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le Jeudi 25 août 2022 17:57 | mis à jour le 20 mars 2025 10:41 Arctique

L’océan Arctique, de plus en plus bruyant ?

L’océan Arctique, de plus en plus bruyant ?
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Selon une étude publiée en janvier 2022 dans la revue Environmental Science & Policy, l’augmentation continue du trafic maritime dans l’aire marine nationale de conservation de Tallurutiup Imanga au Nunavut, ainsi que dans la voie d’entrée orientale du passage du Nord-Ouest a des répercussions sur l’acoustique aquatique et sur les mammifères marins. En d’autres termes, l’océan Arctique se transforme petit à petit en un environnement bruyant, voire assourdissant.

« Nous avons examiné le chevauchement entre le trafic maritime, y compris les niveaux de bruit sous-marin modélisés, et la répartition de deux espèces de cétacés, le bélouga et le narval, et de trois espèces d’oiseaux de mer, le guillemot de Brünnich, le fulmar boréal et la mouette tridactyle », peut-on lire en introduction de l’étude.

Le professeur Stephen Insley est directeur des programmes de l’Arctique de l’Ouest au sein du projet Arctic Noise, mené par la Société de Conservation de la Nature (Wildlife Conservation Society Canada). Il estime que les sources de pollution sonores dues aux activités humaines comme les activités minières et l’exploitation pétrolière ont augmenté. Cependant le transport maritime de biens et de marchandises est la source de perturbation la plus répandue.

Durant les 25 dernières années, le trafic maritime dans l’Arctique canadien a plus que triplé. Avec la fonte progressive de la banquise, l’augmentation graduelle de la fréquentation des navires ne sera pas uniforme en Arctique, mais plutôt cantonnée à des couloirs de navigation comme la mer de Chukchi vers le détroit de Béring : le long des côtes de l’Alaska et de la Russie en particulier. Le passage du Nord-Ouest, accessible pendant une plus grande période, est aussi devenu un corridor de navigation prisé par les transporteurs.

Une autre étude parue en avril 2021 dans la même revue met en garde contre les conséquences d’une absence de régulation du trafic maritime dans l’ouest de l’océan Arctique.

« Sans une gestion proactive des navires et des mesures d’atténuation efficaces, la perturbation acoustique des baleines devrait augmenter et éventuellement s’étendre à plus de mois dans l’année, à mesure que le trafic maritime continue d’augmenter parallèlement à l’augmentation de la durée de la saison des eaux libres », indique l’étude qui documente les effets des nuisances sonores sous-marines sur les bélougas et les baleines boréales dans la mer de Beaufort et la mer de Chukchi. Selon le professeur Insley, la pollution sonore sous-marine a des effets variés allant de la difficulté accrue de se nourrir et de communiquer au sein des groupes de mammifères marins à des lésions du système auditif. Pourtant des solutions existent et varient en fonction de la source. Une diminution de la vitesse des navires dans les zones fréquentées par la faune est l’une des solutions avancées par le professeur. Cependant le besoin de régulation est vital selon lui.

« Nous avons besoin d’une règlementation très forte. L’un des moyens d’élaborer ces règlementations et de développer des solutions consiste à impliquer réellement les habitants du Nord. Ils doivent jouer un rôle crucial et c’est vraiment essentiel », indique-t-il lors d’une entrevue.

 

Le Groenland n’est pas épargné

Les paysages spectaculaires du Groenland en font une destination prisée par les touristes originaires principalement de l’Europe et des États-Unis. À l’été 2019, avant que la pandémie de COVID-19 ne fasse chuter les chiffres de façon radicale, le Groenland comptabilisait plus de 23 000 visiteurs en juillet 2019, au sommet de la saison estivale. Le nombre de passagers dans des bateaux de croisière a plus que doublé, passant de 20 214 visiteurs en 2014 à 46 633 en 2019. Le gouvernement du Groenland estime que la baisse de la fréquentation touristique étrangère est importante avec 70 % de moins de visiteurs sur l’ensemble de l’année 2020. Aucun bateau de croisière n’a été comptabilisé non plus cette année-là.

Mais avec la reprise des déplacements internationaux en 2022 et l’arrivée de bateaux de croisière et de voiliers sur les côtes est et ouest du Groenland, la pollution acoustique a elle aussi fait son retour.

Dans une publication du 31 juillet 2022 sur sa page Facebook, Hejlmer Hammeken, chasseur et résident de la municipalité d’Ittoqqortoormiit dans le fjord Scoresby à l’est de l’ile, s’inquiète de l’augmentation du nombre de bateaux dans le fjord : « la perturbation répétée des sanctuaires de narvals est néfaste pour le stock. »

Une étude publiée le 21 juin 2021 par l’institut des ressources naturelles du Groenland, l’entreprise Greeneridge Sciences et l’université de Grenoble en France émet des conclusions identiques. La pollution sonore issue des activités humaines a des répercussions sur le comportement et sur les déplacements des narvals. Pour en arriver à cette constatation, 16 narvals ont été capturés le long des côtes du Groenland et équipés de balises satellites et d’enregistreurs acoustiques et comportementaux. Même si l’étude se penche sur les réactions et comportements de ces mammifères marins sur le court terme, l’étude conclut que les narvals sont « définitivement vulnérables à l’introduction de la pollution sonore dans leur habitat habituellement vierge et isolé »

 

Une stratégie basée sur le tourisme

Le gouvernement du Groenland mise tout sur le tourisme. Une stratégie de développement du tourisme lancée en 2021 appelée Vers plus de tourisme, exprime la volonté gouvernementale de développer ce marché et viser « une croissance économique accrue, des créations d’emplois ainsi que du développement durable pour la société ». Le document reconnait aussi l’augmentation du nombre de bateaux de croisière et indique, sans donner de détails, vouloir travailler sur une règlementation afin d’encadrer le développement durable du tourisme de croisière.

L’Association internationale des croisiéristes d’expedition en Arctique met à disposition de ses 28 entreprisesadhérentes un cadre et des lignes directrices afin que le tourisme de croisière dans l’Arctique s’effectue « dans le plus grand respect de l’environnement naturel, des cultures locales, en prenant en considération les risques d’accident en mer et sur terre ».

Pour Sonia Bukowski, porte-parole de l’entreprise française de croisière Ponant présente au Groenland depuis 2004 et membre de l’AECO, les équipes d’expédition et de navigation sont garantes des bonnes pratiques mises en place par cette association.

« Dans les régions polaires, nos itinéraires et nos protocoles sont conçus dans le respect de leurs directives, qui définissent le nombre de passagers pouvant débarquer et les conduites spécifiques à suivre : distances maximales d’approche de la faune, breffages des passagers, des membres d’équipage et du personnel d’expédition […] et plans d’urgence et d’évacuation médicale », explique-t-elle lors d’un échange de courriels.

À titre d’exemple, l’AECO recommande, en cas de rencontre avec un cétacé, de garder une distance de 300 mètres avec l’animal et de limiter les bruits du navire autant que possible.

« Essayez d’éviter les changements brusques de bruit qui peuvent surprendre ou déranger l’animal, y compris l’utilisation excessive du moteur, les changements de vitesse, les manœuvres ou les reculs vers l’animal », peut-on lire sur le site internet de l’AECO.

Cependant, en cas de changement de comportement ou si l’animal est agité et montre des signes manifestes de perturbation, il est recommandé au capitaine d’éloigner lentement le navire et de laisser l’animal s’éloigner.