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le Vendredi 8 mars 2002 0:00 | mis à jour le 20 mars 2025 10:35 Société

Du bannock et des dryades Situation de la femme autochtone en 2002

Du bannock et des dryades Situation de la femme autochtone en 2002
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En 1985, les femmes autochtones obtenaient une grande victoire quand le Parlement canadien déposaient le projet de loi c-31. Celles qui avaient perdu leur statut d’indienne inscrite en vertu de la Loi sur les Indiens de 1876 pouvaient retourner auprès de leur conseil de bande. Aujourd’hui, la plupart des écrits sur le sujet ne manque pas de faire le portrait des luttes juridiques. Au point d’évacuer l’essentiel, selon Emma Larocque, enseignante métisse au département des Études autochtones de l’Université du Manitoba.

« Je suis lasse de constater que la lutte des droits ne met l’emphase que sur les aspects légaux. Le sexisme, le racisme, la violence, tels sont les véritables points de notre lutte. »

Le discours de l’enseignante spécialisée en histoire des Autochtones jure par rapport au courant dominant. Les associations de femmes autochtones abordent le féminisme d’un point de vue plus juridique. « La Loi sur les Indiens a eu un impact dévastateur sur nos cultures, nos nations », martèle Michèle Audette, innue et ex-présidente par intérim de l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC).

Cette loi a toujours des répercussions sur la vie de tous les jours des femmes autochtones. Alors marquées du sceau de l’église catholique romaine, les nations autochtones ont vu l’implantation de la Loi sur les Indiens en 1876, une Loi « qui a donné au gouvernement fédéral des pouvoirs absolu sur la vie des Autochtones du Canada », tel que stipulé dans un rapport indépendant publié en 2001 par le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada. La femme autochtone, sous l’autorité de cette Loi, a perdu son statut d’indienne inscrite dès le mariage avec un non-Autochtone. Elle a été placée sous la tutelle d’un pouvoir devenu entièrement masculin.

Le projet de loi c-31 de 1985 a redonné aux femmes autochtones, plus de cent ans plus tard, le droit de conserver leur statut. Un processus long et ardu. « Les hommes ne voulaient pas le retour des femmes, raconte Michèle Audette. Les communautés avaient subi un lavage du cerveau. » Le retour dans les communautés ne s’est pas fait sans conflits. Selon l’ex-présidente de l’AFAC, près de neuf femmes sur dix attendent toujours de pouvoir revenir sur leurs terres ancestrales. Le boom démographique qui s’est fait sentir dès le dépôt du projet de loi s’est heurté au manque de logements dans les communautés.

Emma Larocque, sans diminuer l’importance des impacts de la Loi sur les Indiens, affirme que son statut d’autochtone est plus important que son statut juridique. « Il faut élargir notre vision. Les médias et les gouvernements ne voient que la page couverture. Il faudrait aller plus loin. » Selon elle, le sujet de la violence faite par les hommes sur les femmes est trop souvent évacué. « Je suis horrifiée par les conditions perpétuelles de pauvreté et de sous-éducation. »

Les femmes dénées n’échappent pas au discours dominant selon Lisa Charlo-Pieper, présidente de l’Association des femmes autochtones des T.N.-O. Elle reconnaît que la Loi sur les Indiens a causé beaucoup de tort, mais sa position est moins politisée que celle de ses consoeurs. Le statut légal prend des formes plus concrètes. « Nous avons besoin d’être des Indiennes inscrites pour pouvoir participer au processus de revendications. »

Lisa Charlo-Pieper laisse sous-entendre, à travers son point de vue plus traditionnel, que les femmes dénées ne peuvent pas soutenir le féminisme. « C’est contraire au point de vue autochtone. Les aînés nous rappellent de toujours travailler avec l’autre sexe dans l’unité, le respect et la coopération. » Une position qui rappelle la présence encore accrue de la religion au sein des communautés, laquelle exerce une pression sur les rôles traditionnels.

Le concept de l’égalité entre les sexes, nouveau joueur dans la société canadienne, n’est pourtant pas absent du discours de la présidente. « Les hommes doivent accepter que les femmes peuvent occuper des fonctions de leader », explique Lisa Charlo-Pieper, qui admet faire face à la résistance et au rejet de la part des hommes dénés. Avant la Loi sur les Indiens, le pouvoir au sein de la Nation dénée était, sauf exception, entièrement masculin. « Nous respectons la tradition, mais je crois que nous pouvons l’appliquer dans l’égalité et l’équité. »

« Nous faisons face à un futur qui n’est pas vraiment reluisant. » Les mots crus d’Emma Larocque sont puisés dans la comparaison entre la situation de la femme canadienne et la femme autochtone. « Nous avons les mêmes droits sur papier, mais ces droits ne se traduisent pas en égalité pour nous. » Selon l’enseignante, les femmes autochtones ont vingt années de lutte à rattraper pour atteindre le niveau des femmes canadiennes. Selon Michèle Audette, plus de 20 années de retard séparent les deux groupes.

Les solutions passent par la collaboration, selon Emma Larocque. « Les problèmes que nous avons touchent toutes les femmes. Nous pourrions collaborer ensemble. » Michèle Audette mentionne que les besoins et les revendications sont différents. « Mais nous sommes très solidaires, surtout dans le dossier de la pauvreté. » La présidente de la section des T.N.-O. de l’AFAC, de son côté, mise sur l’éducation pour redresser la situation. « C’est la ligne de fond pour éduquer les femmes sur leurs droits. »