Un groupe de jeunes cinéastes sort de l’ombre et démontre que même la décharge publique est un bon lieu de tournage.
Un suspense filmé sur la Ingraham Trail, un documentaire animalier dépeignant la faune boréale ou un court métrage expérimental sur une épopée en canot sont autant de projets de films qui pourraient naître aux T.N.-O. dans les prochaines années. Derrière la lentille se tient l’instigateur d’un nouveau mouvement, Paul Gordon, un jeune cinéaste torontois qui habite la capitale depuis quatre ans. Le petit local d’une dizaine de mètres carrés loué au centre-ville de Yellowknife, qui loge l’équipement de la coopérative Western Arctic Movie Picture (WAMP), accueille près d’une cinquantaine de membres amateurs depuis un an, dont un dixième de francophones. Le boom a surpris tout le monde. Le 24 octobre dernier, lors de la première projection publique des projets de WAMP, une faune inattendue a applaudi les efforts délurés de ce petit groupe de cinéastes.
« Je crois que c’est vraiment la naissance d’un mouvement. Il y a beaucoup de jeunes en ville qui ont commencé à faire du travail de bonne qualité », raconte Paul, qui garde le fort à temps partiel.
Il est trop tôt par contre pour parler de la naissance d’un style propre aux T.N.-O. Bien que largement filmé, la neige, les paysages et la culture nordiques ne forment pas, jusqu’à maintenant, le portrait d’un cinéma typiquement nordique, selon Charles Laird, un cinéaste qui produit ses propres projets sous l’égide de sa compagnie, Big Fish Productions. « Je ne sais pas si tout cela crée un style particulier. Nous avons besoin de plus d’histoire derrière nous afin de voir si Yellow-knife produit un style spécifique. »
Les projets de WAMP sortent, par contre, des sentiers battus. La jeunesse ténoise, à la satisfaction manifeste du public lors de la projection, a largement démontré son talent. Tous les styles ont défilé sur l’écran, autant la satire que l’humour. « La plupart des cinéastes établis en ville vieillissent et font surtout du documentaire ou des films commerciaux ou industriels », évoque le chargé de projet, qui mentionne que les jeunes ne font pas d’argent avec leur travail, mais qu’éventuellement, l’industrie filmique indépendante des T.N.-O. deviendra plus solide.
L’expressivité nouvelle de jeunes créateurs n’est pas sans liens avec WAMP, qui offre l’essentiel au cinéaste en herbe : équipement et savoir-faire. « Il y a toujours eu des gens créatifs en ville, mais ils n’avaient pas la possibilité de mettre la main sur de l’équipement ou un support professionnel, laisse entendre Paul Gordon. Je crois que WAMP aide beaucoup ces gens à s’initier, à utiliser une caméra, ce qu’ils n’auraient pas fait avant, et à faire du montage vidéo. »
Le rêve idéal, pour la coopérative, serait la production d’un film de grande envergure. Un groupe de bénévoles passionnés pourrait mener à terme un tel projet, contrairement aux cinéastes professionnels des T.N.-O. qui doivent recourir aux services de professionnels pour compléter leur équipe. « Ça serait quelque chose de très excitant », révèle Charles Laird. Paul Gordon, de son côté, ne croit pas qu’une super-production hollywoodienne pourrait naître des glaces du Grand Nord, car l’équipement de ce calibre fait défaut. « Mais nous pouvons définitivement produire des films ici. Nous avons un visuel incroyable, un environnement idéal pour un tournage, des personnalités spéciales et des tonnes d’histoires! »
La demande pour des courts métrages issus du Nord est, selon les dires de Paul Gordon, très forte. « Le Sud veut vraiment voir ce qui se passe ici. C’est tellement différent! Alors qu’au Sud, même si les villes ne se ressemblent pas, les projets sont sensiblement les mêmes. » Jusqu’à maintenant, le réseau CBC et son programme de télévision ZeD ont déjà recruté quelques membres de WAMP, qui verront leurs projets diffusés en soirée à travers le pays.
Pour que le cinéma d’ici soit reconnu, il faudrait, selon Paul, que le gouvernement investisse davantage dans cette industrie qui peut rapporter des millions. « Tout ce que le GTNO a fait est la création d’un livret sur les gens qui œuvrent dans l’industrie aux T.N.-O. Au lieu de miser sur la venue de cinéastes du Sud, le gouvernement devrait miser sur les gens d’ici, qui sont compétents et qui peuvent faire du travail de qualité. »
Les membres de WAMP espèrent, au cours de la prochaine année, se rendre en région. « L’industrie du film canadien est en pleine croissance, mais il n’y a que des films sur les villes, déplore Paul Gordon. La vie sauvage est au cœur du Canada. Il faut montrer le territoire, la vie sauvage et les cultures. »