Située à environ 125 km du cercle polaire arctique, Old Crow est la communauté la plus au nord du Yukon. En juillet prochain, 100 % des besoins énergétiques des quelque 250 personnes qui y vivent seront comblés par 750 panneaux solaires installés en bordure de la piste d’atterrissage de l’aéroport du village.
Roselyne Gagné-Turcotte
Le contexte géographique éloigné et le manque d’accessibilité de la communauté, qui n’est desservie par aucun réseau routier, ont accru la dépendance d’Old Crow aux énergies fossiles durant les dernières décennies. L’aboutissement d’un ambitieux projet de ferme solaire permet maintenant à la communauté de générer sa propre énergie verte et même bientôt, dès juillet 2021, de stocker celle-ci dans un système de batteries décentralisé. « Lorsque la seconde phase du projet sera complétée, ce sera la première fois depuis les années 1970 que nous serons en mesure de fermer complètement les générateurs au diésel.
Les journées ensoleillées d’été nous permettront de retourner à ce merveilleux silence de la terre qu’appréciaient nos ancêtres, entre la rivière Porcupine et la montagne Crow », indique Dana Tizya-Tramm, chef de la Première Nation des Vuntut Gwitchin. En effet, la production d’électricité au diésel ne sera plus nécessaire en été, ce qui permettra à la communauté de réduire sa consommation de près de 190 000 litres annuellement.
En hiver, les modélisations laissent présupposer, car pas encore observées, qu’environ 24 % des besoins énergétiques de la population seront comblés. Le projet, finaliste pour le Prix Inspiration Arctique en 2014 et en 2016, est le fruit d’un partenariat entre la Première Nation Vuntut Gwitchin et plusieurs autres instances gouvernementales et privées, telles que ATCO Yukon, l’Agence canadienne du développement économique du Nord, Ressources naturelles Canada et la Société de développement du Yukon.
D’importants délais causés par la pandémie de la COVID-19 ont toutefois retardé de plus d’un an l’échéancier initial du projet, en chantier depuis bientôt neuf ans, principalement en raison de la limitation des déplacements des entrepreneur.e.s et expert.e.s chargé.e.s de l’installation. « Nous avions aussi planifié une grande célébration, durant laquelle le Chef national de l’Assemblée des Premières Nations Perry Bellegarde et le premier ministre Justin Trudeau devaient se joindre à nous », se désole Dana Tizya-Tramm.
La souveraineté énergétique en réponse à l’état d’urgence climatique
Les citoyens de la Première Nation des Vuntut Gwitchin considèrent le concept de souveraineté énergétique non seulement comme la clé d’un avenir résilient, mais aussi comme une priorité pour surmonter les difficultés relevées par l’état d’urgence climatique, a déclaré M. Tizya-Tramm en mai 2019. « Le cadre règlementaire dans lequel notre communauté produira et vendra l’électricité générée par les panneaux solaires à ATCO Yukon nous permettra de débloquer plus de 250 000 $ annuellement, pour notre petit village de 250 habitants. Cet argent sera réinvesti et redistribué stratégiquement dans d’autres initiatives vertes, afin de générer encore plus de changements pour nos générations futures », indique le chef de la Première Nation. Ces projets incluent entre autres des solutions pour la production d’énergie durant les mois d’hiver. Un imposant projet de ferme éolienne est notamment envisagé par les Vuntut Gwitchin.
Une étude de faisabilité récemment complétée à Old Crow montre aussi que l’énergie produite à partir de biomasse issue des saules pourrait répondre de façon durable et complémentaire aux besoins énergétiques saisonniers de la communauté. « J’ai bon espoir que, très bientôt, nous ne serons plus dépendants des génératrices au diésel », pense le chef Tizya-Tramm.
Carboneutre d’ici 2030
Les nombreux projets à vocation énergétique qu’envisage la communauté d’Old Crow trouvent leur fondement dans une résolution adoptée par l’assemblée générale de la Première Nation des Vuntut Gwitchin, visant à atteindre la carboneutralité d’ici 2030. Cet objectif surpasse grandement les objectifs du plan stratégique « Notre avenir propre », qu’avait émis le gouvernement du Yukon en 2020 (qui visait une réduction de 30 % des émissions de gaz à effet de serre provenant de la génération de l’électricité, du chauffage, du secteur des transports et de plusieurs activités commerciales et industrielles d’ici 2030).
Selon M. Tyzia-Tramm, le plan constitue « un bon effort » de la part du gouvernement du Yukon pour entamer une réduction de l’impact des changements climatiques sur le Nord. Cependant, le chef de la Première Nation met en garde les communautés autochtones de leur sous-représentation lorsqu’il est question d’imposer des plans stratégiques à l’échelle nationale ou internationale.
« Durant l’accord de Paris, par exemple, les États ont pris en charge la question des changements climatiques. Les peuples autochtones se sont fait écarter de la table des négociations, et leurs valeurs et besoins particuliers n’ont pas été représentés de façon adéquate. J’ai décidé de ne pas donner mon approbation aux négociateurs [en charge de représenter le Canada durant la négociation de l’accord de Paris], car je considère que nos communautés doivent avoir leurs propres discussions. En regardant la stratégie “Notre avenir propre”, nous devrions tous assumer notre responsabilité face à la menace des changements climatiques ; nous ne pouvons pas laisser cette lutte aux négociateurs, politiciens ou aux leadeurs des grandes industries », ajoute M. Tizya-Tramm.
Les Territoires du Nord-Ouest aussi alimentés par l’énergie solaire
Aux Territoires du Nord-Ouest, l’énergie solaire ne répond actuellement qu’à un peu moins de 1 % des besoins énergétiques du territoire, une valeur toutefois supérieure à celle du Yukon et du Nunavut. Plusieurs projets solaires y sont déjà en exploitation, incluant dans la communauté de Colville Lake qui compte environ 160 habitants, et qui possède une capacité de 136,5 kW. Jusqu’alors, il s’agissait de la plus grande installation solaire du Nord canadien. À titre comparatif, le projet d’Old Crow généra une capacité environ trois fois plus grande, soit 330 kW. Tout comme Old Crow, la communauté de Colville Lake est aussi alimentée par un système hybride combinant l’énergie solaire avec batteries et du diésel, et ce, depuis 2016.
Questionné quant au futur de la résilience énergétique des communautés du nord du Canada, le chef Tizya-Tramm est confiant : « Nous [les peuples autochtones] contemplons chaque jour la relation qui existe entre le monde moderne et nos valeurs traditionnelles. Une fois que nous aurons acquis les outils modernes de notre économie et de nos industries, et que leur utilisation sera guidée par nos principes ancestraux, nous montrerons au reste du monde comment créer un équilibre avec notre environnement. Ce sont les communautés autochtones de l’Amérique du Nord de notre modernité qui montreront le futur au reste du monde. »