Plus de deux mois se sont écoulés depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Alors que des inquiétudes avaient d’abord été exprimées par les premiers ministres des trois territoires quant à la sécurité de l’Arctique, la menace actuelle demeure faible.
Karine Lavoie
Créée au cours de la Seconde Guerre mondiale, tandis que l’on craignait des incursions japonaises sur la côte de l’océan Pacifique, l’institution des Rangers canadiens célèbre en 2022 son 75e anniversaire. La création de cette entité avait pour objectif d’assurer une présence militaire dans les régions éloignées et isolées du Canada ne pouvant être desservies par les éléments réguliers des Forces armées canadiennes. De nos jours, les Rangers canadiens remplissent plusieurs rôles et responsabilités, dont celui d’être le promoteur et le gardien de la tradition et du savoir, et ce, surtout dans les collectivités autochtones. Bien que ceux-ci n’effectuent aucune mission de combat et n’ont à leur disposition que des armes de chasse, leur présence est essentielle au pays.
Une présence gouvernementale
Le 1er Groupe de patrouilles des Rangers canadiens possède son siège social à Yellowknife et mène ses activités à travers les trois territoires ainsi qu’à Atlin, en Colombie-Britannique. Ce groupe est reconnu pour représenter les yeux et les oreilles des Forces dans le Nord.
Sa mission comporte deux volets, dont le premier est de fournir des forces mobiles autonomes et dotés d’équipement léger à l’appui des opérations de l’armée. Quant au deuxième volet, il implique de mettre en œuvre un programme des Rangers juniors canadiens, destiné aux jeunes âgés de 12 à 18 ans.
« Les Rangers ont un statut particulier, c’est-à-dire qu’ils sont, quelque part, beaucoup plus des gardiens ou des mentors ou des éclaireurs, si vous voulez, de l’armée sans être des militaires à proprement parler, même s’ils sont assujettis à la Loi sur la défense nationale. Donc, ils n’ont pas un statut de combattant », résume Stéphane Roussel, professeur titulaire à l’École nationale d’administration publique et membre de l’Observatoire de la politique et la sécurité de l’Arctique. Il mentionne également que les Rangers ne jouent pas un rôle de force constabulaire, ce qui signifie qu’ils ne peuvent pas se substituer à la police.
Pour l’instant, Stéphane Roussel juge que le rôle des Rangers est suffisant dans le contexte de la guerre en Ukraine, expliquant que ceux-ci assurent une forme de présence gouvernementale.
« Je vois l’Arctique canadien comme une zone qui est vulnérable, c’est certain, mais elle n’est pas menacée pour autant. Il n’y a pas d’intérêt pour les Russes, à court terme en tout cas, de débarquer sur une ile ou un territoire canadien puis d’essayer de planter leur drapeau », estime Stéphane Roussel. Selon lui, l’Arctique pourrait d’abord devenir une zone de transit que l’on traverserait, et non une zone que l’on tenterait de conquérir ou d’attaquer.
De son côté, le gouvernement du Yukon affirme surveiller la situation de près, mais avoir reçu l’assurance du gouvernement fédéral que la menace actuelle envers l’Arctique demeure faible. « Nous appuyons les efforts du gouvernement du Canada pour faire progresser la coopération dans l’Arctique tout en tenant la Russie responsable de son agression en Ukraine. Le gouvernement du Yukon continuera de soulever la question de la sécurité dans l’Arctique et de partager son point de vue sur le paysage géopolitique changeant de l’Arctique avec ses homologues canadiens et internationaux », déclare?Eilidh Fraser, responsable des communications au Conseil exécutif du gouvernement du Yukon.
Malgré le conflit russo-ukrainien en cours, il n’y a aucun plan concret prévu pour le recrutement d’effectifs supplémentaires. « Les Rangers canadiens recrutent au sein de leurs propres collectivités et la taille des patrouilles correspond à un effectif établi. De nouveaux membres peuvent seulement être ajoutés s’il y a des places disponibles et que les dirigeants de la patrouille le permettent », nous explique une source, qui a préféré demeurer anonyme, au sein de l’unité du 1er Groupe de patrouille des Rangers canadiens aux Forces armées canadiennes. Il ajoute qu’à la suite d’une réduction des activités au cours des deux dernières années en raison de la COVID-19, un retour à un niveau prépandémique est à prévoir avec l’élimination des restrictions de voyage.
Calmer les inquiétudes
Au cours des prochains mois, la ministre de la Défense nationale, Anita Anand, effectuera une visite ministérielle dans l’Arctique. « La ministre Anand croit que la sécurité de notre Arctique est primordiale », affirme Daniel Minden, attaché de presse et conseiller principal en communication de la ministre de la Défense nationale.
« La ministre Anand a hâte de discuter avec les communautés du Nord, les dirigeants autochtones, les premiers ministres des territoires et les membres des Forces armées canadiennes au sujet de notre travail continu pour renforcer la souveraineté du Canada dans l’Arctique », poursuit Daniel Minden.
Selon Stéphane Roussel, cette visite est utile puisque, en plus de signaler l’intérêt du gouvernement, cela permet à la ministre et à son entourage de constater la situation et ainsi prendre conscience de certains problèmes et de certaines limites. À l’instar de tous les pays occidentaux, il indique que le Canada est en train d’évaluer sa vulnérabilité et la façon dont la Russie pourrait l’atteindre si le conflit?se mettait à dégénérer.
D’autre part, Stéphane Roussel suspecte que cette visite représente également une réponse face à l’inquiétude que beaucoup de Canadiens entretiennent à l’égard de leur Grand Nord. Relevant les délais observés entre une déclaration politique et l’aboutissement de celle-ci dans l’Arctique canadien, il exprime toutefois un certain scepticisme sur ce qu’il en ressortira.
Du côté du gouvernement du Yukon, on estime que la sécurité de l’Arctique est davantage assurée en raison de la résilience des collectivités dans le Nord. Eilidh Fraser souligne que des investissements dans des domaines tels que les soins de santé, les infrastructures essentielles et les programmes comme celui des Rangers canadiens assureront la sécurité et renforceront la résilience face aux urgences domestiques et à l’étranger.
« Alors que le monde porte une plus grande attention à l’Arctique, l’engagement du Canada à investir dans cette région doit se faire en s’assurant que les habitants du Nord disposent des outils et des ressources nécessaires pour soutenir leur santé, leur communauté et leur culture, tout en garantissant les compétences, les connaissances et la capacité de se défendre contre toute menace, qu’elle soit environnementale ou autre », conclut Eilidh Fraser.