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le Vendredi 30 janvier 1998 0:00 | mis à jour le 20 mars 2025 10:35 Autochtones

La survie d’une langue et d’une identité Semaine de l’inuktitut

La survie d’une langue et d’une identité Semaine de l’inuktitut
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Unique en son genre dans tout les Territoires du Nord-Ouest, la communauté d’Igloolik consacre une semaine entière à chaque année pour célébrer l’inuktitut. Les Iglulingmiut se sont ainsi pleinement appropriés de leur langue afin d’en assurer son avenir.

La Commissaire aux langues officielles des Territoires du Nord-Ouest, Judy Tutcho, nous faisait remarquer, lors d’une entrevue, que mis à part le mois des langues autochtones et du français en mars, aucune autre communauté des TNO ne consacre une semaine pour célébrer leur langue. Grâce à l’initiative des aînés, le cas d’Igloolik est singulier.

« Ce qui est extraordinaire avec Igloolik, rajoute-t-elle, c’est que la célébration du retour du soleil ouvre la semaine de l’inuktitut. En sachant l’importance et le sens que revêt le retour de la lumière pour les Inuit, on ne peut donc pas douter du prestige que les habitants d’Igloolik accordent à leur langue. Ça c’est aussi unique dans les TNO ! »

Les Iglulingmiut, en particulier les inullariit (les aînés), constatent que les fautes de grammaire, de vocabulaire et l’habitude de passer constamment entre l’inuktitut et l’anglais font malheureusement beaucoup trop partie de la langue quotidienne utilisée par les jeunes.

« Si rien n’est fait, les gens parleront une langue hybride et ça ne sera plus le vrai inuktitut, nous raconte Leah Otak, coordonnatrice des activités de la semaine et assistante de recherche pour la société des inullariit. Il faut qu’on s’occupe de notre langue dès maintenant afin de la préserver le plus longtemps possible ! Lorsque les gens auront un réel intérêt d’apprendre leur langue, les chances de survie de l’inuktitut seront alors meilleures.  »

La semaine de l’inuktitut est une excellente occasion pour plusieurs de prendre conscience de la qualité de leur langue. « Lorsque nous avons débuté la semaine de l’inuktitut voilà quelques années, les gens trouvaient ça difficile car ils se rendaient compte de la mauvaise qualité de leur langue », indique Mme Otak. Selon elle, la situation linguistique semble s’améliorer depuis 5 ans.

La radio communautaire d’Igloolik est un élément clé lors de la semaine. S’inspirant des entrevues réalisées dans le cadre du projet d’histoire orale d’Igloolik, où des aînés furent interrogés à propos de différents domaines de la culture inuit, Leah Otak prend note des mots qui ne sont plus aussi souvent utilisés aujourd’hui. Elle donne alors la liste de ces mots aux auditeurs de la radio et ceux-ci appellent et essaient d’en donner le sens.

Les aînés vont également à la radio et parlent de différents domaines de la vie traditionnelle inuit. Les sujets de cette année ont porté sur la couture, les peaux de caribou, la chasse aux morses sur des glaces mouvantes, les conditions et les dangers de la glace et comment naviguer et retrouver son chemin en pleine tempête.

La semaine de l’inuktitut sert aussi à faire un peu de « ménage linguistique » et de mettre l’emphase sur le dialecte de la région. Par exemple, les gens identifient des mots utilisés par les Iglulingmiut mais provenant d’autres dialectes et donnent leur équivalent dans le dialecte d’Igloolik. Ils identifient également l’origine des nouveaux mots.

Les élèves reçoivent aussi la visite des aînés à l’école. Ceux-ci passent quelques heures avec les enfants afin de les sensibiliser et les inciter à bien parler leur langue.

Durant toute la semaine, la communauté, en particulier la jeunesse, est invitée à poser des questions aux anciens concernant leur langue, soit pour trouver la définition d’un mot ou se faire corriger pour une faute de grammaire.

« Les gens sont souvent surpris de l’étendu du savoir des aînés, note Leah Otak. Beaucoup de jeunes croient que les vieux ne connaissent pas grand chose puisqu’ils n’ont pas d’éducation. La semaine de l’inuktitut est une occasion pour leur faire prendre conscience que les aînés sont en fait de vrais encyclopédies vivantes de la culture inuit. »

De son côté, Mme Tutcho déplore que dans de trop nombreuses communautés des TNO, les aînés sont mis de côté où tout simplement oubliés. On s’en remet souvent à l’école pour sauvegarder les cultures et les langues autochtones.

Encore une fois, le cas d’Igloolik est unique à cet égard, nous confie la Commissaire aux langues officielles des TNO. « Dans aucune autre communauté des TNO n’existe-t-il une organisation gérée par des aînés travaillant sur des questions de langue et de culture comme on le fait à Igloolik. »

En effet, la société des anciens dirige depuis plus de dix ans un projet de documentation de la vie traditionnelle et de la langue inuit. La situation est d’autant plus urgente que le cercle des anciens diminue rapidement.

Les anciens d’Igloolik sont également actifs dans la promotion de la culture et de l’inuktitut auprès de la jeunesse via différentes activités, telles la semaine de l’inuktitut ou les camps traditionnels dédiés aux jeunes. Ils tiennent absolument à laisser un héritage culturel aux futures générations d’Inuit, un savoir qui a permis aux inullariit de vivre dans les conditions extrêmes de l’Arctique pendant des milliers d’années.

Le dynamisme des aînés d’Igloolik a beaucoup impressionné la Commissaire aux langues lors de son passage à Igloolik l’année dernière. Partout où elle va dans les TNO, elle donne maintenant l’exemple d’Igloolik comme étant un modèle à suivre.