le Jeudi 27 novembre 2025
le Vendredi 10 janvier 2003 0:00 Culture

Les classiques se perdent!

Les classiques se perdent!
00:00 00:00

Avez-vous remarqué ça, vous autres, que nos classiques se perdaient. Quand je parle de classiques, j’inclus tout autant les classiques de la langue française, que les classiques de la musique. L’ignorance des classiques est tout doucement en train de s’installer à un point tel que c’est dramatique. De quoi parle-t-elle? Je m’explique.

Je viens d’une génération où bien des choses s’apprenaient à l’école. La maison ne faisait que compléter une instruction générale et classique dont les bases provenaient de l’école. On a appris à l’école les rudiments d’une culture qui est devenue plus poussée par les lectures, les auditions de musique classique, la fréquentation des salles de concert, de théâtre. Tout doucement, une connaissance plus ou moins approfondie, selon les personnes, s’est installée pour combler les aspirations de tout un chacun.

Parlons-en des classiques de notre langue française. Qui ne connaît pas Jean de la Fontaine? Tout le monde le connaît, me direz-vous! Pas si vite! Je suis convaincue que bien des petites francophones ne savent absolument pas qui est la Fontaine. Est-ce bien nécessaire de connaître ce fabuliste ayant vécu à une époque autre? Nécessaire, non ce ne l’est pas. Par contre, n’est-ce pas agréable de réciter une de ses fables si bien tournées et ficelées? Et je ne parle pas que de La cigale et la fourmi. Il en a écrit bien d’autres, et je ne suis pas certaines que bon nombre de personnes ne pourraient pas vous nommer d’autres fables que cette dernière. Et peut-être, en forçant, du Le renard et le corbeau. Les plus malins vont peut-être réussir à vous réciter quelques vers de ces deux fables les plus connues, mais je ne suis pas certaines si bien des enfants du secondaire en savent un peu plus. Et vous la connaissez celle du Le savetier et le financier? Bien intéressante pourtant, comme morale.

Parlons maintenant de Molière. Qui peut se vanter d’avoir lu une pièce de théâtre de Molière? À part quelques personnes bien rares, ici à Yellow-knife, qui ont joué dans une pièce et qui ont dû l’apprendre, je ne crois pas que le nombre soit bien grand. Qui a appris à l’école quelques strophes d’un Malade imaginaire ou d’un Misanthrope bien campés? Qui peut déchiffrer ce qui se cache derrière un « Veuillez contenter l’envie qu’a ce fauteuil de vous embrasser » pour dire « Asseyez-vous »? Quelle beauté de langage! Quelle richesse de vocabulaire! Quelles tournures et d’esprit et de langue! Je ne suis pas certaine que ces classiques touchent bien des gens et que la langue de Molière mérite toujours son nom, quand elle se fait écorcher vive par une grammaire manquante et un vocabulaire se résumant à quelques mots bien pratiques et bien loin de la poésie.

La musique adoucit les moeurs. On nous l’a dit et redit, mais je ne crois pas que ce que soit toujours le cas. Combien de jeunes peuvent se vanter d’avoir écouté au complet une symphonie de Beethoven? Je ne parle pas des neufs, ça va de soi. Faites écouter ça à des jeunes à l’école et ils vont s’endormir. Qu’ils s’endorment. La musique aura eu au moins le loisir de les bercer au point de les endormir. Autres temps, autres mœurs, me direz-vous. Bien sûr, messieurs, dames. Mais vous devrez vous lever de bonne heure pour me convaincre que Mozart n’a plus sa place et qu’il doit céder le pas à Eminem. Pas certaine de ça du tout. Pas certaine que Carl Orff et son Carmina Burana ne gagnent pas à être connus (non, pas le film Carmina : ça c’est une autre histoire). Pas certaine si la musique classique ne déclenche pas des émotions que la musique pop ou rock ne sont pas nécessairement capables d’aller chercher. Pas certaine qu’on perde au change à se cultiver quelque peu et à écouter quelques airs d’opéra… pas seulement les plus connus. Pas certaine que les enseignants soient toujours en mesure de transmettre cet amour des classiques aux enfants… car ils ne le possèdent pas, cet amour (amour, délice et orgue sont masculins au singulier et féminin au pluriel – c’était une petite leçon de grammaire en passant). Bref, ce n’est plus ce que c’était. Les classiques auront-ils traversé les siècles, faisant le plaisir et la délectation de plusieurs générations, pour venir se perdre et mourir au XXIe siècle. Espérons que non. Espérons que la tradition se perpétue, si ce n’est à l’école, du moins à la maison. Oui, on peut survivre sans lire Ronsard et sa rose, sans écouter Schubert et sa Truite. Je vous l’accorde. Mais on peut également survivre sans boire de champagne et sans manger de fruits de mer. Pourtant, quand on sait que ça existe, c’est difficile de s’en passer!

Non, ce n’est pas du snobisme! C’est tout simplement une apologie pour de grands hommes et femmes qui ont forgé l’histoire de la langue française et celle de la musique et qui sont en train de disparaître au profit de l’anglais, de la télé et de la facilité. J’aurais tellement de choses à dire à ce propos, que je m’emballe et que je perds mes moyens. Mes comparaisons sont peut-être boiteuses. Mes propos sont peut-être décousus. Mes exemples ne sont peut-être pas pertinents. Pourtant, je suis certaine d’avoir été bien comprise. Un petit Mozart avec ça?

[email protected]