Invités à se prononcer, les chauffeurs de taxi représentent environ 10 pour cent des répondants au sondage. Louise Elder dit espérer que leurs points de vue auront leur place dans les médias. « Nous ne voulons pas mettre tous les chauffeurs dans le même panier, assure-t-elle. Les données portent à croire qu’il n’y a que quelques pommes pourries, mais ces quelques cas suffisent à générer un sentiment d’insécurité parmi les clientes. Nous souhaitons que les compagnies le reconnaissent et posent des actions pour y remédier. »