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le Vendredi 12 mai 2000 0:00 | mis à jour le 20 mars 2025 10:35 Politique

Le Nunavut après l’an 1 Un gouvernement en transition

Le Nunavut après l’an 1 Un gouvernement en transition
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(Iqaluit) L’administration territoriale du Nunavut existe maintenant depuis un peu plus d’un an. Ceux qui s’attendaient au pire auront sûrement été déçus, comme d’ailleurs ceux qui s’attendaient à des miracles. Le nouveau territoire canadien habité à 85% par une population inuite est bel et bien devenu réalité.

Annette Bourgeois travaille comme agente de communications au bureau du chef du gouvernement Paul Okalik : « Ce que le gouvernement du Nunavut a accompli depuis un an? lance-t-elle avec assurance, il fonctionne! Les gens ne se sont pratiquement pas aperçus du changement d’administration et c’est le grand succès de la première année. Ça marche! Plein de monde doutaient qu’on allait relever le défi et mettre sur pied un gouvernement opérationnel étant donné la complexité des rouages de l’administration publique. Le niveau de services à la population au Nunavut ne s’en est pas ressenti. »

La mise en chantier du nouveau gouvernement territorial avait commencé le 15 avril 1998 par l’ouverture à Iqaluit du Bureau du Commissaire par intérim et la nomination par Ottawa de M. Jack Anawak, jusque là député libéral de Nunatsiaq à la Chambre des Communes, comme Commissaire. D’abord en recrutant les sous-ministres et leur personnel immédiat, des embryons de ministères furent aussitôt constitués.

Les élections des futurs députés à l’Assemblée législative eurent lieu le 15 février 1999. 88% des électeurs éligibles se rendirent aux urnes pour se prévaloir de leur droit de vote. Une des grosses surprises de l’élection fut de constater la défaite de Goo Arlooktoo dans Baffin Sud, l’ex vice-premier ministre du GTNO, que plusieurs identifiaient déjà comme prochain premier ministre du Nunavut.

Une deuxième surprise se produisit au mois de mars au moment de l’élection du chef du gouvernement par le groupe de députés élus. Plusieurs croyaient que Jack Anawak allaient l’emporter facilement à cause de sa longue carrière politique, mais c’est un nouveau venu, Paul Okalik, qui gagna la course à la chefferie. Premier avocat inuk du Nunavut, Paul Okalik venait à peine de réussir ses examens du barreau.

« Notre grand défi, déclara-t-il au lendemain de son élection, sera d’unifier les trois régions du Nunavut. » Une des premiers projets de loi d’importance adopté par la nouvelle Assemblée législative fut d’abolir les structures administratives régionales élaborées sous le régime de Yellowknife. La nouvelle loi prévoyait la disparition des trois conseils de santé dès avril 2000 et la fin des commissions scolaires pour le mois de juillet suivant.

Dans son tout dernier budget d’avril dernier, le ministre des Finances Kelvin Ng prévoit économiser cinq millions de dollars en supprimant les dédoublements administratifs dans le domaine de la santé.

Le gouvernement du Nunavut a ensuite pris une décision très controversée pour uniformiser son fonctionnement : remettre toutes les pendules à l’heure d’Est en Ouest, sur un territoire qui coiffe six des dix provinces canadiennes. Dans Baffin, plusieurs se sont plaints de perdre une heure de précieuse luminosité le matin durant les longs mois d’hiver et trois communautés à ce jour ne se sont jamais alignées sur l’heure centrale de Winnipeg : Clyde River, Pangnirtung et Sanikiluaq.

Enfin il faut mentionner l’achoppement des négociations avec le gouvernement de Yellowknife sur la possibilité de l’exploitation commune de l’actuelle Société de l’énergie des TNO. Conséquemment le gouvernement du Nunavut a décidé de créer sa propre société de production d’électricité et le ministre Ng a prévu 2,6 millions de dollars à cette fin dans son dernier budget.

Le but de la création du gouvernement du Nunavut n’était pas uniquement de maintenir le niveau de services offerts par le précédent gouvernement de Yellowknife mais bien de transformer le style même de l’administration publique. On voulait créer un gouvernement beaucoup plus près des gens, users friendly, qui recruterait la majorité de ses effectifs parmi les Inuits mais qui de plus, travaillerait dans la langue de la majorité, la langue inuite, comme le prévoit l’Entente de revendication territoriale des Inuits du Nunavut signée en 1993.

La difficulté pour le ministère des Ressources humaines de recruter un nombre suffisant d’inuits qualifiés pour combler les postes qui s’ouvrent dans la fonction publique, surtout aux échelons supérieurs, où des diplômes universitaires sont exigés, crée certainement une désillusion palpable chez la majorité inuite de la population.

Iqaluit, la capitale, grossit à vue d’oeil ayant franchi depuis plusieurs mois le cap des 5000 habitants. De plus en plus de nouveaux venus en provenance du Sud viennent tenter leur chance dans les positions supérieures de l’administration publique. Et d’ici quelques mois, cette marée atteindra les premières des dix communautés retenues pour abriter les opérations des différents ministères.

En effet, le gouvernement du Nunavut, tout au cours de l’année qui vient de s’écouler a toujours soutenu la politique de décentralisation qu’avait mise de l’avant la Commission d’établissement du Nunavut dans ses deux volumineux rapports, Traces de pas dans la neige fraîche. Pangnirtung par exemple, une communauté d’à peine 1500 habitants, recevra quelques 50 emplois du gouvernement au cours de l’été prochain. Dans son présent budget, le ministre Ng a prévu les fonds nécessaires pour poursuivre cette politique de décentralisation.

Un an après sa création, la machine administrative du nouveau gouvernement territorial semble tourner normalement. Mais personne ne discerne clairement à, ce moment-ci, comment ce gouvernement répondra concrètement au grand rêve des Inuits, l’épanouissement de leur culture et de leur langue sur leur territoire ancestral.

Comble de l’ironie, le plus petit ministère du nouveau gouvernement est justement celui de la Culture, de la Langue, des Aînés et des Jeunes avec un budget de six millions de dollars par année. En avril dernier, son ministre, David Havioyak, avait remis sa démission après avoir encaissé à l’Assemblée législative une salve de critiques sur la désorganisation de son ministère.