Philippe Turcotte ne mâche pas ses mots. Nous l’avons rencontré à son bureau du CEGEP Marie-Victorin à Montréal où il agit comme directeur du Programme d’Études inuit. Depuis 6 ans, à la demande de la Commission scolaire Kativik, le Collège Marie Victorin a mis sur pieds ce programme d’étude collégiale en français destiné aux Inuit du Nouveau Québec.
« C’est évident ! affirme passionnément Philippe Turcotte, les Inuit sont pris dans un paternalisme… un colonialisme épouvantable. Ils ont un sentiment d’infériorité par rapport aux blancs: si c’est blanc… c’est nécessairement meilleur ! Si aujourd’hui les jeunes Inuit pensent comme ça, imaginez un peu ce que les vieux devaient penser dans leur temps! On leur a tellement dit qu’ils étaient sans dessein. Et tout ça se perpétue encore jusqu’à aujourd’hui ! »
Philippe Turcotte avait enseigné la philosophie toute sa vie. Un jour, la direction du collège lui demande de préparer un cours de philosophie à l’intention des étudiants inuit du Nunavik.
« J’avais aucune idée de ce qu’on pouvait faire. C’était évident qu’ils étaient incapables de suivre un cours normal de niveau CEGEP. Ils étaient neuf. Entre eux, ils parlaient inuktitut… avec un peu d’attention, tu pouvais réussir à comprendre ce qu’ils disaient en français. Je me suis dit qu’on allait pas faire un cours sur Socrate et Platon ! »
Les premières années furent difficile pour tout le monde. À la deuxième année, le Collège décida de répartir les étudiant(e)s inuit dans les cours réguliers pour tenter de limiter les déficits d’opération du programme.
« On mettait ces gens là en situation d’échec, de commenter Philippe Turcotte. On avait aucune préparation pour mettre sur pieds ce genre de programme. À l’invitation de la Commission scolaire Kativik, je me suis alors rendu au Nunavik. Ça m’a pris du temps à comprendre c’était quoi le cours secondaire que Kativik donnait au Nord. Il n’y a aucun examen ministériel là-bas, c’est tout du home made ! »
Chemin faisant, Philippe Turcotte a décidé d’abandonner ses charges de cours en philosophie et de se consacrer entièrement à ce nouveau programme. Il ne faisait plus aucun doute dans son esprit que le Collège devait construire un programme spécial pour la clientèle inuit, plus adapté à leurs besoins.
D’abord, il fallait les respecter dans leur différence culturelle, leur redonner confiance dans leur propre culture et donc leur donner une formation qui les rejoigne. Aussi il fallait améliorer l’usage du français pour pouvoir travailler efficacement. Enfin le programme devait pouvoir conduire les étudiant(e)s à être acceptés dans un cours professionnel (DEP).
À Marie-Victorin, en plus des matières de base dont le français et les mathématiques, les étudiant(e)s peuvent suivre des cours d’inuktitut et de culture inuit. « Ils ne connaissent pas d’où ils viennent. Par exemple, si on parle de chamanisme, ils ne connaissent pas ça. L’histoire du Nord non plus. Les vieux et les jeunes ne se parlent plus dans les communautés ! Je pense qu’on suscite chez eux une résurgence du goût d’apprendre. Un de nos étudiants, Bobby Kenuajuak, va avoir la chance de faire un stage de 18 mois à l’Office national du film. Il veut maintenant se familiariser avec le cinéma pour retourner au Nord et filmer des entrevues avec les aînés », raconte fièrement l’éducateur.
Philippe Turcotte a dû lui-même s’initier à la culture inuit… à tout le moins ce qu’on en raconte dans les livres. Il lit tout ce qu’il trouve. Mais c’est pas toujours évident d’enseigner la culture inuit à des Inuit!
« Il y en a qui me disent : Écoute Philippe ! t’es tombé s’a tête ! bon… je me pose beaucoup de questions. La décolonisation, ça commence toujours à l’extérieur. Quand je pense à l’Afrique du Nord, dans le fond, les Algériens, les Marocains, les Tunisiens, ce sont des gens de l’extérieur qui sont venus leur faire prendre conscience de la richesse de leur culture et leur donner confiance en eux-mêmes. J’ai le goût de faire la même chose pour les Inuit qui sont embourbés dans le colonialisme. »
Si tout va pour le mieux, un bon jour le petit programme de Marie-Victorin arrivera sans doute à orienter des étudiant(e)s vers des diplômes en pédagogie : « C’est évident qu’il va falloir d’ici quelques années qu’on ait des Inuit qui enseignent la culture inuit aux Inuit ! » imagine déjà le fougueux professeur.
Le programme de Marie-Victorin reste un projet pilote. Le Ministère de l’Éducation du Québec s’est engagé à assurer un financement minimal pendant 5 ans. Au dire de M. Turcotte, ce financement s’avère nettement insuffisant puisqu’à chaque année, le Collège encaisse jusqu’ici des déficits.
Le 25 et 26 mars prochain, le programme inuit du CEGEP Marie-Victorin tiendra son deuxième colloque, organisé par les étudiants, ouvert à toute la population, sous le thème suivant : Est-ce que le nationalisme québécois et les nationalismes autochtones sont irréconciliables?