Chasseur d’aurores et entrepreneur, c’est l’une des personnes les plus emblématiques du secteur touristique de Yellowknife et l’un des guides autochtones les plus réputés pour les expéditions dans la région.
Joe Buffalo Child, entrepreneur et PDG de North Star Adventures, connait les Territoires du Nord-Ouest comme peu d’autres et est sollicité par des centaines, voire des milliers de touristes chaque année.
Joe est né à Fort Resolution, sur la rive sud du Grand lac des Esclaves. Il a été élevé par ses grands-parents. « Je me sens chanceux, car je pense faire partie de la dernière génération à avoir été élevée selon le mode de vie traditionnel des Dénés. Je vivais dans la nature, dans une tente, et je surveillais les pièges et les filets de pêche. Je n’ai appris l’anglais qu’à l’âge de cinq ans. »
(Courtoisie North Star Adventures)
Il garde de bons souvenirs de cette enfance vécue en osmose avec la nature. « Chaque soir, mes grands-parents nous racontaient des histoires sur l’ancien temps, l’histoire orale. Ils nous donnaient des leçons pour l’avenir, comment devenir une bonne personne, comment être un bon Déné. »
Mais quelques années plus tard, les choses se sont assombries. « À l’âge de sept ans, j’ai été arraché à mes grands-parents et emmené dans un monde d’alcoolisme et d’abus », raconte Joe. « Ce fut une très mauvaise période de ma vie. »
À l’âge de douze ans, il a fui ce cauchemar. « Je suis allé vivre à Fort Simpson chez ma tante et j’ai passé les années suivantes sur le fleuve Mackenzie. J’ai eu la chance d’être élevé avec des valeurs et des principes Dénés très forts. Et cela fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Je suis très fier de notre culture, et [je suis très fier] de défendre nos droits et notre situation. Je suis fière d’être une personne autochtone. »
En 2007, alors que le tourisme des aurores était encore à l’état embryonnaire, il a décidé d’investir dans ce domaine. « J’ai créé la quatrième entreprise de tourisme des aurores aux TNO. Aujourd’hui, il y en a plus de 100. »
(Courtoisie North Star Adventures)
Contrairement aux trois autres entreprises de l’époque, Joe n’avait ni lieu ni structure où emmener les touristes. « J’étais un père célibataire et je n’avais pas beaucoup d’argent », confie-t-il. Il ne lui restait qu’une seule solution : entasser les touristes dans une fourgonnette et prendre la route à la recherche du meilleur. L’idée était de ne faire cela que pour la première saison et d’économiser de l’argent pour ouvrir, l’année suivante, un camp avec une tente ou une cabane où accueillir les touristes.
Mais le plan a vite changé : « Les touristes semblaient aimer aller d’un endroit à l’autre à la recherche d’aurores et tout le monde m’a dit de ne pas ouvrir de camp, de continuer à faire de la chasse aux aurores, parce que c’était différent de tous les autres. »
La saison dernière, les touristes sont revenus au TNO, mais l’activité n’a pas retrouvé les chiffres d’avant la covid.(Courtoisie North Star Adventures)
Un peu par hasard, sans le savoir – « c’était par accident ! », dit-il – Joe a créé une activité qui est aujourd’hui très répandue : la chasse aux aurores. Il est fier d’en être le pionnier et assure qu’il a été le premier au monde à pratiquer cette activité. C’est pourquoi son surnom est Joe the Aurora Hunter.
La chasse aux aurores est souvent appréciée, car le déplacement est souvent le meilleur – ou le seul – moyen d’échapper aux nuages et de trouver un ciel dégagé pour les aurores. En plus, Joe assure qu’il connait bien « les humeurs du ciel ».
« Lorsque mon grand-père m’élevait et que nous étions sur le Grand lac des Esclaves, [occupés] à vérifier les filets de pêche, il m’a beaucoup appris sur la météo et sur la façon de lire les nuages. Et cela m’aide lorsque je pratique la chasse aux aurores. »
Les choses ont par la suite évoluées. Chaque année, de plus en plus de touristes du monde entier débarquaient à Yellowknife pour essayer de voir les aurores. Joe, quant à lui, déplore la façon dont la croissance s’est déroulée.
« Tout allait bien jusqu’à ce que le gouvernement territorial fasse n’importe quoi : il a ouvert les licences d’opérateurs touristiques à tout le monde. Nous avons donc commencé à avoir ici des agences qui n’étaient pas de Yellowknife et qui ont vraiment saturé le marché », dénonce l’expert en chasse d’aurores.
Selon lui, le problème n’a cessé de s’aggraver. « Ce sont des entreprises qui arrivent en aout et repartent en avril, qui ne sont pas d’ici, qui ne se soucient pas du client et qui ne s’intéressent qu’à l’argent. »
Au milieu de tout cela, on sait ce qui s’est passé au début de l’année 2020 : la pandémie a paralysé le monde et les voyages ont été interrompus pendant plus de deux ans. Le secteur du tourisme s’est presque effondré. Joe, comme presque tous les autres voyagistes, a dû licencier son personnel, vendre les actifs de l’entreprise et attendre l’aide du gouvernement.
Joe se dit ravi de la promptitude de l’aide apportée par l’Association Touristique Autochtone du Canada et le gouvernement fédéral. Il ajoute que l’aide du gouvernement territorial a également été positive, mais qu’elle a mis du temps à arriver, qu’« il était déjà trop tard et [que] le mal était déjà fait ».
(Photo : Cristiano Pereira)
Il ne cache pas un certain ressentiment du fait qu’il considère qu’au fil des ans, le gouvernement territorial a privilégié d’autres entreprises au détriment des compagnies locales. « Ils ne reconnaissent pas la valeur de notre contribution à l’ouverture du marché, rapporte Joe. Je pense qu’à un certain moment, le gouvernement était très intéressé par l’aide aux agences chinoises. Il ne se souciait pas autant des compagnies touristiques autochtones que des entreprises chinoises. Ils leur ont donné beaucoup de fonds et ont fait beaucoup de marketing pour eux. »
La saison dernière (2022-2023), les touristes sont revenus au TNO, mais l’activité n’a pas retrouvé les chiffres d’avant la covid. Pourtant, Joe est optimiste et espère que la prochaine saison sera déjà meilleure. Et que, petit à petit, les choses reviendront à un rythme normal.
Il reçoit des touristes du monde entier et les excursions qu’il propose ne sont pas toujours axées sur les aurores : il existe aussi des programmes pour la réserve du parc national Nahanni, entre autres.
Ce sont pourtant les aurores boréales qui dynamisent le tourisme. Joe Buffalo Child se prépare à accueillir davantage d’Américains, d’Indiens, de Mexicains, de Philippins et de Brésiliens. Il explique que face aux aurores, les réactions des touristes varient, mais que c’est essentiellement de la joie et de l’excitation. « Certains d’entre eux deviendront émotifs, bien sûr, c’est une expérience émotionnelle […] Ils planifient pendant des années, ils dépensent beaucoup d’argent et ils parcourent des milliers de kilomètres pour venir ici », raconte-t-il.
« Il y en a beaucoup qui me demandent comment c’était, quand j’ai vu une aurore [boréale] pour la première fois et je réponds que je ne sais pas, car j’avais probablement dix jours. Pour moi, les aurores ont toujours été là, tout au long de ma vie », continue Joe. Il ne se lasse pourtant jamais des lumières nordiques. « Je m’en étonne encore tous les soirs », confie l’aventurier. « C’est l’une des choses que mes grands-parents m’ont apprises : respecter la nature. Nous sommes très chanceux de vivre dans le Nord, ici, sous les aurores boréales. »
Au-delà du phénomène naturel, Joe y voit quelque chose de plus profond encore : « Chaque fois que les aurores deviennent très intenses, qu’elles dansent, qu’elles se déplacent très rapidement, je sais que c’est peut-être un ami ou un membre de la famille qui essaie d’envoyer un message depuis l’autre monde. »