Il ne faut pas juste un appareil photo et des connaissances techniques pour photographier des aurores boréales. Il faut aussi de la patience.
« Enfin ! » Quand les aurores se sont mises à danser samedi dernier, c’est le premier mot qui m’est venu en tête.
« Wow ! » a évidemment suivi. À cause des nuages, ça faisait trois semaines que le volet pratique du cours de photographie d’aurores auquel j’étais inscrite était remis.
Le cours était offert dans le cadre du festival Naka, le 26 mars dernier. Ce soir-là, nous étions une quinzaine à écouter le photographe local Martin Male dans un gymnase de l’aréna multiplex. Originaire d’Edmonton, il a vécu 16 ans à Inuvik et vit à Yellowknife depuis les 15 dernières années. Les aurores boréales le passionnent et n’ont plus de secrets pour lui. Elles comptent pour les deux tiers de ses 300 000 photos !
« Il y a des possibilités d’aurores tout le temps, mentionne d’abord le photographe. On ne les voit simplement pas lorsqu’il fait clair. »
Le président de la branche de Yellowknife de l’Association Aurora, qui regroupe des gens des quatre coins de l’Arctique et d’ailleurs, commence par un peu de théorie. Les aurores résultent de collisions entre les particules chargées venues du Soleil et des gaz dans la haute atmosphère. Le champ magnétique de la Terre dévie les particules, mais en capture certaines qui se dirigent alors vers les pôles, qui agissent comme des aimants. Elles se retrouvent dans une zone qui forme un anneau, dit ovale auroral. « Yellowknife est situé sous l’ovale, c’est pour ça qu’on voit autant d’aurores », dit-il. C’est là que se produisent les collisions avec, notamment, des atomes d’oxygène, d’azote ou d’hydrogène. L’énergie libérée crée de la lumière verte, rose, rouge, jaune, blanche, bleue ou pourpre, selon la nature des atomes et l’altitude de la collision.
« La couleur verte est la plus commune », continue le professeur. Il espère toujours voir des aurores majoritairement rouges, très rares, qui requièrent une « tempête solaire super dense », dit-il en montrant une image de 1998, croquée par un ami. La photographie permet d’ailleurs de révéler certaines couleurs qu’on ne perçoit pas à l’œil nu.
Les aurores peuvent n’être qu’une lueur à l’horizon, prendre l’apparence d’un nuage, de bandes ou d’arcs. Lors d’activité solaire intense, on peut aussi voir, au zénith, une couronne de faisceaux qui divergent. « N’oubliez pas de regarder au-dessus de vous ! », dit le professeur, ajoutant que c’est souvent sa femme qui lui pointe la couronne, alors qu’il a les yeux rivés sur une autre partie du ballet luminescent.
« N’importe quel appareil photo, incluant les téléphones intelligents récents, peut saisir des aurores », poursuit-il. Évidemment, certains appareils sont meilleurs — son équipement vaut quelque 6000 $. Il conseille un objectif à grand-angle (moins de 28 mm), pour capter une scène plus large, et à grande ouverture, pour qu’un maximum de lumière pénètre (valeur de f/1 sur les meilleurs, généralement entre 2,8 et 5,6). Il recommande un bon trépied et des batteries de rechange, vite vidées par grand froid. Enfin, vaut mieux enfermer son appareil photo dans un sac Ziploc après une séance glaciale avant de rentrer à l’intérieur : la condensation se formera ainsi sur le sac et épargnera l’appareil.
Quant à la configuration de l’appareil, il faut tout mettre en manuel, dit-il. Il conseille de fixer la sensibilité ISO à 1600 et de choisir la plus grande ouverture. « Ainsi, le seul paramètre qu’on aura à ajuster ce soir est la vitesse », dit-il. On fera aussi la mise au point manuellement. « Si vous la faites sur une étoile, qui doit ressembler à une tête d’épingle, tout sera au foyer de 4,5 mètres à l’infini, dit-il. C’est la chose la plus dure à faire lorsqu’il fait nuit et froid. »
Après avoir parlé de compositions — soit d’inclure des arbres et des nuages, des habitations ou des gens ou le reflet des aurores dans de l’eau —, il mentionne des logiciels pour traiter ses photos et des sites internet ou des applications qui offrent des prédictions d’aurores polaires, dont spaceweatherlive.com ou astronomynorth.com.
Dehors tout le monde !
Voilà le moment que tous attendaient : sortir prendre des photos. Nous nous retrouvons, emmitouflés, au lac Prosperous. Chacun installe son trépied et son appareil. Martin Male circule, répond aux questions et aide à la configuration, au besoin. La lune brille. La neige scintille. Nous attendons que le spectacle commence en retenant notre souffle : il y a beaucoup de nuages à l’horizon. Le vent, lui, ne se retient pas et les pousse dans notre direction. Ils s’accumulent et couvrent le ciel. Zut !
Le lendemain, nous nous rejoignons devant le château de neige, malgré la prédominance des nuages. Les participants, moins nombreux que la veille, prennent des photos du château. Les nuages s’épaississent. Re-zut !
Partie remise au weekend de Pâques. Martin Male suggère trois soirées, que viennent gâcher les nuages. Évidemment, il veut nous rassembler lors de conditions optimales.
« C’est l’une de mes années les plus nuageuses », note le photographe.
La sortie est reportée au weekend suivant. Le vendredi tombe à l’eau à cause des… vous avez deviné. Arrive le samedi 10 avril. « On dirait que ce sera une bonne soirée cette nuit, au moins jusqu’à 2 h, écrit-il au groupe d’étudiants par courriel. Je serai au château de neige vers 22 h 30. »
Cette fois, pas de (fichus) nuages. Et les aurores sont au rendez-vous. Le spectacle débute par quelques lueurs peu avant 23 h. Tranquillement, des volutes vertes commencent à danser, comme des rideaux dans une brise. Elles brillent de plus en plus, se multiplient et finissent par embraser le ciel, montrant du rose ici, du pourpre là.
Ce n’est plus une brise qui fait bouger les rideaux, mais un grand vent ! Les vagues de lumière roulent dans le ciel, devenu irréel. Elles arrivent de partout : nord, est, sud, ouest. Certaines tourbillonnent sur elles-mêmes. Et ce souvenir du cours : regardez au-dessus de soi. Eh oui, une couronne au zénith qui lance ses faisceaux vers nous !
« C’est mon meilleur show depuis le 29 septembre », se réjouit le professeur. Seulement trois étudiants se sont déplacés pour cette séance. Qu’importe, ceux qui y sont ont tous les yeux rivés sur le ciel et sur leur appareil photo, essayant d’immortaliser au mieux le spectacle grâce aux conseils du photographe.
Passé minuit et demi, le ciel se calme devant nos yeux émerveillés. Une douce brise remue les rideaux verts.
Enfin.