Le 16 mai 2025, après plusieurs semaines sur la calotte glaciaire Müller, à plus d’une centaine de kilomètres à l’ouest de la station météorologique Eureka, l’équipe d’une quinzaine de personnes a réussi, pour la toute première fois, à atteindre le socle rocheux sous la glace. Cette carotte de glace, la plus profonde jamais forée sur le continent américain, devrait dévoiler des données précieuses et permettre à l’équipe des chercheurs de découvrir des informations inédites sur le climat arctique et la variabilité des océans il y a 10 000 ans.
Il s’agissait d’un projet très ambitieux, à la fois pour le forage de la carotte de glace, mais aussi pour la logistique nécessaire (à l’acheminement du matériel) sur la calotte glaciaire et le rapatriement. Ce fut très difficile, et il a fallu de nombreuses années pour planifier une telle expédition.

Une carotte de glace extraite à 613 mètres de profondeur est la plus profonde jamais forée sur le continent américain.
« Il s’agissait d’un projet très ambitieux, à la fois pour le forage de la carotte de glace, mais aussi pour la logistique nécessaire (à l’acheminement du matériel) sur la calotte glaciaire et le rapatriement. Ce fut très difficile, et il a fallu de nombreuses années pour planifier une telle expédition », explique Dorthe Dahl-Jensen, professeur à l’Université du Manitoba et cheffe de l’expédition qui s’est dite soulagée, heureuse et enthousiaste à l’issue du projet.
Dès 2023, Dorthe Dahl-Jensen accompagnée d’une petite équipe survolait la calotte glaciaire Müller pour sonder le terrain, à la recherche de l’endroit idéal à forer dans le futur. Les conditions météorologiques, difficiles cette année-là, ont quand même permis à la scientifique de déterminer l’emplacement actuel du forage glaciaire.
« Pendant les trois semaines que nous avons passées là-bas avec notre radar pour cartographier les profondeurs de la glace, car nous devions savoir quel était le meilleur endroit pour forer, nous avons eu un temps épouvantable, et il était difficile de trouver un moment où l’avion pouvait voler », se remémore la chercheuse.
Cette année, les conditions météorologiques idéales ont permis aux scientifiques de collecter toutes les données nécessaires à leurs recherches. Selon Dorthe Dahl-Jensen, la chance était de leur côté. « Il semble que tout se soit passé exactement comme prévu. C’est donc un grand soulagement et nous avons vraiment eu de la chance. »
Une collaboration internationale
Pour Alison Criscitiello, directrice du Laboratoire d’étude des noyaux de glace du Canada (Canadian Ice Core Lab – CICL), professeure adjointe à l’Université de l’Alberta et coresponsable du projet, c’est véritablement une expédition historique qui vient de se dérouler.
Selon Mme Criscitiello, sans la détermination de Dorthe Dahl-Jensen qui est aussi professeur à l’Université de Copenhague au Danemark, il aurait été impossible de faire progresser la science arctique canadienne de cette façon. Ainsi, sans une collaboration internationale de cette envergure, le projet n’aurait pas pu être couronné de succès.
Jamais auparavant, une personne venant de l’étranger n’avait obtenu une chaire d’excellence en recherche du Canada et choisi de se consacrer ainsi à la recherche dans le Nord canadien. « Dorthe Dahl-Jensen est une femme remarquable selon la chercheuse, sa volonté de mettre au service de la science canadienne une technologie danoise et un savoir permettant de forer profondément dans une calotte glaciaire a fait toute la différence », explique-t-elle, ajoutant que le Canada n’aurait pas pu y parvenir seul.
Des segments de carottes de glace ont d’ores et déjà été transportés au CICL à Edmonton, où leur analyse débutera dès l’automne 2025.

Dirigé par les universités du Manitoba et de l’Alberta, le projet a rassemblé des glaciologues et des chercheurs en climatologie du Canada, mais aussi du Danemark et de l’Australie.
Un site de forage méticuleusement choisi
La calotte glaciaire Müller se trouve à une cinquantaine de kilomètres à vol d’oiseaux de l’océan Arctique, à une altitude d’environ 1800 mètres. Ce site montagneux cumule les conditions idéales d’après Dorthe Dahl-Jensen.
« Nous avons choisi ce site à la fois parce qu’il est proche de l’océan Arctique et parce qu’il est très élevé. Cela le protège donc de la période de climat chaud de notre époque. »
L’attrait principal de ce site est sa relative protection des effets du réchauffement. En effet, lorsqu’il fait chaud en été, la neige fond à la surface et s’infiltre dans le manteau neigeux pour former une couche de glace qui gèle sous la surface et qui est facilement observable à l’œil nu dans la carotte de glace. L’intérêt étant d’extraire une carotte dont la glace présente les qualités requises et les informations recherchées par l’équipe de scientifiques. Alison Criscitiello rappelle que l’emplacement de la carotte de glace est capital pour la compréhension du climat. En effet, contrairement aux carottes prélevées dans le passé, à la limite orientale de l’archipel arctique canadien, le long de la baie de Baffin, cette nouvelle carotte est particulièrement bien placée pour révéler les changements à long terme de la glace de mer de l’océan Arctique, un indicateur essentiel de la santé du climat de la planète.
« En raison de l’emplacement de cette calotte glaciaire (Müller) sur la bordure occidentale de l’archipel arctique canadien, nous nous attendons à ce que (la carotte qui en a été extraite) contienne un très long enregistrement de la variabilité de l’océan arctique, ce qui n’est pas le cas des autres calottes glaciaires insulaires », explique-t-elle.

Dorthe Dahl-Jensen, professeur à l’université du Manitoba et cheffe de l’expédition, inspecte une carotte de glace extraite de la calotte glaciaire Müller au Nunavut.
Connaitre le climat passé pour anticiper le futur
Les analyses de la glace permettront d’approfondir les connaissances sur le climat passé et l’étendue de la banquise tout en améliorant les projections des changements futurs, au bénéfice des communautés inuites du Nunavut et du nord du Canada.
Mais les objectifs de cette expédition ne s’arrêtent pas là. En effet, en plus de documenter le climat du passé, le projet s’attaque également à des problèmes environnementaux plus récents. Outre la carotte profonde, Mme Criscitiello et son équipe ont prélevé trois carottes de glace à 70 mètres de profondeur. Ces carottes permettront d’étudier en détail la pollution et le transport des contaminants dans la région Arctique au cours des deux derniers siècles.
Les micros et nanoplastiques ainsi que plusieurs contaminants comme les pesticides et les produits de décomposition comme les téflons et les matériaux Gore-Tex seront recherchés dans ces échantillons de glace moins profonde.
« il y a un nombre énorme de choses que nous voulons mesurer, et c’est pourquoi nous avons dû forer beaucoup de glace pour obtenir suffisamment d’échantillons pour examiner toutes ces choses », explique-t-elle lors d’une entrevue le jour de son départ de la base d’Eureka, le 29 mai 2025.
Une fois analysées, ces archives climatiques précieuses permettront de mieux comprendre les bouleversements passés de notre planète afin d’anticiper ceux à venir, pour la sécurité et la résilience des collectivités du Nord canadien.
Articles de l’Arctique est une collaboration des cinq médias francophones des trois territoires canadiens : les journaux L’Aquilon, L’Aurore boréale et Le Nunavoix, ainsi que les radios CFRT et Radio Taïga.