le Vendredi 9 mai 2025
le Vendredi 29 avril 2022 9:23 | mis à jour le 6 mai 2025 23:23 Société

Moins de démagogie pour les garderies

Moins de démagogie pour les garderies
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Unanimement dénoncé pour son manque de communication et de clarté dans la mise en place de sa dernière subvention de réduction des frais de garde, le gouvernement, par la voix de son ministre de l’Éducation, de la Culture et de la Formation, a annoncé lundi 25 avril sur les ondes régionales, commencer la réévaluation de son programme, et reprendre le dialogue, absent depuis plusieurs semaines.

La mise en place par le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest de sa nouvelle subvention pour la réduction des frais de garde d’enfants fait débat. Depuis plusieurs semaines, le ministère de l’Éducation, de la Culture et de la Formation, les centres et garderies, et les familles se livrent à une lutte par médias interposés.

Le 26 avril, lors d’une déclaration à la radio de CBC North, le ministre de l’Éducation, de la Culture et de la Formation, R. J. Simpson, a annoncé ralentir la mise en place des programmes liés à cette subvention, pour, a-t-il dit, « réévaluer » le plan et « s’assurer que tout le monde est bien au fait de l’évolution de la situation ».

Cette remise en question intervient après que de multiples voix se soient élevées contre la manière dont la subvention, et toute la future réforme du secteur de l’éducation à la petite enfance ont été mises en place et gérées par le gouvernement.

 

Un manque criant de communication

Le calendrier est contesté par nombre de garderies familiales. Le projet fédéral d’amener sur l’ensemble du territoire canadien les frais de garde d’enfants à 10 $ par jour à l’horizon 2026 a été annoncé en décembre 2021. Première étape vers cet objectif pour les TNO : réduire dans un premier temps de moitié ces frais, parmi les plus chers au Canada.

La méthode choisie par le gouvernement est la suivante : les centres de garde et les garderies familiales recevront, à partir du mois de mai 2022, une nouvelle subvention d’un montant égal à la moitié des tarifs auparavant facturés aux familles.

Ces dernières, en conséquence, n’auront plus à payer que la moitié de ce qu’elles payaient jusqu’ici.

Seule contrainte pour les opérateurs d’éducation à la petite enfance : être agréé par le gouvernement des TNO et adhérer au programme de subvention. Ce qui ne se fait pas sans condition.

Kristie Vyse, éducatrice à la petite enfance, propriétaire de sa garderie en milieu familial à Fort Smith, confirme le manque de clarté et de communication : « R.J. Simpson a persisté à aller voir les médias en premier avec ses propres informations. Les familles ont alors commencé à venir vers nous pour demander quand les fameux 10 $ par jour allaient être mis en place, quand elles allaient recevoir le remboursement, etc. Et on ne pouvait pas leur répondre, soit parce que nous n’avions pas eu le temps de lire les nouvelles, et surtout parce que R.J. Simpson n’est jamais venu communiquer avec nous. »

Les méthodes du gouvernement soulèvent des protestations. Comme l’explique Nicole Loubert, éducatrice et propriétaire d’une garderie en milieu familial à Yellowknife : « Le problème, c’est qu’ils ont décidé de passer par nos comptes bancaires, plutôt que de donner une baisse par les rapports d’impôts. Comme ça, ça aurait été une façon directe de redonner l’argent aux parents. À la place, ils ont décidé de venir contrôler nos commerces, nos maisons. »

Les conditions d’attribution et de signatures de cette nouvelle subvention, aussi, posent question aux opérateurs. « Ils nous ont pris par surprise », confie Mme Loubert, faisant référence aux méthodes de communication choisies par le gouvernement.

Autre reproche fait au gouvernement, l’ambigüité sur les conditions d’accès à cette subvention de réduction des frais. Alors que le gouvernement avait d’abord annoncé que la nouvelle subvention serait indépendante des programmes existants, il aurait ensuite fait volteface au dernier moment et annoncé que la non-souscription à la nouvelle subvention ferait perdre aux opérateurs l’accès aux autres subventions, « pour nous mettre la pression pour signer », explique Nicole Loubert. « Ils se sont rendu compte que beaucoup ne signaient pas, poursuit-elle, alors ils nous ont envoyé un message la semaine passée pour dire “OK, maintenant vous n’aurez plus droit à aucune subvention si vous ne signez pas cet accord”. »

Une méthode également dénoncée par Kristie Vyse : « Deux jours avant la fin du délai, ils nous ont annoncé que, finalement, les deux subventions seraient liées, après nous avoir annoncé que cette subvention serait de toute manière indépendante des autres. »

« R.J. Simpson a lui-même fait l’information, il a fait sa politique à partir de rapports, il n’a jamais rencontré qui que ce soit, résume Mme Vyse. Nous avons demandé à le rencontrer, mais nous n’avons jamais reçu de réponse. »

 

Des chiffres qui font débat

Parmi les informations dont la diffusion est critiquée par les centres d’éducation à la petite enfance, celles sur les prix mensuels de garde et sur les salaires se démarquent.

En 2020, un rapport du Centre canadien de politiques alternatives annonçait des frais mensuels moyens de garde d’enfants à Yellowknife entre 885 et 1015 dollars par enfant. Ces chiffres sont contestés par de nombreux professionnels du secteur : « Il y a vingt ans, quand j’ai commencé, je facturais 950 $ par mois, explique Nicole Loubert. On est bien au-dessus de ça aujourd’hui. Mais tout de même bien en dessous de ce qu’on devrait être. »

« Yellowknife est une des trois villes où la vie est la plus chère au Canada, dit-elle, et pourtant nos tarifs sont loin de ceux de Toronto [où ils peuvent effectivement atteindre 1850 $, selon le rapport du CCPA]. »

Alors quand le gouvernement des TNO annonce un tarif actuel moyen à 930 $ par mois et par enfant, et propose de baser son calcul sur cette donnée, les garderies s’insurgent.

Surtout quand, d’après Nicole Loubert et Kristie Vyse, c’est à partir de cette valeur que le gouvernement et le ministre Simpson ont dépeint les éducateurs à la petite enfance comme « gourmands et cupides ».

Lors d’un débat à l’Assemblée législative, le ministre Simpson a justifié la mise en place d’un maximum de 2,3 % d’augmentation annuelle des tarifs par le fait qu’un certain nombre de « centre d’éducation à la petite enfance, déjà, dans les catégories les plus chères avaient tenté d’augmenter leurs tarifs de 20 à 30 % » après l’annonce de la mise en place de la subvention.

D’après Nicole Loubert, ce taux de 2,3 % avait d’abord été ouvert à la discussion, avec des conditions d’application qui exigeaient que « tous les parents acceptent nos nouveaux frais, signent une entente à cet effet, nous paient rétroactivement pour mars et que l’on montre la preuve de paiement. »

« Tout ça tout en communiquant dans les médias que nous gagnons 120 000 $ par an en tant que garderie en milieu familial, rapporte Kristie Vyse. Je ne connais pas une seule personne ayant une garderie en milieu familial qui gagne plus de 20 000 $ par an, une fois toutes les charges déduites. »

Une différence entre chiffre d’affaires et salaire net d’impôt qui a également choqué Nicole Loubert : « Ceux qui pensent qu’on gagne soixante dollars de l’heure, c’est faux. C’est avec ça qu’on paie tout. Alors que dans un centre, si tu gagnes dix-huit dollars, eh bien, c’est pas toi qui achètes la nourriture, les jouets, l’électricité, les assurances et tout… C’est énorme, tout ce qu’on paie. »

Un dialogue de sourds, donc, entre le gouvernement et les éducateurs et éducatrices à la petite enfance en milieu familial et qui laisse de côté les bénéficiaires centraux de cette subvention : les familles et les parents, dont certains prennent également la parole pour s’indigner de la diabolisation des garderies en milieu familial.

Isabelle de Grandpré, mère de deux enfants entre un et quatre ans, résident à Yellowknife, s’étonne de la communication du gouvernement, surtout par rapport à l’importance que ces garderies ont pour les familles et la société ténoise :

« Après avoir entendu ce que le ministre a dit, ce qui s’est passé, je trouve ça complètement aberrant de mettre les personnes qui gèrent nos enfants devant le fait accompli, de leur imposer des choses qui changent tout le temps. Le ministre, dans une de ses déclarations, a dit que les gens qui s’occupent des garderies familiales voulaient juste empocher de l’argent, ne pense pas au bien des familles. C’est un manque total de considération envers des gens qui s’occupent de ce qui est le plus important pour nous : nos enfants. »

Après onze ans à gérer sa propre garderie en milieu familial à Fort Smith, Kristie Vyse a décidé de mettre fin à son activité en mai 2022. (Courtoisie KV)
 

 

Les familles prises en étau

La manière dont la subvention est mise en place par le gouvernement mène déjà certaines garderies en milieu familial à fermer leurs portes. Kristie Vyse est l’une d’entre elles.

« J’arrête. Après onze ans, j’arrête. C’était trop d’angoisse, trop d’incertitude pour moi. Aujourd’hui, partage-t-elle, le défi est de gérer toutes les émotions ; ce n’est pas une manière heureuse de terminer cette partie de ma carrière », raconte l’éducatrice, qui a décidé de poursuivre son parcours au centre d’éducation à la petite enfance de la ville de Fort Smith, tout en poursuivant ses études.

Une situation qui angoissait Isabelle de Grandpré : « La chose qui m’inquiétait le plus, c’est que notre gardienne décide de fermer. »

« Nous lui faisions 100 % confiance sur ce qu’elle nous expliquait de la situation » explique-t-elle, assurant que sa famille soutient totalement les garderies en milieu familial dans ce conflit.

D’un autre côté, certaines familles, qui se sont senties prises en otage par la situation, ont partagé leurs ressentis avec Cabin Radio. Leurs témoignages font état de hausse de 20 à 30 % des tarifs, sans, vraiment, de solution de repli en cas de refus.

Des témoignages qui ne reflètent pas, selon Nicole Loubert, la réalité de la majorité des familles. « La plupart des parents nous soutiennent, explique-t-elle, mais ce ne sont pas eux qui vont dans les médias. »

 

Une solution globale dans la discussion ?

Car au final, c’est de cela qu’il s’agit : réduire les couts pour les familles, et accroitre l’accès à l’éducation à la petite enfance, un objectif sur lequel le gouvernement, les garderies, et bien sûr les parents, s’accordent.

« Je suis d’accord avec l’objectif global, abonde Kristie Vyse. Nous devons former les professionnels. Nous devons être certains que ces personnes gagnent leur vie de manière correcte. Que les espaces où les enfants évoluent soient entretenus, leurs jouets remplacés régulièrement, et que les couts diminuent pour les familles. »

C’est la méthode qui est critiquée, non pas la finalité. Comme l’explique Mme Vyse, le problème se résume à un manque de clarté. Avec une meilleure communication, « les garderies auraient subi beaucoup moins de pression de la part de tout le monde, ce qui aurait simplifié les échanges ».

 

Une structure qui peine à se mettre en place

Ces échanges auraient surement été plus simples si les garderies étaient parvenues à s’exprimer d’une seule voix et à coordonner leurs efforts, un désir visiblement partagé par de nombreux opérateurs, « qui tentent de se former en association en ce moment », explique Nicole Loubert.

« Mais on nous met des bâtons dans les roues, poursuit-elle. Ils ne veulent pas, ils préfèrent nous garder toutes individuelles. Depuis l’été dernier, un groupe essaie de se constituer, en vain. »

Lundi 25 avril, sur les ondes de CBC, le ministre R. J. Simpson a annoncé ralentir le rythme de la mise en place du programme, le temps de mieux comprendre ce qui doit être fait ou non.

« Je comprends que ce programme a été mis en place très rapidement et que des personnes aient eu l’impression de ne pas avoir les informations dont ils avaient besoin », a-t-il annoncé, avec pour objectif de travailler sur la communication, justement.

« Je suis prudemment optimiste, a annoncé Kristie Vyse à l’écoute de cette annonce. J’espère qu’ils vont vraiment nous écouter cette fois, et pas juste attendre six mois pour relancer le programme en espérant que tout le monde ait oublié le sujet. »

Au moment de mettre sous presse, le gouvernement des TNO n’avait pas répondu aux questions de Médias ténois.