Dans le Nord-du-Québec, un projet d’éoliennes par et pour les Autochtones promet de réduire les gaz à effet de serre tout en faisant collaborer deux communautés parfois distantes.
Dans la partie québécoise de la baie d’Hudson, où commence le territoire des Inuits et finit celui des Cris, les deux peuples participent à un projet d’éoliennes qui leur permettrait de diminuer de près de moitié l’utilisation du diésel pour la production d’électricité.
« C’est l’équivalent de 4000 automobiles de moins », de dire Jean Schiettekatte, vice-président à l’énergie renouvelable de Yab Management, la firme gestionnaire du projet, impliquée dans de nombreuses constructions au Nunavut, dont celle de l’hôpital d’Iqaluit.
La centrale au diésel d’Hydro-Québec alimente en électricité deux collectivités imbriquées, mais ayant des administrations distinctes : Whapmagoostui, du côté des Cris, et Kuujjuarapik, chez les Inuits.
Ensemble, elles ont formé la Société d’énergie renouvelable Kuujjuarapik-Whapmagoostui, qui veut vendre l’électricité produite par les deux éoliennes de 1,5 mégawatt à Hydro-Québec. L’acceptation de cette dernière est conditionnelle à l’approbation de l’étude d’impact environnemental par le Comité d’évaluation de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois.
« C’est la première étude environnementale jamais faite par les Cris et les Inuits, assure M. Schiettekatte, et le premier projet éolien québécois 100 % autochtone. Ils ont aussi organisé toutes les consultations publiques. Ils s’approprient l’expertise et le processus. C’est une innovation, nous espérons que ça va continuer comme ça. »
La Société a déposé son étude le 31 mars dernier.
« Nous espérons avoir l’autorisation en juin », commente M. Schiettekatte, lui-même un ancien employé d’Hydro-Québec.
Des retombées de 24 M$
Le vice-président assure que les 45 millions $ nécessaires à la construction des éoliennes sont sécurisés et il anticipe des retombées de 24 millions $ pour la communauté, au cours des 25 prochaines années.
Les travaux doivent commencer en 2022 et les éoliennes doivent être assemblées et entrer en fonction en 2024. Un système de batterie permettra de stocker l’énergie pour la distribuer dans les heures de consommation de pointe.
Une dizaine d’Inuits et de Cris doivent recevoir en 2022 une formation au centre de recherche appliquée en énergies renouvelables de NERGICA, dans l’est du Québec. Trois personnes seront choisies parmi eux pour continuer leur formation à la mine Raglan, au Nunavik, puis sur le chantier des éoliennes.
Trois emplois à temps plein seront créés, en plus de postes d’aides-opérateurs.
Selon M. Schiettekatte, il faudra débourser plus de 300 000 $ pour former les opérateurs. « Mais nous voulons que ce soit des personnes du Nord », précise-t-il.
À l’écart des migrations aviaires
Les consultations publiques se sont déroulées de janvier à mars 2021, avec des assemblées spécifiques pour les Inuits et pour les Cris, mais aussi pour les femmes, les trappeurs et les gens d’affaires.
Suite aux commentaires recueillis, les entrepreneurs du projet ont décidé de ne pas construire une troisième éolienne, dont l’emplacement se serait retrouvé sur un territoire de trappe.
Les deux éoliennes seront situées en territoire cri, à l’est des collectivités et au nord de la Grande Rivière de la Baleine. Le site est réputé être à l’écart des migrations d’oiseaux.
Sur Facebook, 99 % des quelque 300 commentaires des Inuits et des Cris étaient favorables aux éoliennes, assure le vice-président de Yab Management.
Une collaboration sans précédent
Le projet d’éolienne a été amorcé il y a déjà 20 ans par la Première Nation de Whapmagoostui. « Ça a été un chemin de croix, concède Jean Schiettekatte. Il y avait beaucoup de réticences à abandonner le diésel chez Hydro-Québec. Mais en 2017, une décision de la Régie de l’Énergie l’a obligée à aller vers les énergies renouvelables. Depuis 2018, la collaboration est fantastique. »
En 2017 également, la Régie de l’énergie du Québec recommandait aux deux collectivités de collaborer. La Société d’énergie renouvelable Kuujjuarapik-Whapmagoostui a été incorporée en 2020. Elle est la propriété en parts égales des Inuits et des Cris.
« C’est peut-être le premier projet majeur qu’on fait ensemble », pense Benjamin Masty, un Cri qui a coordonné les consultations et a présenté le projet aux trappeurs.
« C’est le premier gros projet où ils travaillent ensemble, approuve Jean Schiettekatte. Ça n’a pas été facile les premières années. Nous rencontrions les Cris et les Inuits séparément. Il y avait de la méfiance. C’est pour ça que je trouve ça beau maintenant. »