Les 2 et 3 avril dernier se tenait à l’Université Laval de Québec le colloque « Nord-Laval en sciences humaines 1998 » organisé annuellement par le Groupe d’études inuit et circumpolaires (GÉTIC). Une dizaine des communications présentées par des professeurs ou étudiants concernaient directement l’Arctique de l’Est et le monde circumpolaire.
C’était la huitième édition de cette rencontre multidisci-plinaire regroupant une cinquantaine de chercheurs qui se spécialisent dans la recherche nordique. Plusieurs facettes de la vie des communautés y furent abordées.
L’anthropologue Bernard Saladin d’Anglure qui revenait tout juste d’Iqaluit où il avait été invité par le Collège arctique du Nunavut à donner un cours sur les croyances traditionnelles inuit, a traité de l’importance de la baleine et de la chasse à la baleine franche dans la culture inuit. Il a rappelé que ce thème a toujours été central à leur identité. D’où l’importance de la réintroduction de cette pratique au Nord depuis les deux dernières années. Il a illustré son propos en montrant que le terme utilisé par les Inuit pour signifier un contentement gustatif, mamaqtuk, qui est aussi employé par des amoureux pour qualifier leur appréciation de la personne aimée, proviendrait du radical mamaq qui à l’origine désignait la lèvre inférieure de la grosse baleine.
Frédéric Laugrand, qui fréquente assidûment Iqaluit ces derniers temps puisqu’il est de plus en plus impliqué dans l’organisation du programme d’Études inuit du Collège arctique, a pour sa part présenté une communication sur les cérémonies hivernales traditionnelles inuit. Avec l’arrivée des missionnaires, ces festivités ont rapidement été remplacées par les fêtes de la nativité de Jésus puisqu’elles comportaient un rituel d’échange généralisé des femmes, incompatible avec la nouvelle morale. Laugrand suggère alors qu’il y aurait eu transposition de l’échange sexuel généralisé, désormais interdit, à l’orgie alimentaire généralisée, autorisée dans le nouveau contexte chrétien. Il y aurait donc continuité de la fête traditionnelle dans de nouveaux codes empruntés à la chrétienté.
Le sociologue Gérard Duhaime, directeur du Gétic, était très fier d’annoncer le démarrage d’un vaste projet de recherche inter universitaire sur le développement durable dans l’Arctique et les conditions de la sécurité alimentaire. Il a d’abord identifié les deux sources de nourriture au Nord: la nourriture chassée ou pêchée et la nourriture importée. Or ces sources de nourritures sont gravement menacées pour les habitants des communautés nordiques. D’abord, le passage trop rapide à la nourriture importée pour les Inuit constitue un facteur d’accroissement de maladies. Par ailleurs, l’accumulation de contaminants dans les régions arctiques menace la qualité des nourritures locales. Enfin la précarité de l’emploi dans les communautés nordiques menace l’accès à la nourriture pour les populations. Le projet se subdivise en 9 sous-thèmes qui seront traités par différentes équipes de recherche au Canada et aux États-Unis.
Parmi les autres projets dignes de mention, il faut mentionner le travail de Nathalie Ouellette, étudiante à la maîtrise au département d’Anthropologie de l’Université Laval qui s’intéresse à la conception contemporaine du chamanisme inuit dans la région d’Inukjuak au Nunavik. Elle est soutenue dans cette recherche par l’implication d’un étudiant de l’option d’Études inuit du Collège Marie-Victorin, Charlie Nowkawalk qui depuis quelques années a décidé un retour au source de la spiritualité inuit. De sa propre initiative, Charlie a entrepris une quête de reconnaissance des anciennes pratiques chamaniques auprès des anciens de sa communauté. Il est convaincu que cette question du chamanisme constitue le coeur de l’identité inuit et que pour y voir clair, il faut pour un temps se distancier des interdits chrétiens qui l’ont depuis longtemps diabolisé.
Jean-François Savard, étudiant en sciences politiques à Laval, s’intéresse aux impacts de l’Internet chez les Inuit du Nunavut. Il montre que des points de vue très divergents s’expriment déjà sur cette question. Un article paru dans NetGuide par exemple soutenait que l’Internet serait un élément destructeur pour les communautés du Nunavut en accélérant le choc acculturatif. Un article, paru dans le quotidien parisien Libération, soulignait au contraire tous les aspects bénéfiques de l’accès à cette nouvelle technologie, point de vue largement partagé par la Commission d’Établissement du Nunavut. Jean-François Savard voudrait y voir plus clair entre les propositions opposées.
Enfin Mélanie Gagnon, que nous avons eu la chance de connaître à Iqaluit l’été dernier et qui reviendra certainement cet été, poursuit sa recherche sur les années de fondation d’Iqaluit à partir de 1941 au moment où les Américains sont venus y construire un aéroport militaire de grande envergure. Mélanie s’intéresse particulièrement à la perspective des aînés inuit sur cette période historique.