le Vendredi 11 juillet 2025
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De la richesse d’une langue à célébrer Commentaire

De la richesse d’une langue à célébrer Commentaire
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Quel régal que d’enfin lire cette « Apologie des grands mots » de Geneviève Harvey, dans une récente édition de L’Aquilon. Traductrice émérite, championne tous azimuts de nos Dictées des Amériques, elle y plaide en faveur de l’emploi du mot juste, peu importe le nombre de ses syllabes. Éloignés des grands centres culturels de la francophonie, cernés par l’envahissante anglophonie nord-américaine, nous éprouvons trop souvent le sentiment que la langue française ne constitue qu’un pâle et folklorique succédané de LA langue des communications, du commerce, de la science : l’anglais, bien sûr. Non pas l’anglais littéraire, inventif, coloré de Shakespeare, mais une langue « d’affaires », sobre, « drabe », plate, lapidaire, stérile, épurée de tout effet de style, axée sur un message dépouillé du moindre éclat, réduit à sa plus pauvre expression. La langue « fast food » par excellence.

D’aucuns, qui ne lisent que les journaux ou le dos des boîtes de Corn Flakes, se complaisent dans l’abîme de leur ignorance et prêchent même le nivellement par le bas dans leurs communications quotidiennes. La langue française, pour eux, ne saurait se démarquer de la tendance anglo-saxonne à la simplification à outrance, voire à la trivialité.

Sujet-verbe-complément ; le moins d’adjectifs possible ; et surtout pas d’adverbe. Foin des nuances, de la précision, de la créativité, de la poésie : vivement l’esssence du message, serait-il approximatif, car le temps presse ! À cet égard l’usage abusif de l’abréviation et de l’ellipse en réseau Internet illustre éloquemment cette tendance lourde à la schématisation, révélatrice d’une dérive de notre appréhension de la communication. « T’sais veux dire, man ? »

Notre français constitue pourtant un joyau parmi les langues du monde. Fort de milliers de mots malgré un net appauvrissement depuis quelques siècles, il représente un formidable outil de communication pour qui sait le manier. Par ailleurs parfumé de canadianismes, de régionalismes, et de néologismes de bon aloi, il reflète notre histoire et notre réalité, notre identité et notre culture. Délibérément évolutive, en constante mouvance, notre langue ne véhicule pas que le message, mais porte de surcroît l’esprit de son auteur, sa culture et sa vision du monde. Car la langue est l’écrin de la pensée, il nous la faut chérir et enrichir, il nous la faut défendre et ciseler, il nous la faut célébrer au quotidien, plutôt qu’au salon le dimanche après-midi. Allant de soi pour qui entend parfaire ses connaissances et développer un esprit articulé, cette démarche devient impérative chez nous, Canadiens français, pour qui la langue représente à la fois un étendard et un bouclier.

Bonifier une phrase d’un qualificatif adéquat, user d’un adverbe pour conférer à un obscur concept une dimension familière, insérer dans un texte aride une métaphore évocatrice ou « tripative », voilà qui témoigne d’une fierté toute simple, du respect et d’un amour véritable pour sa langue, pour sa culture, pour soi.