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le Vendredi 22 mars 2002 0:00 | mis à jour le 20 mars 2025 10:35 Politique

Le cauchemar des caïds

Le cauchemar des caïds
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Le crime organisé est bien présent dans le Nord, selon Daniel Nowlan qui était jusqu’à récemment responsable de la section des stupéfiants du détachement de Yellowknife de la Gendarmerie royale du Canada. C’est d’ailleurs lui qui a conduit l’Opération Guiness, en 2000, laquelle a permis de coffrer 64 personnes de Yellowknife, de l’Alberta et de l’Ontario, en plus de saisir plusieurs centaines de milliers de dollars en argent et en biens.

« L’Opération Guiness a frappé assez dur que le prix de la cocaïne en ville a monté jusqu’à 225 dollars le gramme. C’est sûr qu’on les a mis à genoux », de signaler M. Nowlan.

C’est en 1995 que Daniel Nowlan s’est amené dans le Nord, plus précisément à Iqaluit. Il y a mis sur pied la section des stupéfiants avant de mener une opération conjointe avec les forces policières du Québec afin de démanteler un réseau de trafiquants bien implanté sur l’île de Baffin. « Le crime organisé était bien implanté sur l’île. Il a fallu avoir recours à l’écoute électronique et à l’infiltration avec un agent double », se rappelle Daniel Nowlan.

L’enquête qui a nécessité un an et demi a entraîné 29 arrestations, dont l’arrestation d’un membre en règle des Hell’s Angels. La valeur des biens saisis a été évaluée à 1,2 million de dollars. La renommée de Daniel Nowlan s’est donc propagée dans tout le Nord.

« En 1998, on m’a demandé de venir à Yellowknife pour voir ce que l’on pouvait faire », d’expliquer celui qui a mis les pieds dans la capitale en août 1998. Les données n’étaient alors plus les mêmes au chapitre du crime organisé, on ne parlait dorénavant plus de Hell’s Angels. « Ici, ce sont des gangs asiatiques ayant des affiliations à Edmonton, Calgary et Vancouver », de déclarer le policier qui doit donc entretenir des relations avec les détachements de ces endroits. En plus de l’opération Guiness, Daniel Nowlan a mené deux opérations à terme depuis son arrivée.

« Mon travail, c’est de parler aux gens et d’obtenir des tuyaux. Ensuite, il y a des façons de vérifier la véracité des sources ». À Yellowknife aussi, l’écoute électronique, les mandats de perquisition, la surveillance et les filatures font partie des outils de prédilection du policier. Dans le cadre de l’Opération Guiness, par exemple, on a eu recours à un délateur.

Le policier explique que deux organisations contrôlent le marché de la vente de cocaïne à Yellowknife. Les délateurs ou les agents doubles ont aussi réussi à acheter des armes à feu de l’une des organisations. « Ce sont des jeunes qui travaillent très fort. On ne peut pas dire qu’ils sont paresseux », d’expliquer M. Nowlan qui signale qui la grande majorité des criminels ne viennent passer que quelques mois dans le Nord pour se remplir les poches avant de retourner dans le Sud. « On peut revoir le jeune réapparaître six mois plus tard », dit-il.

Daniel Nowlan n’a cependant pas vu de signes de rivalité entre les deux gangs qui font du commerce de drogues à Yellowknife, ni d’indication l’incitant à penser qu’elles auraient un œil vers les diamants. « Mais il y a de l’argent à faire là-dedans, donc ça pourrait arriver », lance-t-il, tout en confirmant qu’un membre de la GRC est déjà en charge de surveiller les crimes reliés à l’industrie du diamant.

Dernièrement, le gouverne-ment fédéral a adopté la Loi anti-gang, résultat de la guerre de motards qui sévit depuis plusieurs années au Québec. « Je n’ai jamais eu l’opportunité de travailler avec la Loi, mais ici, ils ne sont pas organisés jusqu’à ce point. Par cette Loi, il faut que tu démontres que des personnes font équipe pour vivre du crime. Ici, c’est à une beaucoup plus petite échelle qu’au Québec », de faire savoir Daniel Nowlan qui qualifie les membres des groupes actifs à Yellowknife de « petits punks ».

Le policier qui est retourné au Nouveau-Brunswick depuis quelques jours a dû faire attention à sa sécurité pendant son séjour à Yellowknife, c’est pourquoi il n’y a aucune photographie accompagnant cet article. « Je ne voudrais pas retrouver ma photo affichée dans un club house! », lance-t-il.

M. Nowlan a aussi eu à composer avec la réalité des plus petites villes. « Nous avons rarement été brûlés. Dans une petite place comme Iqaluit, pendant l’opération que nous y avons menée, nous avons fait monter huit policiers et mis 18 résidences sous écoute sans éveiller de soupçons. Si tu as les connaissances et l’expérience pour le faire, il est aussi possible d’agir dans les petites villes », fait-il savoir.

Malgré toutes les opérations et les arrestations qu’il a effectuées, Daniel Nowlan sait bien que la drogue continue de circuler à Yellowknife. « La drogue, c’est un fléau que l’on arrêtera pas, mais il faut que l’on s’en occupe. Il faut enquêter et ne pas les lâcher. Ça décourage des criminels et les conséquences reviennent à nos jeunes. En minimisant la quantité disponible, ça va aider», lance-t-il. Ce dernier voit aussi un argument économique à sa lutte : «Les deux organisations font chacune 150 000 dollars par mois. Cet argent se retrouve toujours dans le Sud».

Le collègue de Daniel Nowlan, Mike Beaudoin, n’a aucun doute sur les capacités du Néo-Brunswickois. « Nous avons été chanceux de l’avoir. Je n’ai jamais eu l’occasion de voir quelqu’un travailler avec autant d’acharnement et de dynamisme. Ce n’est pas fait pour tout le monde de travailler dans les stupéfiants, mais lui, c’est dans sa nature, il a la vocation », lance-t-il d’un trait.

Pour M. Beaudoin, le départ de Daniel Nowlan est une lourde perte. « Il n’y a personne d’irremplaçable, mais en plus d’être un bon policier, Daniel était impliqué dans la communauté. Sa femme et son fils se sont aussi bien intégrés. C’est quelqu’un qui fait vraiment honneur aux francophones» de conclure le membre de l’unité des crimes majeurs du détachement de Yellowknife.