La Commission à la délimitation des circonscriptions a rendu son rapport provisoire à la fin de l’année 2021. Pour communiquer autour de ce travail et recueillir les avis des habitants et habitantes des TNO, la commission a tenu trois audiences publiques. Le rapport propose deux options majeures pour les prochaines élections, et quelques ajustements mineurs. Ces potentiels changements seront proposés et votés à l’Assemblée législative au début de l’été.
Lambert Baraut-Guinet
IJL – Réseau.presse – L’Aquilon
Du mardi 15 au jeudi 17 février 2022 se sont tenues les trois audiences publiques de la commission responsable de la délimitation des circonscriptions électorales des Territoires du Nord-Ouest. Cette commission, mise en place tous les huit ans par l’Assemblée législative, est chargée d’examiner, de qualifier et de faire des recommandations quant aux limites et au nombre de comtés en vue des prochaines élections. La commission réévalue dans son rapport la répartition de la population dans les 19 districts actuels des TNO, et formule des recommandations quant aux changements à apporter pour le scrutin de 2023.
La commission a été dirigée cette dernière année par Ted Richard, ancien juge de la Cour suprême des TNO et ancien membre des Assemblées législatives des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut.
M. Richard, épaulé de MM. Abernethy et Rowe, respectivement ancien député des TNO et ancien maire de Hay River, a retracé le raisonnement proposé par le rapport provisoire : « Il n’y a que trois manières dans lesquelles l’Assemblée législative peut avancer. Nous pouvons rester au statuquo de 19 sièges ; réduire, à 16 comme nous le proposons ; ou augmenter le nombre de sièges. »
« Dans notre rapport, nous écartons la possibilité d’augmenter le nombre de députés, précise-t-il. Ce n’est pas le moment d’augmenter le nombre de sièges. La population des Territoires du Nord-Ouest est stable depuis plusieurs décennies, et il y a un cout important à l’ajout de chaque siège potentiel. »
Carte des 19 circonscriptions territoriales des Territoires du Nord-Ouest. (Crédit photo : Élections TNO)
Une mesure de la représentativité pas si simple que ça
Tel qu’il est décrit dans le rapport, la garantie démocratique ne peut être maintenue que lorsque chaque citoyen.ne se sent représenté.e de manière équitable. Pour mesurer cette représentativité, dans un territoire aussi vaste et à la population aussi dispersée que les TNO, de rapides calculs s’imposent. La population globale des Territoires, divisée par le nombre de sièges à l’Assemblée législative, nous donne le nombre d’habitantes et d’habitants représentés par siège. À l’heure actuelle, un membre de l’Assemblée représente en moyenne 2400 habitants.
Une circonscription dont le nombre de résidents est très supérieur à 2400 est sous représentée : il y a plus d’habitants pour un.e seul.e député.e. À l’inverse, une circonscription avec beaucoup moins d’habitants serait surreprésentée.
Un trop grand nombre de circonscriptions trop grandes ou trop petites pourrait mettre en cause la légitimité des certains élus, voire de l’Assemblée. Pour limiter ce nombre, des territoires et des provinces comme le Yukon, le Nunavut, l’Île-du-Prince-Édouard ou la Saskatchewan, demandent à ce que les circonscriptions qui dépassent d’un écart supérieur à 25 % la moyenne territoriale fassent preuve d’une identité « géographique, culturelle ou linguistique ».
À l’heure actuelle, sur les 19 circonscriptions des TNO, 9 dépassent le seuil des 25 %, ce qui est trop d’après le rapport de la commission, qui propose donc deux options d’ajustement potentielles : conserver le nombre actuel de sièges de l’Assemblée (19) tout en ajustant de manière mineure les limites des circonscriptions ou diminuer le nombre de sièges à 16 en en retirant aux circonscriptions urbaines des TNO (Yellowknife, Inuvik et Hay River).
Le statuquo ou le changement
Dans les deux cas, le hameau d’Entreprise serait rattaché à la circonscription d’Hay River South. Les collectivités de Sambaa K’e et Jean Marie River seraient retirés de la circonscription de Nahendeh pour être rattachés à celle de Dehcho.
Même si leurs populations sont souvent très inférieures à la moyenne du territoire, les structures culturelles et linguistiques de la majorité des circonscriptions isolées des TNO les qualifient au critère d’exception. Quelles que soient leur population et leur représentativité relative au reste des districts, leur maintien est assuré par « ce statut spécial, qui les préserve de la comparaison avec les autres circonscriptions », précise le rapport provisoire.
Avec un peu plus de 20 000 habitants, la capitale Yellowknife est composée à l’heure actuelle de sept circonscriptions, quand les villes de Hay River (presque 4000 habitants) et d’Inuvik (3400 habitants) comptent chacune deux sièges. En ajoutant la circonscription de Thebacha où se trouve Fort Smith, la commission note que ces quatre centres urbains comptent presque 70 % de la population du territoire, pour douze sièges sur 19. La commission le précise, il existe une très forte surreprésentation des villes de Hay River et d’Inuvik, et une sous-représentation des habitants de Yellowknife.
Pour ramener les circonscriptions urbaines à des valeurs plus équilibrées, les membres de la commission proposent un passage à 16 sièges à l’Assemblée législative : Yellowknife passerait à six sièges, Inuvik et Hay River à un chacune.
Avec ce changement, les 12 circonscriptions urbaines devenues neuf seraient beaucoup plus équilibrées (seule celle de Thebacha s’approcherait de la limite d’exception, sans la dépasser contrairement à la situation actuelle).
Des limites statistiques et politiques pointées du doigt
À la fois dans une lettre et dans une intervention orale à l’attention de la commission, la ville d’Inuvik a longuement étayé ses arguments contre la réduction du nombre de sièges. D’après son maire, « réduire Inuvik à une seule circonscription désavantage à la fois la ville, mais aussi l’entière région de Beaufort-Delta, en centralisant encore plus le pouvoir aux TNO ».
Pour l’administrateur de la ville, Grant Hood, « Inuvik est la combinaison de diverses cultures et est habitée par deux larges groupes autochtones, Gwich’in et Inuvialuits. Le Beaufort-Delta et Inuvik représentent un microcosme dans les TNO, notamment à cause de sa localisation et de ses relations avec le reste des territoires. Réduire de deux à un le nombre de sièges de ses représentants ne ferait que réduire la voix de ces communautés. Le système actuel permet à Inuvik d’avoir des représentants des deux côtés de la Législature : au gouvernement et dans l’opposition. C’est à ce système que va notre préférence. »
Le calcul proposé pour équilibrer les zones urbaines est également critiqué. Il ne prendrait pas en compte les sept districts restants, ruraux, modifiant dans le même temps la signification des chiffres avancés. Tedd Slack, résident de Yellowknife, a notamment pointé du doigt ces irrégularités. « Vous n’avez pas fait votre boulot, s’exprime-t-il. La création d’un groupe urbain vous permet de les comparer les uns aux autres, et de les maintenir artificiellement en deçà du seuil que vous avez pour la totalité des circonscriptions. Ce n’est pas correct mathématiquement. » En effet, les chiffres proposés dans le rapport pour évaluer la validité des options avancées ne tiennent pas compte des populations des sept districts ruraux. La comparaison entre ces options et les données actuelles est donc impossible, comme le pointe du doigt M. Slack.
Bill Braden, ancien député, est également intervenu pour souligner « la menace que représenterait la suppression de trois sièges sur le processus législatif déjà très complexe ». Il explique que « le format ministériel actuel, dans lequel sept ministres se partagent 25 portefeuilles, ne pourrait supporter une réduction proportionnelle de ses effectifs ». D’après M. Braden, la diminution du nombre de députés pousserait à la réduction soit du nombre de ministres, soit du nombre de membres de l’opposition.
D’autres communications écrites ont été transmises à la commission depuis la publication du rapport, et signalent de nombreuses pistes de réflexion pour les membres du groupe de travail d’ici la fin du printemps. La centralisation des pouvoirs et des sièges à Yellowknife est une critique que l’on retrouve dans les mémoires publiés sur le site de la commission. À l’inverse, on retrouve aussi des critiques envers le fait de réduire encore le nombre de sièges de la capitale, où sont concentrés près de la moitié des résident.e.s des TNO. Certaines remarques concernent le nombre trop important de circonscriptions bénéficiant du statut « exceptionnel ».
Face à ces remarques et critiques, la commission chargée de la délimitation des circonscriptions pour les TNO a jusqu’à la fin du printemps pour amender son rapport et le proposer au vote à l’Assemblée législative. Comme l’a souligné plusieurs fois le président de la commission, Ted Richard, « ce rapport préliminaire est plus un ballon d’essai, et ne contient pas de recommandation. Il décrit les problèmes que nous avons repérés et que nous devons aborder dans notre rapport final. C’est pour cela que nous cherchons à recevoir les avis ».