Le 7 juin dernier, Vince McKay, ministre de l’Infrastructure, des Affaires municipales et communautaires, et responsable de plusieurs organismes gouvernementaux, a publié un message sur sa page Facebook personnelle. La publication a suscité un vif malaise au sein de la communauté francophone.
En partageant un article de Cabin Radio portant sur l’action judiciaire intentée par des parents francophones de Fort Smith, le ministre a écrit : « Nous n’atteindrons jamais la réconciliation de cette façon. Une communauté autochtone importante. Si seulement nos Autochtones avaient autant de pouvoir et si ces fonds pouvaient être utilisés pour l’éducation plutôt que pour la langue au détriment de l’éducation. » L’article partagé par le ministre évoquait un recours judiciaire intenté par des parents francophones qui réclament la mise en place d’un programme scolaire en français à Fort Smith, en vertu de l’article 23 de la Charte.
Parmi les internautes ayant commenté la publication, on retrouvait une autre ministre du GTNO : Lucy Kuptana. « Et nous avons déjà du mal à simplement maintenir notre système d’éducation de base, surtout dans les petites communautés éloignées », a écrit celle qui est ministre responsable d’Habitation Territoires du Nord-Ouest. Le post a suscité de nombreuses réactions, dont certaines ont véhiculé des propos particulièrement durs, voire hostiles envers les francophones.
FFT réagit : « Un climat nuisible au dialogue »
Face à la situation, la Fédération franco-ténoise (FFT) a exprimé son profond malaise dans une lettre adressée au premier ministre des TNO, R.J. Simpson, appelant à un apaisement du débat.
Dans cette lettre datée du 19 juin, la FFT condamne les propos tenus par les ministres Vince McKay et Lucy Kuptana, qu’elle qualifie d’« inappropriés ». Elle déplore un climat délétère pour le dialogue : « Les propos tenus démontrent non seulement une méconnaissance de nos réalités en tant que minorité linguistique, mais contribuent également à instaurer un climat nuisible au dialogue en propageant l’idée que les intérêts des francophones vont à l’encontre de ceux des autres minorités linguistiques et de la majorité. »
La FFT insiste sur le fait que les besoins des différentes communautés linguistiques minoritaires des TNO « ne sont pas divergents, bien au contraire ». Elle rappelle que le territoire compte 11 langues officielles, dont le français, ce qui implique « des responsabilités aussi bien envers les communautés francophones que celles autochtones ». En ce sens, la Fédération plaide pour un dialogue respectueux et constructif, plutôt qu’une opposition entre les revendications. Elle demande également une « intervention publique mesurée » de la part du gouvernement afin d’éviter une polarisation accrue du débat.
Médias ténois a contacté le premier ministre des TNO, R.J. Simpson, afin de recueillir ses commentaires à la suite de la lettre envoyée par la Fédération franco-ténoise. Au moment de publier ces lignes, nous n’avions pas encore reçu de réponse.
Vince, mais pas ministre
Contacté par Médias ténois, Vince McKay a accepté de clarifier ses propos, précisant d’emblée qu’il s’exprimait à titre personnel : « Juste pour que ce soit clair, je vous parle depuis mon téléphone personnel et je veux que vous m’appeliez juste Vince. »
Interrogé sur sa déclaration selon laquelle « on n’y arrivera jamais » en matière de réconciliation, il précise qu’il ne cherchait pas à remettre en cause les droits linguistiques des francophones. « Je ne pense pas que ça mine la réconciliation. Je pense que c’est un exemple parmi d’autres de la manière dont on n’y arrivera jamais. »
Pour lui, la création d’un programme scolaire en français dans une communauté comme Fort Smith, majoritairement autochtone, illustre un déséquilibre : « C’est une communauté qui mériterait davantage ou qui obtiendrait plus avec un programme en langue autochtone, comme le cri et un apprentissage de la culture autochtone à travers l’éducation. »
La Charte remise en question
Il reconnait cependant que les parents francophones invoquent un droit protégé par la Charte canadienne des droits et libertés, en particulier son article 23. Mais il remet en question l’esprit de ce texte : « On parle d’une Charte qui a été élaborée avant les recommandations de la Commission vérité et réconciliation et avant l’adoption de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Cette Charte a été écrite à une époque où la colonisation était très présente, sans tenir compte des droits des Autochtones. »
Lorsqu’on lui demande s’il est juste de présenter un droit juridique comme une menace envers les aspirations d’une autre communauté, Vince McKay répond : « Dire que c’est un droit légal, c’est juste. Mais est-ce encore un droit légal adapté à notre époque ? Je ne pense pas que ce serait juste de le dire, surtout dans une communauté majoritairement autochtone. »
« Je ne suis pas contre le français »
Vince McKay précise que son identité personnelle est elle-même marquée par la rencontre des cultures : « Mes ancêtres sont des Cris michifs », dit-il, en référence à cette langue issue d’un métissage entre le français et le cri des Plaines. « Mon héritage est donc un mélange des deux. » Il rappelle que ses propres enfants ont étudié à l’école francophone Boréale à Hay River, ce qui, selon lui, témoigne de son ouverture : « Je ne suis pas contre la langue française. Je ne suis contre aucune langue. Je suis pro-langues », insiste-t-il.
Toutefois, il estime que, dans un territoire où les langues autochtones sont fortement représentées, il est essentiel de « donner la priorité à l’apprentissage des langues autochtones par les peuples autochtones ».
Un droit légal pour les langues autochtones ?
Interrogé sur la recommandation formulée en 2023 par le Comité permanent des opérations gouvernementales, qui proposait de reconnaitre un droit légal à l’éducation dans les langues autochtones – à l’image de ce que garantit l’article 23 de la Charte pour les francophones – Vince McKay se montre prudent.
Il affirme que la revitalisation des langues autochtones est essentielle, mais hésite à l’inscrire dans un cadre juridique contraignant : « Je pense qu’il est important que chacun puisse apprendre sa langue. Ces langues ont été perdues et il faut les retrouver. Est-ce que c’est un droit légal ? Je ne sais pas si je pourrais vraiment dire ça. »
Selon lui, la diversité linguistique du territoire pose un défi de mise en œuvre : « Il y a tellement de langues, même ici aux Territoires du Nord-Ouest. On parle de 14 dialectes différents. Est-ce que reconnaitre ce droit légal signifierait qu’on doive créer 14 programmes scolaires différents ? Je ne sais pas si ce serait possible. »
Il conclut en insistant sur la responsabilité individuelle : « C’est à nous de trouver comment le faire. Mon héritage a perdu sa langue pour différentes raisons, mais je pense qu’il y a encore une chance pour moi de la retrouver. »
Quand l’anglais avance masqué
Dans les jours qui ont suivi la publication du post de Vince McKay, plusieurs commentaires en ligne ont exprimé un ressentiment à l’égard des droits des francophones, perçus comme un frein aux aspirations autochtones.
C’est précisément pour interroger cette perception que Médias ténois a sollicité l’éclairage de Maxime St-Hilaire, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke et spécialiste du droit constitutionnel et de la philosophie du droit. Sans commenter le cas particulier du post de Vince McKay, il s’intéresse depuis plusieurs années aux tensions idéologiques qui présentent, à tort selon lui, les droits des francophones comme incompatibles avec la reconnaissance des langues autochtones.
Il juge profondément problématique la tendance de certains discours à opposer la reconnaissance des langues autochtones aux droits des francophones. « Nous vivons dans une culture victimaire où les minorités sont en lutte entre elles pour obtenir des privilèges moraux plutôt que de se soutenir mutuellement », affirme-t-il. Selon lui, ce phénomène s’intensifie au Canada en raison d’un ressentiment historique : « Comme les francophones ont longtemps reçu davantage d’attention que les Autochtones, cela a créé un certain ressentiment. Il est tentant de voir dans les francophones des fausses victimes de l’histoire, puisque “blanches”, afin de pouvoir tenir seul ou avec certains autres groupes (dont les Noirs, par exemple) le rôle de la victime historique. »
L’anglais, vraiment langue “neutre” ?
Selon lui, cette inversion des rôles profite à la langue dominante : « L’anglais, langue impérialiste par excellence et hégémonique à l’échelle mondiale, a réussi à se faire passer pour “neutre”, et à ainsi faire porter par le français tout le poids symbolique de l’héritage colonialiste. C’est quand même remarquable. »
Il rappelle que cette perception néglige le fait que « les Français ont reconnu les droits des peuples autochtones et signé des traités de paix et d’amitié avec eux bien avant les Britanniques ».
M. St-Hilaire souligne aussi que l’histoire constitutionnelle a permis à Ottawa de se poser en protecteur des Autochtones contre les provinces, renforçant une opposition artificielle avec les francophones : « En 1867, c’est le pouvoir fédéral qui a hérité de la compétence sur les Autochtones que les colonies avaient décrochée de Londres vers 1860. Ce pouvoir a pu se poser en “protecteur” des Autochtones contre les provinces, comme si celles-ci représentaient la seule menace à leurs droits. »
Certains acteurs, souvent anglophones, présentent les francophones comme un obstacle à la reconnaissance des langues autochtones. Interrogé sur les conséquences de ce discours, Maxime St-Hilaire répond sans détours : « Elles sont funestes. »
Il explique que « les langues autochtones, dont certaines se sont perdues, sont trop nombreuses pour devenir des langues officielles autrement que sur une base communautaire (très circonscrite) », et que dans ce contexte, « la question autochtone est devenue une aubaine pour ceux qui cherchent à accélérer la marche du Canada vers l’unilinguisme national. »
Selon lui, cette situation est exploitée par certains courants dominants : « C’est ainsi que la “décolonisation” a su être mobilisée par un impérialisme culturel mondial d’expression anglaise. »