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le Jeudi 17 novembre 2022 14:20 | mis à jour le 6 mai 2025 23:05 Société

L’alcool coule à flots aux TNO

L’alcool coule à flots aux TNO
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Depuis quinze ans, le Yukon est l’endroit où la consommation d’alcool par habitant était la plus élevée au Canada.
Plus maintenant : les Territoires du Nord-Ouest l’ont déclassé avec la pandémie.

C’est aux Territoires du Nord-Ouest qu’il s’est bu le plus d’alcool par habitant au Canada en 2020-2021, selon Statistique Canada. Le Yukon, déjà bien au-dessus de la moyenne canadienne, occupait cette place depuis, au moins, 2004. Le gouvernement ténois recommande néanmoins d’améliorer l’accès à l’alcool, malgré les risques que cela peut comporter, afin de lutter contre la contrebande.

Le volume absolu des ventes totales des boissons alcoolisées par habitant de quinze ans et plus aux TNO était de 13,4 litres en 2020-2021. Qu’est-ce que le « volume absolu » ? C’est l’équivalent bu en alcool pur à 100 %. Par exemple, un litre de spiritueux à 40 % contient 0,4 litre d’alcool pur. À travers le Canada, ce volume absolu était alors de 8,3 litres ; les Territoires du Nord-Ouest ont ainsi dépassé de 61 % la consommation du reste du pays, en hausse d’environ 15 % par rapport aux années précédentes.

Pourquoi se boit-il autant d’alcool au Yukon et aux Territoires du Nord-Ouest ? « On observe généralement une consommation plus élevée dans les régions rurales éloignées que dans les milieux urbains et ça vaut pour d’autres pays », répond Tim Stockwell, chercheur à l’Institut canadien de recherche sur la toxicomanie de l’Université de Victoria. Il explique, lors d’une entrevue Zoom, que c’est en partie culturel, car il y a moins d’activités ou d’endroits où dépenser et ainsi plus de revenus disponibles pour acheter de l’alcool ou aller au bar.

Selon la sous-ministre adjointe aux programmes du ministère ténois de la Santé et des Services sociaux, Sara Chorostkowski, il n’y a « pas une réponse simple à cette question », mais « ça pourrait s’expliquer en grande partie par la colonisation et les pensionnats », dit-elle au cours d’une entrevue virtuelle. Sa collègue, Bryany Denning, conseillère principale en consommation problématique de substances psychoactives, ajoute pour sa part qu’« il y a moins de culture de modération dans la consommation de bière et de vin aux TNO que dans les provinces. »

Mais ce n’est ni la bière ni le vin que les Ténois affectionnent le plus : ils sont les plus grands buveurs de spiritueux au Canada. Il s’est bu, en moyenne, 17 litres d’alcool fort par habitant en 2020-2021, trois fois plus qu’ailleurs au pays.

Si Tim Stockwell estime que la culture influence le choix des boissons alcoolisées, il avance deux observations pour expliquer le penchant pour les spiritueux aux TNO : « Quand on a une population de gros buveurs, ils vont choisir des boissons alcoolisées fortes. Puis, il y a le climat : les Canadiens préfèrent la bière en été, le vin en automne, et les spiritueux en hiver. Lorsqu’il fait froid et sombre, les gens apprécient les spiritueux. »

Des considérations pratiques sont à considérer, note de son côté Bryany Denning : « Les spiritueux sont plus portables et les frais d’expédition constituent un enjeu majeur. » Il est plus économique de se faire livrer des spiritueux que de la bière ou du vin, dit-elle, et il est aussi plus facile d’en transporter avec soi. Rappelons que l’alcool n’est vendu au détail que dans six des 33 collectivités des Territoires du Nord-Ouest.

 

 

Une pandémie arrosée

Les Canadiens ont davantage levé le coude durant la pandémie : les ventes de boissons alcoolisées en 2020-2021 ont augmenté de 4,2 % par rapport à l’exercice précédent et, même en tenant compte de l’inflation, Statistique Canada constate qu’il s’agit de la plus forte hausse depuis plus d’une décennie.

La consommation d’alcool aux TNO « a probablement augmenté comme dans le reste du Canada à cause du stress, de l’ennui et de l’isolement ressentis à la suite des mesures prises pour lutter contre la COVID-19 », écrit le gouvernement territorial dans un rapport, publié en juin, sur les répercussions de la pandémie.

Cette hausse a eu des conséquences directes sur les hospitalisations dues à l’alcool aux TNO : celles-ci ont « augmenté de 73 % en 2020-2021 par rapport à la moyenne des 5 dernières années », rapporte le GTNO dans son rapport. L’alcool était également derrière 52 % des hospitalisations liées à la santé mentale, contre 40 % avant la pandémie.

« Les conséquences de la consommation d’alcool aux Territoires du Nord-Ouest et au Yukon, qu’on parle de maladies, de décès ou de couts, sont les pires du Canada », affirme Tim Stockwell de l’Institut canadien de recherche sur la toxicomanie.

Le volume des ventes d’alcool au territoire semble toutefois être revenu à celui d’avant la pandémie autour d’aout 2021, selon les chiffres du Bureau de la statistique des TNO. Cela pourrait être « potentiellement dû au fait que davantage de personnes voyagent et achètent de l’alcool en dehors du territoire, ou pourrait refléter une baisse de la consommation », écrit le GTNO dans son rapport.

Le chercheur Tim Stockwell croit que le gouvernement « spécule » en associant cette baisse aux déplacements et relève que la consommation a fluctué sans l’aide des touristes. Les raisons, dit-il, sont probablement d’abord économiques : « Les gens, contraints à la maison durant la pandémie, avaient en général plus de revenus disponibles. C’est aussi moins cher d’acheter de l’alcool dans un magasin que dans un bar ou au restaurant. Les conditions ont changé depuis et il y a une importante inflation. »

Tim Stockwell estime qu’un prix unitaire minimum et que des étiquettes avec des messages complets sur les risques de santé ainsi que de l’information sur le verre standard, notamment, aideraient à réduire les risques associés à l’alcool. « Il ne faut pas le rendre plus accessible », ajoute-t-il.

 

Améliorer l’accès malgré les risques

Le gouvernement territorial a pourtant proposé, en septembre, une modernisation de sa loi régissant la vente d’alcool dont certaines recommandations favorisent l’accès aux produits alcoolisés afin de réduire les activités de contrebande. Il suggère, par exemple, de permettre aux points de vente d’ouvrir le dimanche et les jours fériés.

Cela va empirer la situation aux TNO, tranche Tim Stockwell. « Des études ont montré que la consommation grimpe en moyenne de 3,4 % en ajoutant une journée de vente. Ce sera peut-être moins, mais le plafond sera testé. »

Le ministère de la Santé, qui publiera bientôt une stratégie en matière d’alcool dont l’objectif est d’en réduire les risques, a travaillé conjointement avec le ministère de Finances sur la modernisation de la loi, assure Bryany Denning, conseillère principale en consommation problématique de substances psychoactives.

« On a examiné la littérature portant sur l’ajout d’heures d’ouverture, détaille-t-elle. La consommation s’est accrue dans des régions du Sud avec plusieurs magasins d’alcool où un client peut aller ailleurs si l’accès à un magasin lui est refusé. Qui plus est, ces régions n’ont pas de marché illégal aussi important qu’ici. »

Les contrebandiers vendent à n’importe qui à n’importe quelle heure, rappelle-t-elle. « On leur donne le monopole en gardant les magasins fermés le dimanche. Si c’est ouvert, ça pourrait orienter des gens vers le marché légal où il a des restrictions sur l’âge, sur l’état d’ébriété et des heures d’ouverture spécifiques. »

C’est avec ce même raisonnement que le gouvernement suggère d’appuyer les collectivités qui souhaitent ouvrir leur point de vente d’alcool.

Mais même si les ventes illicites diminuent, rapporte Tim Stockwell, « d’un point de vue de santé publique et de sécurité, l’alcool acheté illégalement ou légalement cause les mêmes dommages ». Cette substance est cancérigène et toxique, rappelle-t-il, et il y a des risques même à faibles doses.

L’approche du gouvernement ténois demeure : réduire le marché illégal afin d’avoir au moins un peu de contrôle sur ces ventes, dit Sara Chorostkowski, du ministère de la Santé. La consommation augmentera-t-elle ? « Personne n’a de boule de cristal, répond-elle. On cherche à réduire les risques et on offre des services de prévention, de soutien et de traitement des dépendances. »

Quant à un prix minimum pour l’alcool, « on en a discuté en long et en large », assure Bryany Denning. L’une des recommandations du ministère des Finances pour moderniser la loi régissant la vente d’alcool propose d’enlever « les limitations actuelles de la publicité liées au prix […] si le GTNO met en œuvre un prix minimum par boisson standard, autorisé par la législation. » Todd Sasaki, porte-parole au ministère des Finances, a répondu, par courriel, que cette dernière possibilité « est actuellement à l’étude ». « Aucune décision n’a été prise. », ajoute-t-il.

Le GTNO publiera « dans les prochains mois » sa stratégie sur l’alcool, affirme Sara Chorostkowski. À l’échelle nationale, de nouvelles directives pour aider les Canadiens à prendre des décisions éclairées et responsables par rapport à leur consommation d’alcool seront publiées en janvier 2023.