
« Reprenons la nuit » est un slogan mondial et cri de ralliement d’une marche qui affirme le droit de toutes et tous à circuler en sécurité.
À Yellowknife, le 18 septembre, une centaine de personnes se sont réunies au parc Somba K’e pour participer à la marche Take back the night (Reprenons la nuit). Présente dans de nombreuses villes à travers le monde, cette mobilisation dénonce haut et fort les violences sexuelles et sexistes. Dans le Nord, l’urgence est criante : selon Statistique Canada, les femmes y courent un risque neuf fois plus élevé d’être victimes de violence sexuelle que la moyenne nationale.
Portés par le rythme du tambour et les premiers témoignages, les participant.e.s se sont ensuite élancé.e.s dans le centre-ville. Pancartes à la main, la cohorte a scandé « No more violence » (« Plus de violence »), « Women united will never be defeated » (« Unies, les femmes ne seront jamais vaincues ») ou encore « No means no » (« Non, c’est non »). Dans la foule, on reconnaissait le maire Ben Hendrickson et le député de Range Lake, Kieron Testart. Aucun autre député n’a participé à la marche, y compris parmi celles et ceux souvent associés aux idéaux progressistes.
Rompre le silence
Membre du conseil d’administration de la Yellowknife Women’s society, Jennifer Franki-Smith a pris la parole avec courage. « Je me tiens ici comme femme autochtone, comme mère de deux filles et comme survivante de violence conjugale. » Sa voix tremblait, mais son message était limpide : la honte doit cesser, le silence doit être brisé. Elle a raconté comment, après des années de retours incessants auprès de son agresseur, c’est un policier qui lui a dit en face : « Il va te tuer. » C’est ce regard, confie-t-elle, qui lui a donné la force de partir.
La peur dès l’enfance
Rami Kaur, de la YWCA NWT (Young women’s christian association Northwest Territories), a, elle aussi, pris le micro. Elle a parlé d’un tout autre lieu, mais d’une peur universelle : enfant, dans un village d’Inde, ses grands-parents lui interdisaient de sortir après la tombée de la nuit. Installée au Canada, la crainte ne l’a pas quittée : « En rentrant tard de mon travail, je serrais le téléphone dans ma main, prête à composer le 911. » Cette peur, dit-elle, reste d’actualité pour de nombreuses jeunes femmes à Yellowknife. Elle a ajouté une réflexion rarement entendue dans ce type d’évènement : « Le racisme façonne aussi la manière dont la société écoute, ou pas, les femmes. Trop souvent, la douleur des femmes autochtones, noires ou racisées est minimisée. »
Nous avons besoin de nos hommes. Pas pour les accuser, mais pour qu’ils deviennent des modèles.

Une pancarte qui dénonce les stéréotypes et exige un changement de culture : « Enseigner le respect, pas la culpabilité des victimes »
La violence marque à vie
Ancienne présidente de Pauktuutit Inuit women of Canada, Gerri Sharpe a livré un témoignage qui a glacé l’assistance. Elle a raconté les coups reçus de son père, « des bleus imprimés sur le visage, des tympans percés », et les nuits passées à ne pas bouger pour éviter que le lit grince. Quarante ans après, dit-elle, ces souvenirs ressurgissent dès qu’elle entend des cris. Mais Gerri Sharpe n’a pas seulement parlé de sa souffrance, elle a lancé un appel : « Nous avons besoin de nos hommes. Pas pour les accuser, mais pour qu’ils deviennent des modèles. La violence doit cesser, et les hommes doivent être partie prenante du changement. »
Une lutte communautaire
Enfin, la cheffe de Behchokǫ̀, Rabesca Zoe, a replacé la discussion dans un cadre plus large : logement, drogues, violence latérale. Elle a évoqué des familles entassées dans des maisons infestées de punaises, des jeunes femmes brisées par la consommation. « Dans ma communauté, nous avons plus de cent personnes sur liste d’attente pour un logement d’une chambre. » Face à cette réalité, elle s’est engagée à agir : « Je ne me tairai pas. Il n’y a pas d’avenir si nous n’arrêtons pas ça maintenant. »